Honnête fleur de Noël


Si la route est droite mais la pente raide par ces temps glaciaires, d’aucuns pourraient être tentés de penser qu’il ne s’agirait en fait que d’un sérieux problème d’inclinaison météorologique. Et dans la froidure ambiante, aux confins de la galaxie du web, il est toujours un petit papier rendant compte de nos travaux et nous donnant de facto du baume au cœur et à l’ouvrage.

Nous prenons, il est vrai, un certain plaisir, à dénigrer cet affreux copier-coller qui fait que la prose wikipédienne se retrouve un peu partout dans les blogs d’anonymes internautes qui narrent à leur fidèle lecteur  – c’est-à-dire bien souvent à eux-mêmes – la véritable identité du vrai prince des voleurs anarchiste doté du sens de l’humour et re-vrai inspirateur d’Arsène Lupin.

Il est encore plus vrai que nous ne nions pas notre joie quand la prose va dans le sens de ce que nous affirmons, savoir l’idée d’un homme politique agissant dans un contexte bien particulier. Et c’est encore mieux quand la table des louanges est dressée pour notre formidable ego.

Un grand merci donc au blog d’Alexandre Clément qui, le mardi 30 novembre et le lundi 06 décembre dernier nous livre le compte-rendu de lecture du dernier ouvrage de Gil del Pappas où il est question d’un certain Attila naviguant dans les eaux troubles du cinéma naissant. De la pure fiction dont nous rendrons compte bientôt à notre tour. La critique construite d’Alexandre Clément vient alors mettre en exergue une honnête biographie. Une bien belle et honnête fleur de noël.

Marius Jacob héros de roman selon Del Pappas

1. La vie tumultueuse de Jacob

Alexandre Marius Jacob a réellement existé, et c’est peut-être là le plus étonnant. Et pour tout dire, c’est mon héros préféré. J’avais envisagé d’écrire moi aussi un roman sur ce personnage hors du commun. C’est dire si j’étais content de la parution de l’ouvrage de Del Pappas. Et cela d’autant plus que je pense que dans le cheminement des idées contestataires de l’ordre régnant, il y a un grand besoin de les diffuser par l’intermédiaire des mythes, des héros et des légendes, au-delà des formes théoriques rébarbatives.

Théoricien de l’illégalisme, marseillais, et le revendiquant haut et fort, Jacob a vécu une vie d’aventures des plus stupéfiantes. C’est un héros méconnu de la lutte des classes. Engagé très jeune dans la marine, il parcouru les mers. Anarchiste, il avait mis sur pieds une bande de cambrioleurs, Les travailleurs de la nuit. Il se situait dans la mouvance de la reprise individuelle, une partie de son butin lui servant à alimenter la cause de la révolution. Il cambriola aussi Pierre Loti, mais se rendant compte qu’il s’agissait d’un écrivain qu’il avait apprécié, il lui laissa un mot d’excuse et quelques francs pour réparer la fenêtre qu’il avait brisée. Sans en avoir de preuve formelle on a supposé qu’il avait inspiré Maurice Leblanc pour la création d’Arsène Lupin. La première partie de sa vie ressemble un peu au parcours du Voleur de Georges Darien.

Mais malheureusement, Jacob fut arrêté et condamné à de longues années de bagne. Il en revint vivant, malgré les maladies, les haines, les privations, sa révolte guère entamée. Il fit de nombreuses tentatives d’évasion à la manière de Papillon. Ce qui ajouta encore à sa légende. Il fut finalement libéré et revint en France où il renoua les liens avec les anarchistes. Il participa à la Guerre d’Espagne où il aurait livré des armes. Puis il finit par devenir gagner sa vie sur les marchés de province en vendant des vêtements, des tissus, utilisant à partir de ce moment-là le prénom de Marius. Mais son aventure ne s’arrête pas là, puisque sur la fin de sa vie, ayant passé les soixante-dix ans, il tomba amoureux d’une très jeune institutrice qui avait cinquante ans de moins que lui. Sentant les forces le quitter, il se suicida pour fuir le long naufrage de la vieillesse.

Jacob avait de nombreuses qualités, intelligent, déterminé, peu enclin à se plier aux règles établies, il résista à toutes les formes de pression. Ayant passé près d’un quart de siècle au bagne dans des conditions très difficiles, il fit preuve d’une belle santé physique aussi bien que morale. Il sut allier le courage à la réflexion. Il laissa de nombreux écrits, une correspondance abondante. Ces écrits montrent que les épreuves qu’il avait traversées n’avaient pas entamé ses capacités de réflexions. Esprit fin et acéré, il sut mettre les rieurs de son côté notamment lors du procès d’Amiens en 1905. A cette époque il devint un acteur très médiatique de la scène judiciaire. La foule se pressait à son procès, les journalistes répercutait ses bons mots. C’était une sorte de Mesrine avant l’heure, mais avec une vision bien plus développée et bien plus critique de ce qu’était la société. Il était tout à fait conscient de cela, il appréciait le fait qu’une partie du peuple saluait son courage et sa détermination dans sa volonté de nuire aux bourgeois.

Alexandre Jacob à 17 ans2. Jacob imaginé par Del Pappas

A partir de ce personnage hors norme, Gilles Del Pappas a écrit une fiction, c’est le premier ouvrage d’une nouvelle maison d’édition, Au-delà du raisonnable qui publie aussi ces jours-ci un nouveau roman de François Thomazeau. Ce n’est pas un roman qui suivrait la trame de la vie de Jacob. Loin d’une approche réaliste, Del Pappas a essayé au contraire d’imaginer ce qu’aurait pu être sa vie dans les interstices de ce que nous connaissons de sa trajectoire. Del Pappas invente des rencontres, avec Gauguin, Louise Michel, Georges Méliès et bien d’autres encore, ce qui donne une curieuse dimension moderne à la vie de Marius Jacob puisqu’il l’associe à la naissance du cinéma et aux débuts de l’automobile !

L’ouvrage est documenté, mais sans excès, reconstituant le quotidien des classes inférieures au début de ce siècle, mais aussi le basculement de celui-ci dans la modernité. Del Pappas attribue à Jacob qu’il préfère appeler Marius plutôt qu’Alexandre (Marius est le prénom qu’il adopta après s’être reconverti en marchand forain), un parler marseillais pittoresque. Surtout Jacob devient un héros bondissant, toujours partant pour secourir les malheureux et s’opposer aux entreprises malsaines des capitalistes avides de profits. On peut voir d’ailleurs au passage le déloyal Edison égratigné copieusement.

Attila et la magie blanche relate plutôt les aventures imaginaires de Jacob, et celles-ci sont rendues crédibles par les références à sa vie réelle, et encadrées par la préparation et la mise en œuvre de son suicide. Pourtant Del Pappas parle très peu des cambriolages de Jacob, et de même il ne dit rien, volontairement, de son expérience du bagne.

Evidemment ceux qui connaissent bien la vie de Jacob, ou même Marseille contesteront cette approche. Par exemple, Del Pappas le fait naître dans le quartier du Panier, presqu’exclusivement peuplé d’Italiens immigrés. Or Jacob est né dans le quartier de la Plaine qui était un quartier très populaire, mais pas parmi les plus pauvres : entre la Plaine et le Panier, il y avait autant de distance culturelle qu’aujourd’hui par exemple entre Aix et Marseille.

Del Pappas a prévenu qu’il se situait en dehors de la réalité,  du côté du rêve. Il est donc impossible de le critiquer sur ce point et de lui dénier le droit d’avoir imaginé un voyage en ballon digne de Jules Vernes : c’est son droit absolu de romancier. Je retiens le vibrant hommage qu’il a rendu à cet anarchiste lucide, amoureux de la liberté envers et contre tout, d’une honnêteté scrupuleuse. Mélanger la vie de Jacob avec la naissance du cinéma est la grande originalité du livre. Et on appréciera la description minutieuse de ce petit milieu où se rencontrent artistes et ingénieurs, capitalistes (déjà !) et bandits de grands chemins.

Del Pappas a également transformé le personnage de Rose qui fut longtemps la compagne de Jacob. Dans la réalité Rose était une ancienne prostituée marseillaise, de quinze ans son aînée qui participa aux activités délictueuses de son compagnon et qui mourut en prison suite à sa condamnation comme membre des Travailleurs de la nuit. Del Pappas en fait une jeune paysanne qui s’enfuit de sa famille par goût de la liberté et qui va, avant de connaître Jacob, vivre une vie de bohème au milieu des artistes de Montparnasse. Il la fera mourir avant la fin du voyage en ballon. Cette transformation romanesque masque une réalité beaucoup plus sulfureuse. Jacob vivait bien à l’intersection du monde de la pègre et de celui de l’anarchisme politique. Ce qui veut dire que Jacob n’était pas un saint, qu’il savait s’imposer aussi auprès des truands marseillais qui ne faisaient pas dans la dentelle à cette époque. Jacob usait aussi de la violence. Et même s’il déconseillait l’usage de celle-ci dans ses activités de cambrioleur, il est probable qu’il a éliminé physiquement quelques-uns de ses ennemis, notamment ceux qui l’avaient dénoncé à la police, ou encore pour régler quelques conflits lors de ses années de bagne. Bref Del Pappas tire Jacob plutôt du côté des aventures d’Arsène Lupin que de la chronique sociale forcément moins drôle à narrer. Il faut dire qu’il est difficile de se centrer sur celle-ci sans sombrer dans le naturalisme.

Ayant refermé le livre, agréable à lire, je  me suis fait la réflexion suivante : la vie réelle d’Alexandre Jacob n’est-elle pas plus fabuleuse que la vie imaginaire que lui a construite Del Pappas ?  Je reste persuadé qu’en s’inspirant des faits réels, on peut écrire un roman des plus étonnant. Par exemple, Jacob, cambriolant une maison de bourgeois, croyant celle-ci vide, y trouve une femme qui se jette littéralement sur lui et le viole ! Après elle lui conseilla d’emporter tout ce qu’il voudrait. Mais son complice, revenant le lendemain n’eut pas la même chance si on peut dire, il dût s’enfuir en courant pour échapper aux gendarmes ! L’anecdote est racontée par Jacob lui-même que personne n’a jamais surpris en train de mentir, sauf aux juges et aux policiers ! Et encore, pas toujours !

(à suivre)

3. Le vrai Jacob

Pour ceux qui voudraient mieux connaître le vrai Alexandre Jacob, il existe une littérature maintenant importante. J’avais découvert son existence en 1970 à travers le livre de Bernard Thomas, le premier, celui qu’il a publié chez Tchou. Puis j’ai ensuite lu l’ouvrage d’Alain Sergent qui avait l’avantage de s’appuyer sur le témoignage direct de Jacob lui-même et que Thomas a utilisé abondamment. Il y eut ensuite l’ouvrage de Caruchet qui est très décalqué, pour ne pas employer le mot de plagiat, de ceux de Sergent et de Thomas. Cet ouvrage est préfacé par Alphonse Boudard qui au-delà des actes et des écrits plus ou moins théoriques, salue la force de caractère de Jacob.

Plus récemment L’insomniaque a publié les Ecrits que Jacob a laissés, car c’était un grand lecteur, curieux d’un peu tout, passionné d’histoire et de science, et il mit noir sur blanc une partie de ses réflexions, soit dans des textes plus ou moins théoriques, soit à travers une correspondance abondante. Cet ouvrage a été réédité ensuite en 2004 dans une édition augmenté et révisé.

Mais le travail le plus important à ce jour est sûrement l’ouvrage de Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, publié en 2008 et qui est tiré de sa thèse de doctorat. Cet ouvrage, outre le fait qu’il corrige un certain nombre d’imprécisions ou d’erreurs qu’on peut trouver dans les premières biographies de Jacob, contextualise la trajectoire de Jacob, montrant combien Marseille était à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, un terreau naturel pour le développement des idées anarchistes. Le plus important de ce travail réside dans la description des réseaux qui ont permis à Jacob d’œuvrer dans la reprise individuelle pendant de longues années. Il montre que ses agissements n’auraient pas pu se faire sans qu’il ne bénéficiât d’un solide réseau de relations, aussi bien dans les milieux libertaires que dans celui de la truanderie.

En ce qui concerne l’illégalisme, il montre que le parcours de Jacob se rapproche de certains autres illégalistes, comme Clément Duval par exemple dont le parcours sera plus heures puisqu’il s’évada finalement du bagne et put finir ses jours à New York, ce qui permet de l’inscrire dans un mouvement politique plus large, avec une méfiance viscérale pour les intellectuels de la révolution. Les travailleurs de la nuit, groupe de cambrioleurs dirigé par Jacob, renvoie aux Panthères des Batignolles, bande de voleurs emmenée par Clément Duval.

L’ambition de Delpech va pourtant au-delà de la précision biographique, elle vise à restituer une vraie dimension politique à l’illégalisme, de le prendre au sérieux dans sa volonté militante, malgré son caractère minoritaire au sein de la mouvance anarchiste. C’est pour cette raison que Delpech se montre aussi pointilleux en ce qui concerne les rapprochements qui ont pu être faits ici ou  là entre Jacob et Arsène Lupin. Même s’il n’est pas très important de savoir si précisément Maurice Leblanc s’inspira directement du procès d’Amiens pour la création de son héros, il est évident qu’il y a un monde qui sépare Lupin de Jacob : c’est la conscience sociale. Le second représente la face bourgeoise si on peut dire de l’art de cambrioler.

Il reste pourtant beaucoup de zones d’ombre dans la trajectoire de l’anarchiste marseillais. Par exemple on ne connait pas très bien la personnalité de ceux qui l’ont entour. Rose Roux, sa compagne des bons et des mauvais jours, qui termina ses jours en prison, était prostituée, mais dans quelles circonstances Jacob l’a-t-il rencontrée ? Est-ce qu’elle eût des difficultés pour quitter son état ? La connaissance des détails de cette relation permettrait de faire le point justement sur les intersections entre le milieu libertaire et celui des voyous de basse extraction.

Bibliographie

William Caruchet, Marius Jacob, l’anarchiste-cambrioleur, Séguier, 1993.

Georges Darien, Le voleur, Jean-Jacques Pauvert, 1955.

Gilles Del Pappas, Attila et la magie blanche, Au-delà du raisonnable, 2010.

Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, Atelier de création libertaire, 2008.

Alexandre Jacob, Ecrits, édition  revue et augmentée, L’insomniaque, 2004.

Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, Alexandre Marius Jacob, Le seuil, 1950.

Bernard Thomas, Jacob, Tchou, 1970.

Bernard Thomas, Les vies d’Alexandre Jacob, Mazarine, 1998.

Par ALEXANDRE CLEMENT

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