MilitantE ?
La femme n’existerait-elle qu’en tant que reproductrice et objet sexuel même en anarchie et aussi indépendante puisse-t-elle devenir ? C’est la question que l’on pourrait se poser en conclusion de cet article écrit par François Guy. A dire vrai, le propos d’une des plumes de l’Agitateur, même avec une louable intention, ne déroge guère à la mentalité de son temps.
L’époque, il est vrai, n’est pas encore prête pour une libération totale du sexe que l’on qualifie aisément encore aujourd’hui de faible. Et de la faiblesse naitrait en toute logique les dites fonctions dévolues à la femme. Flora Tristan, Louise Michel, les pétroleuses de la Commune ne seraient dans ce cadre que des exceptions venant confirmer l’immuable règle. Cela tiendrait presque de l’axiome depuis que l’homme est homme et la femme son fidèle lieutenant, née d’ailleurs d’une de ses côtes et de la volonté du Créateur assimilé ici comme le modèle originel de l’oppression.
C’est sur ce point que le papier du journal marseillais de la Jeunesse Internationale fonde, pour son numéro 2 en date du 18 février au 02 mars 1897, l’originalité de son propos. La Femme, parce qu’elle a croqué la pomme et qu’elle l’a fait croquer à son alter ego, plus faible de volonté, plus résigné, plus soumis, devient de la sorte un exemple à suivre de refus de l’autorité, de rébellion face à la répression malgré l’ire divine, l’exclusion et le confinement social et culturel qui s’en est suivi. De la sorte, la « lionne domptée », la « vaincue des luttes » ne peut que rejoindre le rang des libertaires. Le drapeau noir et le fourneau en somme. CQFD !
N°2
Du 18 février au 02 mars 1897
Adam et Eve
ou Première révolte de la femelle contre l’Autorité avortée par la couardise du Mâle
Ô noble matérialisme de la femme, tu as beau te masquer, tu n’échapperas pas aux yeux du penseur !
Voilà pourquoi je veux me faire ici ton panégyrique, ton défenseur, et je sais, moi, combien je suis capable de défendre ceux que j’aime, les vaincus de la lutte !
Adam et Eve, jetés dans le paradis terrestre comme une vile valetaille par le caprice d’un Dieu idiot et farouche : Adam, ce mâle indolent, et sans nulle volonté, n’ayant aucun éclair de dignité, eut vécu dans cette lâche résignation ! Quand un jour sa noble compagne ne pouvant résister à son instinct de liberté, va le trouver et lui dit : Tu as donc le cerveau plein de terre pour consentir à grouiller dans un tel asservissement ! Le lâche repos auquel tes muscles sont condamnés, ne te suggère pas l’idée de te dresser devant ton tyran ! Tu veux donc condamner l’humaine espèce à grouiller comme des oiseaux de basse cour ! Eh bien moi, j’en ai assez de ton Dieu. Il m’em… C’est le fruit de la science qu’il nous a interdit, eh bien, je vais y mordre !
– Mais nous allons nous condamner à la misère, aux privations, à la haine et à la vengeance du maître !
– Prends cette pomme et mords dedans, te dis-je ! il faut apprendre, il faut savoir, chaque faute est un plaisir, dresses-toi donc, gros cerveau fainéant ! Les lâches seuls subissent la légalité !
Ce fut fait. Au prix de grandes misères, il est vrai, l’humanité fut sauvée par l’audace de la femme. Mais comme on ne se révolte pas devant les dieux, le maître farouche, comme un vulgaire propriétaire, impunément les chassa.
Eve s’adressant à son compagnon résigné :
– Tu ne dis rien, toi, Adam, cerveau de momie fait à l’image de Dieu !
Heureusement qu’il n’en est pas ainsi, quant à moi ! Et, pleine de dignité, se cabrant devant son Dieu. – Maître stupide et farouche, à un acte de franche révolte tu réponds par une lâche vengeance ; la sottise marche toujours de pair avec la cruauté ; eh bien, soit. Je ne demande ni grâce ni pitié ; nous traînerons nos pieds sanglants dans les ronces et les épines, nous mangerons le pain à la sueur de notre front, j’accoucherai dans le sang et les pleurs, soit, mais la grandeur de l’humanité sera notre œuvre et non la tienne. Dans cette terre déserte où tu nous jettes, grosse brute, de cet enfer nous en ferons un éden pour nos enfants … Ainsi parla, en se cabrant devant son Dieu, notre première mère.
O primitive femelle ! superbe sonneuse de Diane ! que j’eusse voulu être ton compagnon de lutte pour me cabrer avec toi ! nous n’eussions pas croqué la pomme, mais ainsi que Prométhée dérobant les feux du ciel pour les donner à l’homme, nous eussions, à nous deux, dérodé le pommier de la science à ce farouche Jéhovah, pour en faire le patrimoine de nos descendants !
O bienheureux Prométhée ! ta sublime révolte ne fut châtiée que par Dieu. Celle de la femme fut outragée par les hommes ; de cette révolte qui devait sauver le monde, les hommes en ont fait la source, le point de départ de tous nos maux : le Péché originel. Tous les moralistes, tous les cracheurs de sentences, pour faire risette à leur dieu offensé, se sont ligués contre toi et t’ont jeté l’anathème. O lionne domptée. Comme tous les tempéraments poltrons, d’ailleurs, pour se faire excuser leur couardise, n’ont de plus empressé que de jeter la pierre et lancer le blâme sur l’acte de l’homme courageux.
Oui, le mâle jaloux de la hardiesse de la femme a employé tous les moyens pour la mâter ! Toutes les morales l’ont flétrie, toutes les institutions l’ont ravalée. Dans l’antiquité, femme, tu n’étais qu’une chose ! Le divin Pluton, dans son Timée, fait de toi, femme, l’être le plus méprisable ! Le christianisme a fait de la femme un manche à prie-Dieu.
La famille même a fait de toi un être impudique, sans dignité, sans volonté, sans liberté ! Les passions les plus pures sont aux yeux de la société un outrage qui souille la chasteté de ton front d’amante et ta fécondité de mère, si tu ne te soumets comme une esclave aux lois et aux règles établies. Et pourtant, quoi de plus noble que la femme quand elle s’oublie dans l’amour ?
Il y en a qui osent dire que la prostitution est un rôle qui sied à la femme ! Après l’avoir domptée, ils la méprisent !
Mais qui ravala plus la femme que ces illuminés de la Convention ? D’un seul trait cette Convention écrasa l’amante et la mère, voyez ce refrain qui fait dire à la femme : « Si vous succombez, nos flancs porteront vos vengeurs ». O derniers des crimes ! te faire prêcher la vengeance à toi, femme, jusque dans le futur embryon de tes flancs ! Pas un penseur n’osa relever cette infamie ! pas un n’osa flageller ce sinistre enthousiasme !
Eh, que t’importe à toi, femme, toutes leurs querelles politiques ou religieuses, leur patrie, leurs frontières, leurs ambitions, leurs vaines gloires ! Sache qu’une mère est partout une mère, et que ces hommes lâches qui te demandaient tant de dévouement n’étaient au fond que des charlatans et des menteurs qui, après leurs conquêtes et leurs vanités satisfaites, t’ont livrée pieds et poings liés dans des ateliers infects et dans une prostitution infâme !
Eh bien, oui, osons le dire. Si sur Terre il existe un être digne d’estime et d’admiration, c’est la femme. Viens lionne domptée, viens vaincue de la lutte, viens grossir le rang des libertaires ; là, tu vivras avec des hommes, pas comme ceux créés à l’image de Dieu, mais des hommes dignes de la première mère, et là, dans ta fière indépendance, tu resteras dans ton noble rôle d’amante et de mère.
François Guy
GUY François est né le 12 août 1843 à Béziers (Hérault). Il exerce la profession de cultivateur. Il habite d’abord Béziers, 60 avenue de Bedarieux puis vient s’installer à Marseille. Il loge successivement dans un garni, 45 rue Curiol (en 1896), puis 16 rue Pierre qui rage et enfin 43 rue Charras. Déjà collaborateur de L’Agitateur en 1893, il signe deux articles (C’est la liberté qui fait peur et Adam et Eve) dans l’éphémère troisième version de cette feuille libertaire marseillaise en 1897. Il publie aussi en avril de cette année un numéro unique d’un journal intitulé « Pamphlet d’un jour, philosophie moderne sur l’invention d’un dieu« . Il meurt à l’Hôtel dieu où il était en traitement le 13 décembre 1899.
D’après Bianco René, « La presse anarchiste dans les Bouches du Rhône« , p.90.
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