Ne dérangeons pas le monde


La chanson d’Eugène Pottier sonne comme un coup de colère. Celui d’un actif révolutionnaire face à  la masse inerte, exploitée et résignée de la population, comparée ici soit à ces insectes volants et coprophages que sont les mouches, soit au cheptel bovin que la bourgeoisie peut traire sans limite. Car le prolétariat n’est, selon le terme marxiste, qu’armée de réserve industrielle et cette masse moutonnière constitue une force que l’utopiste aimerait bien soulever. L’histoire de Pottier, celle de la répression des émeutes de juin 1848, celle de la semaine sanglante en 1871, tendrait à prouver, justement, que l’utopie du poète chansonnier rime avec chimère sociale même si elle est aussi et surtout immensément créatrice. Frustration d’un homme au soir de sa vie ?

Nous ne connaissons pas la date de cette chanson que reprend le groupe Qu’importe qui ? pour le deuxième cd des Ecrits de Jacob en 1995. Nous avons mis en gras les passages non chantés du texte de l’auteur de L’Internationale. Il est alors intéressant de le rapprocher des Souvenirs d’un révolté de l’honnête cambrioleur. Après une discussion avec Nacavant, le chef de gare de Pont Rémy, Alexandre Jacob peut ainsi s’exprimer en 1905 : « C’est alors que je compris toute la puissance morale de ce préjugé. Se croire honnête parce qu’on est esclave ! C’est alors que je compris aussi la force de ce frein contre la révolte : l’espoir d’une retraite. Allons, bourgeois ! vous avez encore de beaux jours à régner sur le peuple ! ». Alexandre Jacob connait ses classiques !

Ne dérangeons pas le monde

Ne dérangeons pas le monde

Eugène Pottier

Utopistes que nous sommes,

Comme on doit nous trouver fous !

Vouloir le bonheur des hommes

Mais de quoi nous mêlons-nous ?

Mieux vaut chanter à la ronde

Et boire à plein gobelet ;

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est !

Leur logique m’exaspère.

Ils répondent : « C’est la loi !

J’ai fait comme a fait mon père ;

Mon fils fera comme moi. »

C’est la routine qui fonde.

La foi dit son chapelet.

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est !

Le hibou craint la lumière,

L’éclairer est inhumain ;

La roue aime son ornière,

Ne ferrons pas le chemin.

Plus l’oeuvre est haute et féconde

Et plus aigre le sifflet.

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est !

Notre parole s’émousse

Sur la masse de granit.

Tentons-nous quelque secousse,

On nous frappe, on nous bannit.

Prouvez que la terre est ronde

Et l’on vous prend au collet.

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est !

Après tout, foules inertes,

J’ai grand tort d’être obstiné.

Votre idéal, mouches vertes,

N’est pas celui de mon nez.

Des étangs, le peuple immonde,

Dans l’eau stagnante se plaît.

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est !

Donc, mes bons, plus de querelle,

Souffrez, portez votre croix.

La femme de Sganarelle

Veut qu’on la rosse parfois.

Allez, moutons, qu’on vous tonde !

Fais-toi traire, vache à lait.

Ne dérangeons pas le monde,

Laissons chacun comme il est.

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