Nécro du bagne


cimetière du personnel de l\'AP, île RoyaleNécro du bagne

Chronique d’une mort lente annoncée. 17 juin 1938, le président de la République Albert Lebrun signe le décret-loi qui sonne le glas du bagne. Le texte fait suite au rapport du président du conseil Edouard Daladier  qui, le même jour, souligne l’échec latent de l’institution pénitentiaire et surtout l’image négative de la Guyane qui en découle.

On ne compte plus, en effet, depuis le reportage d’Albert Londres en 1923, les journalistes venus outre-Atlantique chercher le scoop, l’émotion et la sensation. Le bagne est pourtant, dès sa création, l’objet de critiques féroces, même si aucun article, aucun rapport d’état, aucun livre de souvenirs n’avaient réussi, jusqu’à présent, à émousser le système éliminatoire à la française pour reprendre l’expression chère à l’honnête cambrioleur Jacob (dessin réalisé pour le livre du Dr rousseau Un médecin au bagne, éditions Fleury 1930). L’utilisation politique et médiatique du climat d’insécurité dans l’hexagone assurait finalement la pérennité de la machine à broyer les « vaincus de guerre sociale » que sont les criminels, récidivistes ou non. Mais, comme l’affirme Michel Pierre dans la Terre de Grande Punition (Autrement, 2000), « jamais, après la première guerre mondiale, l’administration pénitentiaire ne put susciter en France de campagne de presse en sa faveur ».

Certes, la réforme Sibille, loi votée par le parlement le 15 décembre 1931, supprime le doublage. Mais elle n’organise pas le retour des libérés, condamnés de fait à pourrir sur place. Le « droit de compétence », évoqué par Alexandre Jacob lorsque l’ancien bagnard écrit au député Ernest Laffont le 11 janvier 1932, lui permet alors de critiquer vertement cette demie mesure qui, finalement maintient l’éloignement … donc l’élimination du condamné.

Les beaux jours du bagne sont pourtant passés. Il « ne se réforme pas, il se supprime », écrit en 1926 Jacob Law revenu de l’enfer guyanais.

Il serait faux d’envisager une mort violente de l’institution pénitentiaire coloniale. Douze ans après le livre de Law, sept ans après la loi Sibille, le décret du 17 juin 1938 met fin uniquement à la transportation. L’article 2 du texte législatif indique que

« les condamnés déjà transportés continuent à être régis par la loi du 30 mai 1854 »

Paul Roussenq peut ainsi écrire en conclusion de son livre de souvenirs en 1942 : « Chacun sait que le bagne a été supprimée il y a quelques années, du moins théoriquement. Mais en fait, on a fait qu’interrompre l’envoi des forçats à la Guyane. Il y reste encore un effectif de plusieurs milliers de condamnés,  et le bagne continue … » Le 22 novembre 1938, 666 condamnés aux travaux forcés sont encore envoyés dans les camps. Ce sont les derniers. La relégation est, elle, maintenue.

Il faut alors attendre août 1953 pour voir les 132 derniers fagots revenir au pays. Entre temps, la seconde guerre mondiale est passée par là et a produit son « petit » effet mortifère. « En 1940 – écrit Michel Pierre – on note 2007 transportés et 1532 relégués ». Ils ne sont plus que 1227, toutes catégories confondues, en 1945 ! Le taux de mortalité des bagnes de Guyane, durant cette période dépasse largement, par exemple, celui du camp de concentration du Struthoff en Alsace, considéré parmi les plus durs du système concentrationnaire nazi. L’Armée du salut a pris le relais d’un état incapable d’organiser le rapatriement en métropole des survivants de ces camps de la mort français pendant une dizaine d’années. Le décret loi de 1938 ne met ainsi pas fin au bagne et, s’il provoque sa fin, celle-ci ne pouvait être que lente et conjoncturelle. Le bagne a alors vécu presque centenaire et, de 1854 à 1953, ce furent environ 62000 exclus qui vinrent s’échouer sur la terre de Grande Punition. De conception positiviste, le bagne devait amender le condamné et coloniser la terre française d’Amérique du Sud, il devait aussi éloigner le délinquant. Seul le troisième objectif fut atteint. Eloigner ? Eliminer ? La frontière est mince entre l’objectif et la réalité carcérale.  RIP ?

Arbeit macht frei en GuyaneDécret du 17 juin 1938

Le Président de la République française […] décrète :

Article premier : La peine des travaux forcés est subie dans une maison de force, avec obligation au travail et assujettissement à une épreuve d’isolement cellulaire de jour et de nuit. La durée de l’épreuve cellulaire est de trois années pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Pour les condamnés aux travaux forcés à temps elle est de deux années si la peine est de dix ans ou supérieure à dix ans et de une année si la peine est de moins de dix ans. Cette durée peut être réduite par mesure administrative, soit pour raison de santé, soit pour conséquence de la bonne conduite ou du travail du condamné. L’isolement de nuit est toujours appliqué. La libération conditionnelle ne s’applique pas à des peines de travaux forcés.

Article 2 : Les dispositions de l’article précédent ne sont applicables aux condamnés en cours de peine que s’ils n’ont pas encore été transportés au jour de la promulgation du présent décret. Les condamnés déjà transportés continuent à être régis par les dispositions de la loi du 30 mai 1854.

Article 3 : Pour tous les condamnés en cours de peine, transportés ou non au jour de la promulgation du présent décret, l’obligation de résidence temporaire, prescrite par l’article 6 de la loi du 30 mai 1854, est remplacée par l’interdiction de séjour pour vingt années.

Article 4 : Les transportés libérés actuellement tenus à l’obligation de résidence dans la colonie, seront soumis à l’interdiction de séjour pour une durée égale à celle de l’obligation de résidence restant à courir, et, en cas d’obligation de résidence à vie, à l’interdiction de séjour pour une durée de vingt années, à compter de l’expiration de leur peine. L’interdiction de séjour prévue par l’alinéa 1er du présent article et par l’article précédent sera subie sans préjudice de celle encourue par l’application de l’article 46 du Code pénal.

Article 5 : Les infractions prévues par les articles 7 et 8 de la loi du 30 mai 1854 seront jugées, en cas d’arrestation en France, par le tribunal correctionnel du lieu d’arrestation. Les juridictions du lieu d’arrestation en France seront également compétentes pour connaître de tous les autres crimes ou délits commis à la colonie par les condamnés ou libérés. Les infractions prévues à l’article 7 de la loi du 30 mai 1854 seront punies de deux à cinq ans d’emprisonnement en cas d’emprisonnement ; la peine sera de un à trois ans d’emprisonnement en cas d’infraction à la même loi. Ces peines seront subies dans la Maison de force prévue à l’article 1er ci-dessus avec l’obligation au travail. Les dispositions du présent article sont applicables aux infractions commises avant la promulgation du présent décret.

Article 6 : Tout condamné aux travaux forcés soumis au régime des travaux forcés soumis au régime de l’article 1er du présent décret qui, durant sa détention et son évasion, aura encouru une poursuite suivie de condamnation, soit pour fait qualifié crime, soit à une peine supérieure à 3 mois de prison pour vol, escroquerie, abus de confiance, abus de blanc-seing, recel de choses obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit, vagabondage ou mendicité, par application des articles 277 et 279 du Code pénal, outrage public à la pudeur, excitation habituelle de mineurs à la débauche, embauchage en vue de la débauche, assistance à la prostitution d’autrui, dans les conditions spécifiées par l’article 4 de la loi du 27 mai 1885, trafic de stupéfiants, extorsion de fonds, violences envers des magistrats, jurés, officiers ministériels, agents de la force publique, citoyens chargés d’un ministère de service public, violences punies par les articles 309, alinéa 1er, et 311 alinéa 2, du Code pénal, évasion conformément à l’article 245 du même code, sera relégué. La relégation sera également prononcée contre tout individu qui, interdit de séjour dans les conditions prévues par les articles 3 et 4 ci-dessus, aura enfreint cette interdiction, ou aura encouru une poursuite suivie de condamnation soit pour crime, soit à une peine supérieure à 6 mois d’emprisonnement pour l’un des délits énumérés à l’alinéa précédent.

Article 7 : Tout condamné aux travaux forcés qui, subissant sa peine dans les conditions prévues par le présent décret, se sera évadé ou aura tenté de s’évader, sera puni de la peine prévue par l’article 245 du Code pénal. Cette peine sera subie dans la Maison de force prévue à l’article 1° ci-dessus et avec obligation au travail.

Article 8 : En vue de l’application des dispositions du présent décret portant détention, dans les Maisons de force de la métropole, des condamnés aux travaux forcés, il sera procédé, par décret, pris sur le rapport du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, à une réorganisation des Circonscriptions pénitentiaires. Sont prévues, dans les cadres du Personnel des Services extérieurs de l’Administration pénitentiaires, les créations d’emplois indiquées ci-dessous et qui ne pourront résulter que du vote d’une loi spéciale : Deux sous-directeurs ; Deux secrétaires d’administration ; Huit commis ; Quinze premiers surveillants ; Soixante-quinze surveillants ; Un chef d’atelier.

Article 9 : Il est ouvert au Ministre de la Justice, sur l’exercice 1938, en addition aux crédits alloués par la loi de finance du 31 décembre 1937 et par des lois spéciales, des crédits s’élevant à la somme totale de 600.000 francs applicables aux chapitres ci-après désignés : Chapitre 16. Services extérieurs pénitentiaires. Traitements : 595.000 Fr. Chapitre 17. Services extérieurs pénitentiaires. Indemnités fixes : 4.000 Fr. Chapitre 18. Services extérieurs pénitentiaires. Indemnités variables : 1.000 Fr.

Article 10 : Sur les crédits ouverts au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, sur l’exercice 1938 par la loi de finances, du 31 décembre 1937 et par des lois spéciales, une somme totale de 1.009.110 francs est et demeure annulée au titre des chapitres ci-après du budget de la Justice : Chapitre 19. Ouvriers libres temporaires des Etablissements pénitentiaires. Salaires : 9.110 Fr. Chapitre 50. Approvisionnement des cantines : 1.000.000 Fr.

Article 11 : Un règlement d’administration publique déterminera les conditions d’application du présent décret. Des décrets spéciaux règleront son application à l’Algérie et aux colonies. Les dispositions du présent décret entreront en vigueur un mois après la promulgation du règlement d’administration publique prévu par l’alinéa 1° du présent article.

Article 12 : Le présent décret sera soumis à la ratification des Chambres dans les conditions prévues par la loi du 13 avril 1938.

Article 13 : Le Président du Conseil, Ministre de la Défense nationale et de la Guerre, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, le Ministre de l’Intérieur, le Ministre des Finances et le Ministre des Colonies sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, sera publié au Journal officiel.

Fait à paris, le 17 juin 1938. Par le Président de la République, A. Lebrun. Le président du Conseil, Ministre de la Défense nationale et de la Guerre, E. Daladier. Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, P. Reynaud. Le Ministre de l’Intérieur, A. Sarrault. Le Ministre des Finances, P. Marchandeau. Le Ministre des Colonies, G. Mandel.

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