Le Docteur Rousseau
Avec l’arrivée de l’Oncle Louis aux îles du Salut, le 1er septembre 1920, le combat de Jacob contre l’Administration Pénitentiaire prend une nouvelle tournure. Il peut ainsi mettre en avant non seulement son inestimable connaissance du Code mais encore ses souvenirs de fagot. Car les deux hommes, unis par un indéfectible lien d’amitié, mettent au point un projet de livre. Un Médecin au bagne parait en 1930 aux éditions Fleury. Par précaution, Jacob n’apparait pas dans l’ouvrage signé par le Docteur Rousseau. Mais, en 1950, celui-ci confirme à Alain Sergent la considérable participation de l’ancien matricule 34777 à cette dénonciation de l’horreur carcéral. C’est cette lettre, que l’on retrouve presqu’intégralement publiée dans Un anarchiste de la Belle Epoque, qui est joué en 1995 dans le deuxième cd des Écrits. Et c’est à lui Rousseau que nous devons le titre de notre biographie (ACL, 2008) et de ce blog. Le 3 septembre 1954, le vieil ami de l’anarchiste conseille à Robert et Josette Passas de garder le « souvenir de ce parfait honnête homme » qui vient de se suicider.
Alain Sergent
Un Anarchiste de la Belle Epoque
éditions du Seuil, 1950
Nous avons mis en gras le passage de la lettre de Rousseau à Sergent qui n’est pas mentionné dans la saynète.
p.191-193 : Dans une lettre qu’il m’a récemment adressée, le docteur Louis Rousseau raconte ainsi ses rapports avec Jacob :
« Je suis arrivé aux Iles du Salut vers le 1er septembre 1920. …Médecin de l’armée coloniale avec le grade de commandant, j’aurais pu, avec quelques chances de succès, demander, après quelques mois de séjour aux Iles, une autre affectation. Il n’en fut jamais question… J’en vins à l’idée d’écrire un livre et n’eus plus qu’un désir : rester aux îles pour y recueillir des documents en vue d’un réquisitoire dont la publication aurait peut-être la chance de servir à quelque chose.
« J’habitais sur la place de l’Ile Royale un petit bungalow à deux pas duquel se trouvait une terrasse garnie de bancs d’où l’on jouissait d’une vue magnifique sur l’île Royale et sa voisine l’île Saint-Joseph, de sinistre mémoire. J’allais souvent m’y asseoir. C’est là que je vis pour la première fois Jacob qui, chargé de l’entretien de ce quartier, pensait infatigablement à son sort et à celui de ses camarades… On en vint peu à peu à bavarder presque tous les jours, mais rarement plus de cinq à dix minutes. Quand je lui parlai de mon projet de faire et publier une étude sur le bagne, il se mit tout de suite à ma disposition et, comprenant que des entretiens brefs et furtifs ne suffiraient pas à un travail de longue haleine, il réussit à se faire placer comme assigné chez M. Alric, comptable gestionnaire, homme bon et sûr et dont la discrétion n’avait d’égale que celle de Madame Alric, sûre et bonne comme son mari. Là je pus voir Jacob à mon aise et passer avec lui une demi-heure, une heure même, et cela deux ou trois fois par semaine.
« Grâce à lui je pus prendre connaissance de tous les textes de lois qui régirent la peine des travaux forcés depuis l’origine de la Transportation. Il lui fut possible de se procurer à la Bibliothèque officielle du Pénitencier tous les bulletins des actes officiels du Ministère et du Gouvernement local, relatifs à l’Administration pénitentiaire. Il possédait en propre le Cours de droit criminel et de science pénitentiaire du professeur Georges Vidal qu’il m’a laissé quand je suis parti, bourré d’annotations. Jacob fut pour moi la plus abondante source de renseignements et aussi la plus sûre. Sans lui, je n’aurais pu mener à bien la tâche d’écrire le Médecin au Bagne qui fut son œuvre autant que la mienne.
« Jacob vous a dit que, dès nos premiers entretiens, je lui avais parlé en frère. Venu d’un homme aussi sincère, cet éloge m’a ému, car je crois le mériter. Rebelle à toutes les hiérarchies, j’ai pu, par la force des choses et passivement, être mis à tel rang, atteindre tel grade, sans que ma manière de penser en ait été le moins du monde influencée, et je suis toujours resté accroché à un vif sentiment de l’espèce humaine dont je mets tous les exemplaires à mon niveau. Je suis ainsi bâti et n’ai aucun mérite à cela. Dans de telles dispositions, il était tout naturel que je sois le camarade de Jacob, au contact de qui je n’ai pu qu’affermir mes manières de voir, de sentir et de penser qui sont celles des anarchistes.
« Après mon départ, Jacob ne cessa jamais de m’écrire et de s’intéresser à la rédaction de mon manuscrit. A chaque courrier, il m’envoyait un journal de tous les événements qui survenaient dans le monde pénal et dans le monde pénitentiaire.
« En 1926, je remaniai mon travail et là encore Jacob m’encouragea et m’aida. Nous fîmes la critique de l’œuvre législative de 1925, et j’ajoutai un nouveau chapitre sur les maisons de force de la métropole. Ce fut facile et rapide car j’avais à ma disposition le Journal Officiel où s’étalaient, dans des rapports très étudiés faits par des Inspecteurs des services administratifs, mille preuves de l’ignominie des prisons de la Métropole. »
Et le docteur Rousseau ajoute ces quelques mots qui ne manquent pas d’actualité :
« C’est au bagne que j’ai vu combien il était dangereux de donner plein pouvoir à un homme assermenté dont la parole est a priori sacrée, – le surveillant, – sur un homme dont la parole est a priori considérée comme un mensonge, – le condamné. On a là, sous les yeux, la preuve sans cesse renouvelée que le pouvoir corrompt fatalement celui qui le détient. A pareille école, tout observateur réfléchi, qui sait voir et se souvenir, ne peut, s’il est humain, trouver le salut que dans la suppression des pouvoirs absolus et de leurs policiers. »
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