Du vol légal en cour d’assises
En pointant le doigt sur les contradictions du prévisible discours judiciaire qui a pour but d’envoyer vingt-trois personnes derrière les barreaux, au bagne ou à l’échafaud, les explications nécessaires de Maurice Lucas, anarchiste d’Amiens, reprennent finalement le principe de l’arroseur arrosé pour disculper Alexandre Jacob et ses amis. L’auteur de ce papier, paru dans le n°11 de Germinal en date du 19 au 25 mars 1905, numéro entièrement consacré au procès des Travailleurs de la Nuit, ne nie pas les cambriolages commis. A l’aide d’une rhétorique tout proudhonienne, il inverse les rôles. Le vol légal se nomme propriété.
Les accusés ne seraient que des justiciers qui ont osé profiter de biens volés originellement par une minorité possédante et bourgeoise. Donc mal acquis. L’illégalisme constitue une réponse au pillage des richesses collectives et des savoirs scientifiques, pillage individuel et s’effectuant par la ruse ou la violence et surtout dans un cadre faussement moral et instituée. Le droit de vivre primant, il n’y a rien d’étonnant de la sorte à ce qu’un individu fasse le choix d’être voleur plutôt que volé. Jacob ne dit pas autre chose dans sa déclaration Pourquoi j’ai cambriolé ?, parue dans le même numéro de la feuille libertaire picarde.
Germinal
N°11
Du 19 au 25 mars 1905
Explications nécessaires
Pour l’utilité des débats, la manifestation de la lumière, il est indispensable que les jurés aient connaissance de la provenance des objets volés.
Il est indispensable que chaque témoin accusateur, chaque témoin cambriolé expose, explique et justifie la provenance des objets dont il s’arroge la propriété.
Je voudrais qu’on expliquât d’où viennent ces milliers de kilos d’argenterie, d’orfèvrerie, de pierres précieuses, et comment il se fait que des hommes, nés plusieurs milliers d’années après la terre, possédassent une partie de cette terre.
Je ne puis supposer qu’ils l’ont achetée car alors il faudrait dire à qui Est-ce, à Dieu ou aux hommes ?
Avec quoi l’auraient-ils achetée ?
Quand j’achète un pain, je donne .six sous, et on me traiterait en voleur si, possesseur du pain, je possédais encore les six sous.
Comment se fait-il donc que ceux qui disent posséder la terre possèdent encore tout l’or ?
Mystère !!!
Je voudrais aussi qu’on expliquât au tribunal pourquoi et comment un homme peut posséder une peau de bête. Il l’a achetée, dit-il, à qui? aux forêts vierges d’Amérique? aux déserts d’Afrique ?
Je voudrais enfin qu’on expliquât au Tribunal pourquoi et comment des hommes sont propriétaires de produits industriels fabriqués grâce au génie de Newton, Pascal, Galilée, Toricelli, Archimède, Arago, Papin, Descartes, etc., alors que d’autres qui y ont tout autant droit, sont obligés de payer à ceux qui se servent des inventions et découvertes de ces grands hommes, une contribution qu’on leur prend de force au besoin.
Toutes ces questions seraient intéressantes et jetteraient la lumière sur les débats du procès des assises.
De telles explications sont donc nécessaires
Maurice Lucas.
Tags: Amiens, anarchie, Assises, droit de vivre, Germinal, illégalisme, légalité, Maurice Lucas, procès, propriété, Proudhon, vol
Imprimer cet article
Envoyer par mail