MÉRIC Victor


pseudonymes : Flax, Luc, Sirius, Veheme.

Né le 10 mai 1876 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 10 octobre 1933 à Paris. Journaliste et écrivain. Socialiste anarchisant, militant du Parti communiste (1920-1923) puis de l’Union socialiste-communiste. Fondateur de la Ligue internationale des combattants de la paix et secrétaire général de 1931 à juin 1933.

Issu d’une famille républicaine, Victor Méric partit en 1897 pour le régiment où son indiscipline lui valut un premier séjour en prison. Grand lecteur de Vallès, Verlaine et Zo d’Axa, il se tourna d’abord vers l’anarchisme et collabora au Libertaire de Sébastien Faure. Dessinateur à l’hôtel de ville de Paris puis correcteur d’imprimerie, il fréquenta alors le milieu de la « petite bohême » qu’il décrivit longuement dans ses souvenirs, la qualifiant de « cour des miracles de la rive gauche ». A la même époque il aurait été mêlé à des affaires de fausse monnaie. Très hostile à la guerre et à l’armée, il fut en 1904 un des fondateurs de l’Association internationale antimilitariste où il rencontra notamment Almereyda, Gustave Hervé et Yvetot. Inlassable propagandiste, il se lança dans un tour de France de la parole et ne cessa de faire campagne pour l’antimilitarisme le plus intransigeant. Tout en refusant de la signer, il participa, semble-t-il, à la rédaction de la fameuse affiche rouge placardée sur les murs de Paris en 1905 pour appeler les conscrits à la désobéissance qui valut un retentissant procès à ses signataires.

Méric fut très marqué par l’affaire Dreyfus dans laquelle il s’était pleinement engagé. Sa déception ensuite n’en fut que plus grande. Dès les années 1906, Méric critiqua les dreyfusards au pouvoir — le dreyfusisme — et constata avec regret la dégradation de la « mystique en politique ». Dans la Guerre sociale comme dans les Hommes du jour qu’il avait contribué à fonder avec Henri Fabre en 1907, il fit montre d’un anti-intellectualisme de gauche, résultant de l’échec des espérances révolutionnaires qu’il avait mises dans « l’Affaire », et non dénué à l’occasion d’antisémitisme. Dès 1906 il était devenu très proche de Gustave Hervé et fut avec lui un des fondateurs de la Guerre sociale. C’est sous son influence qu’il adhéra à la SFIO et milita à la IVe section de la Fédération parisienne à majorité hervéiste et à minorité guesdiste, où il rencontra Graziani, Madeleine Pelletier, Aristide Jobert et Raymond Escholier. La virulence de sa plume lui valut deux séjours en prison en 1908 et 1909 pour des articles antimilitaristes parus dans les Hommes du jour. En 1909-1910, il défendit entre autres causes celles de Francisco Ferrer et de Liaboeuf, jeune ouvrier condamné à mort.

Seul rédacteur de la Guerre sociale en octobre 1910 alors que ses camarades étaient en prison, il soutint les cheminots dans leur tentative de grève générale brisée par Briand. Son militantisme à la base fut complété par des représentations plus officielles et Victor Méric fut plusieurs fois délégué dans les congrès nationaux du Parti socialiste. En 1908 à Toulouse, il n’intervint pas et fut même mis en accusation car il n’était pas en règle avec son parti. Deux ans plus tard à Nîmes (février 1910), il s’éleva contre le projet de loi sur les retraites ouvrières et paysannes et les dénonça comme une escroquerie contre la classe ouvrière. Il fut également présent au congrès de Paris (juillet 1910), puis à celui de Strasbourg (février 1920).

La guerre n’altéra pas son pacifisme mais contribua à changer le cadre de son action. Parti entre deux gendarmes en 1914, il resta quatre ans au front comme sapeur du génie ; il envoya des articles aux rares journaux de sa tendance, notamment le Journal du peuple de son ami Henri Fabre par l’intermédiaire de Séverine. Pendant une permission en 1915 on put voir Méric en capote boueuse à la Chambre des députés discuter avec Sembat et Longuet des horreurs auxquelles il avait assisté, notamment l’exécution de volontaires étrangers. Mais la guerre, ce fut aussi la Révolution russe et la « grande lueur à l’Est » pour bien des socialistes.

Le pacifisme de Méric le conduisit au communisme. Il devint rédacteur à l’Internationale de Péricat qui prônait dès 1919 la création d’un parti communiste français. En août 1919, il adhéra au Comité de la IIIe Internationale en même temps que G. Pioch, Souvarine, Rappoport, Treint et milita en faveur du bolchevisme. Durant cette même année, il prit la défense de Joseph Caillaux, « proie des forces de l’iniquité sociale ». Présenté par Frossard comme ayant mené « dans le IVe arrondissement une campagne vigoureusement socialiste et révolutionnaire », Méric présida la première séance du 27 décembre 1920 au congrès de Tours à l’issue duquel il fut élu au comité directeur du tout nouveau Parti communiste. Lors de sa première réunion, le 4 janvier 1921, il fut nommé à la commission des archives et entra à la même époque au comité de rédaction de l’Humanité. Deux mois plus tard, Frossard le chargea de représenter la SFIC auprès du KPD qui préparait une insurrection orchestrée par Bela Kun de Moscou et qui fut un échec total. Méric évoque cet épisode dans ses souvenirs en traitant Bela Kun de « dictateur ».

Rapidement il entra en opposition avec la ligne de l’Internationale soutenue par la gauche du PC : il ne voulait pas voir imposer la discipline bolchevique à l’intérieur du Parti. Dès l’été 1921, de violentes polémiques l’opposèrent à B. Souvarine. Au congrès fédéral de la Seine de décembre 1921, il dénonça la « centralisation de secte » et refusa toute dictature venue d’en haut. Dès lors se constitua une droite dans le parti dont Méric, Verfeuil, Henri Fabre et Henri Sellier furent les représentants. La polémique s’amplifia au premier congrès du PC (Marseille, décembre 1921). De virulentes discussions s’engagèrent sur l’antimilitarisme, constante de la pensée de Méric et dénoncé par Paul Vaillant-Couturier comme « un pacifisme tolstoïen ». La question du Front unique vit à nouveau Méric se dresser contre la IIIe Internationale. Il s’exprima à ce sujet dans l’Humanité et l’Internationale en en montrant le caractère inapplicable puisque depuis Tours les communistes ne cessaient de dénoncer les socialistes. Méric devint franchement hostile à l’Internationale communiste, fut mis en accusation notamment par Trotsky et ne fut pas réélu au Comité directeur lors du second congrès du PC (Paris, octobre 1922). Le IVe congrès de l’Internationale à Moscou, où Trotsky réussit habilement à disloquer le centre en imposant l’exclusion des francs-maçons et des membres de la Ligue des droits de l’homme, devait mettre un point final à la brève aventure communiste de Méric. Bien que ne relevant pas de cette décision puisque ni franc-maçon ni « ligueur », il devint cependant un des opposants les plus farouches à ces mesures.

En janvier 1923, il fit partie avec Charles Lussy, H. P. Gassier, H. Torrès, B. Lecache, A. Morizet, Noël Gounier et G. Pioch, du comité de résistance qui publia dans l’Humanité une déclaration dénonçant la perte de l’esprit critique et « ce centralisme qui n’a plus rien de démocratique » (elle fut publiée avec, pour chaque passage, une réponse du bureau politique). Tous les signataires furent exclus. Méric pour sa part avait de plus été évincé quelque temps plus tôt de ses responsabilités de l’Humanité.

Il fut un des fondateurs du Parti communiste unitaire qui fusionna dès mai 1923 avec un premier groupement d’exclus du PCF pour former l’Union socialiste communiste. Méric s’exprima dans son journal l’Égalité bien vite de façon très critique vis-à-vis du communisme et de l’URSS. Après s’être présenté pour ce parti et avoir été battu aux élections de 1924 comme il l’avait été en 1919 pour la SFIO, il poursuivit son militantisme tout en donnant une plus grande part de son temps à l’écriture et au combat pour la paix, le fondement de sa pensée. Il signa en 1928 L’appel au bon sens, publié dans la revue Évolution dirigée par Victor Margueritte (voir ce nom), pour la révision du Traité de Versailles et notamment de l’article 231 sur les responsabilités de l’Allemagne dans le déclenchement du conflit. A partir de 1930, la dénonciation d’une future guerre aéro-chimique devint sa grande affaire et il lança une grande enquête à ce sujet dans le Soir pour s’enquérir de l’avis de personnalités célèbres. Léon Daudet comme Jean-Richard Bloch y répondirent. Non content d’agir par la plume, Victor Méric organisa une grande campagne de meetings et de conférences dans toute la France, « la croisade pour la paix ».

En 1931, Méric fonda un journal pour exprimer son pacifisme militant, la Patrie humaine et créa la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) dont un des premiers meetings se tint avec la participation de Marc Sangnier, Marcelle Capy, Armand Charpentier, les Allemands Ernst Johannsen, Rudolph Leonhard et l’Italien Pietro Nenni. S’affirmant apolitique, étrangère aux luttes électorales et uniquement préoccupée par le combat pour la paix, la ligue se donnait pour but le rapprochement de tous les peuples d’Europe sans aucune distinction. « Un seul mot d’ordre : la paix ». Il n’y a pas de défense nationale, de plus la paix n’est possible et durable que par le désarmement total sans s’occuper du voisin. Méric était entouré de plusieurs compagnons au parcours proche du sien : Sébastien Faure et surtout Georges Pioch, Robert Tourly, Henri Fabre. Le comité d’honneur de la LICP comprenait d’éminents pacifistes : Stefan Zweig, Albert Einstein, Georges Duhamel, Jean-Richard Bloch, Jules Romains, Paul Langevin et son président d’honneur, Romain Rolland, était un symbole. Méric ne cessa de se dépenser en tournées de propagande pour la ligue sillonnant banlieues et provinces.

Bien vite cependant apparurent des dissensions politiques notamment à l’occasion du congrès contre la guerre impérialiste tenu à Amsterdam en août 1932 sous l’égide d’Henri Barbusse et de Romain Rolland. Méric refusa toute adhésion à ce mouvement qu’il jugeait par trop inféodé à l’Internationale communiste, contrairement à d’autres membres de la Ligue tel Georges Pioch. Son pacifisme intégral lui interdisait de marcher dans « la guerre contre l’hitlérisme ou le mussolinisme » tout comme « dans la guerre sociale du prolétariat ». Les polémiques allaient également bon train avec Victor Margueritte. A ces divergences d’analyse s’ajoutaient des difficultés financières : la LICP était toujours à court d’argent d’autant plus que son trésorier Pierre Perrin n’hésitait pas, semble-t-il, à puiser dans la caisse. Aussi le congrès annuel de la Ligue tenu les 16 et 17 avril 1933 apparut comme une mise en cause du secrétaire général où ses rapports — moral et financier — furent très discutés. Les rapports entre le journal, la Patrie humaine, et l’organisation furent longuement débattus. Enfin, la déclaration officielle de la Ligue fut adoptée en dépit du refus de Méric. Il fut néanmoins réélu au Comité directeur avec G. Pioch, M. Capy, René Gerin, Boucher et M. Leretour (voir ce nom). Méric sortit très éprouvé moralement du congrès. Sa position était très affaiblie au sein de la Ligue et, dès mai 1933, il fut remplacé par R. Gerin au secrétariat général.

Victor Méric décéda d’un cancer et fut incinéré au colombarium du Père-Lachaise. Lors de ses obsèques, Sébastien Faure et Henri Fabre, ses fidèles amis, depuis l’époque du Libertaire, prononcèrent son oraison funèbre.

OEUVRE : Opinions subversives de M. Clemenceau, chef de gouvernement, recueillies et annotées par Victor Méric, Paris, la Guerre sociale, 16 p. — Lettre à un conscrit, Paris, Publications de l’Association internationale antimilitariste, 1904, 8 p. — Le bétail, pièce antimilitariste en un acte, théâtre de propagande. Préface de Charles Malato, Paris, Éd. de l’Internationale, 22 p. — Les hommes de la révolution : Marat (vol. I), Camille Desmoulins (vol. II), Gracchus Babeuf (vol. III), Paris, Librairie du progrès, 1907. — Comment on fera la révolution, Paris, Petite bibliothèque des Hommes du jour, 1910, 32 p. — Émile Zola, Paris, Éd. des portraits d’hier, 1909, 32 p. — Les bandits tragiques (les milieux anarchistes), Paris, Simon Kra, 1926, 223 p. — Le crime des vieux, roman, Éd. de France, 1929, 285 p. — La der des der (roman de la prochaine guerre), Éd. de France, 1929, 295 p. — Les Compagnons de l’escopette (roman de sac et de corde), Éd. de l’Épi, 1930, 272 p. — A travers la jungle politique et littéraire, Paris, Librairie Valois, 1930, 283 p. — Coulisses et tréteaux (A travers la jungle politique et littéraire, deuxième série), Paris, Librairie Valois, 1931, 192 p. — La guerre aux civils (Discours prononcé au cours de la croisade de la paix organisée par la Ligue internationale des combattants de la paix), Paris, Éd. de la « Patrie Humaine », 1932, 27 p. — Fraîche et gazeuse (la guerre qui revient), Paris, Éd. Sirius, 1932, 257 p. — Sébastien Faure, L. Barbedette, Voline, Méric : La véritable révolution sociale, Paris, Éd. de l’Encyclopédie, 1933, 236 p (1re éd. in l’Encyclopédie anarchiste).

SOURCES : Arch. Nat. F 7/13324. — Arch. PPo., Ba 1777. — Bibliothèque nationale : fonds de lettres reçues : NAF 15900, ff 1-63 ; correspondance Jean-Richard Bloch, notamment volumes XIII (Capy), XXXII (Méric), XXXVIII (Pioch). — Le combat pour la paix, bulletin de la LICP, 1933. « Les hommes du jour et le journal du peuple », n° 67, 19 octobre 1933. — Victor Méric, « Vieilles choses, vieilles histoires, souvenirs d’un militant », in La Nouvelle Revue socialiste, n° 1, 2, 8, 9, 10, 14, 15, 17, 1926-1927. –Victor Méric, sa vie, son oeuvre par ses amis, Éditions de la Patrie Humaine, 1934, 28 p. — Josephson (ed.), Biographical dictionary of modern peace leaders, Greenwood Press, 1985. — Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, op. cit. — Christophe Prochasson, Place et rôle des intellectuels dans le mouvement socialiste français, 1900-1920, Thèse, Paris I, 1989. — Philippe Robrieux, Histoire intérieure, op. cit., Fayard, 1980, t. 1. — Patrick Galouzeau de Villepin, Victor Margueritte (1866-1942) : le pacifisme au service de l’Allemagne ? Thèse, Paris IV, 1989, 1780 p. — Robert Wohl, French communism in the making 1914-1924, Standford University Press, 1966, 530 p. — M. Dreyfus, PCF : Crises et dissidences, Bruxelles, Éd. Complexe, 1989, 280 p. — Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, tome 14.

M. Dreyfus, N. Offenstadt

Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier

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