L’honnête au pays des frelons (2)
Avril – mai 1905. Au pays des frelons, la vie s’écoule, lente et monotone. Le « capucin » Jacob en profite pour distiller commentaires et conseils en vue du procès en cassation du jugement d’Amiens. Apparaît également dans ces trois lettres, dont deux sont non datées, la question récurrente de la présence de l’honnête cambrioleur pour les assises d’Orléans à venir. D’autres thèmes, plus matériels mais ô combien révélateurs, sont enfin appelés à revenir sans cesse dans l’échange épistolaire : le linge et la santé des deux écrivants.
29 avril 1905
Chère maman,
Je t’ai bien écrit comme à l’ordinaire, mais la lettre a été saisie ; ce n’est qu’à l’instant à la réception de la tienne que je viens de l’apprendre. Tu dois penser que si je l’avais su plus tôt, je t’aurais déjà réécrit. Pourquoi te chagriner pour ce retard ? Dans la position où nous sommes, il nous en arrivera bien d’autres. Tu te fais de la peine bien mal à propos. La cause et les effets n’en valent pas la peine.
J’ai reçu la visite de Me Justal. Il est possible qu’il ne me vienne pas défendre. Pour votre cassation, présentement, vous êtes dans une période d’attente. Attendez donc. Pour votre procès, je ne sais rien et ne peux rien vous dire. Je ne pourrai que vous en faire savoir le résultat lorsque je le connaîtrai.
Il est heureux que tu n’aies pu m’envoyer de l’argent, car je n’en ai nul besoin. J’ai reçu 30 francs il y a cinq jours. J’ai regret d’avoir détruit le reçu, sinon je te l’aurais envoyé pour te convaincre. Ma santé n’empire que vers l’excellent. Sois rassurée à cet égard. Soignez-vous bien, dans la mesure du possible, et bon courage.
Encore un mot. Jeanne vous a-t-elle parlé des instructions que je lui ai données dans ma lettre ? Un mot dans ta réponse.
Je t’embrasse bien affectueusement. Mille baisers à Rose,
Alexandre
[Sans date]
Chère maman et chère Rose,
J’ai reçu communication du jugement ; pour moi, il ne m’a pas appris grand-chose. Rose a été acquittée pour les faits de Reims, Niort-Clémot, Poitiers et Niort- Desroches. Condamnée pour les autres, avec circonstances atténuantes. La cour a appliqué le maximum. Maman a été condamnée pour la cathédrale de Tours.
Je persiste donc dans ma prédécision et je ne vais pas en cassation. À quoi bon ? En supposant que le procès serait cassé, je ne pourrais que vous porter préjudice.
Je conçois que vous préféreriez que j’y aille afin de demeurer plus longtemps auprès de vous. Mais ne faut-il pas se séparer un jour ? Qu’importe quelques mois plus tôt.
J’ai tout donné mon linge, il y a plus de huit jours. Je n’ai conservé qu’un vieux caleçon et cinq faux cols. Tenez mon linge prêt, car je ne tarderai pas à partir. Vous seriez bien aimables de me confectionner un porte-lettres en toile ou en drap, de format des grandes enveloppes. Grâce à l’obligeance de M. le gardien-chef, j’ai reçu les quelques provisions que Jeanne a envoyées. Merci.
Je vous embrasse,
Alexandre
[Sans date]
Chère maman et chère Rose,
Vous avez tort de vous alarmer pour ce qui a été dit à l’audience concernant ma santé ; je vous assure qu’elle n’est pas ébranlée. Je vous envoie la nomenclature de tout le linge que j’ai en ma possession :
2 paires de chaussettes laine noire, fines
1 paire de chaussettes laine noire, raccommodées
2 flanelles avec manches
1 flanelle sans manches
1 tricot laine Dr Jeoger
1 paire de chaussettes grises
2 mouchoirs vignettes et 1 blanc
Le linge sale est à votre disposition ; mais je crois préférable que vous attendiez le verdict ; rien ne presse. Je viens de recevoir la visite de Me Justal ; je le reverrai demain. Je n’irai plus à l’audience.
Je vous embrasse,
Alexandre
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