Le débat est ouvert, le journaliste est fermé


Elle a beau affirmer l’originalité de son grand-père, le journaliste du Nouvel Obs chargé de l’interviewer à l’occasion de la réédition des premières nouvelles de Maurice Leblanc chez Jean-Claude Gawsewitch Editeur en décembre 2011 refuse d’entendre l’évidente vérité. C’est même une manière de la nier que d’imaginer un débat ouvert sur la lupinose, débat qu’il vaudrait mieux laisser aux seuls spécialistes. C’est encore une manière de créditer l’idée que l’écrivain normand ait imaginé son gentleman cambrioleur sur les reprises individuelles d’Alexandre Jacob, plus voleur à coup sûr qu’homme politique agissant. Et pourtant la petite-fille dit non. François Forestier peut alors dresser le portrait d’un dandy lettré ambitieux, rêvant d’une renommée à la Maupassant ou à la Flaubert. A une époque, la fin du XIXe siècle, où nombre de plumes sont anarchisantes, Leblanc se servirait même de ses années de jeunesse, soi-disant toutes imprégnées des idées libertaires, pour créer son héros. Arsène Lupin est de retour. La lupinose, elle, n’est jamais partie et elle fait de sacrés dégâts.

Arsène LupinArsène Lupin est de retour

Le Nouvel Observateur

15 décembre 2011

Rencontre avec Florence Leblanc

On publie, dans leur version originale, les premières nouvelles de Maurice Leblanc. Sa petite-fille raconte…

«Savez-vous? Il n’a jamais porté un haut-de-forme, ni été vêtu d’un frac!» Diable, l’heure est grave. Ainsi, selon Florence Leblanc, la petite-fille de Maurice Leblanc, Arsène Lupin n’aurait jamais été costumé en élégant de la haute! Le gentleman-cambrioleur aurait cassé les coffres, trouvé des trésors, dérobé des bijoux et vidé les poches des financiers, habillé en quidam ! La preuve, souligne Florence Leblanc: «Il suffit de relire les premières nouvelles…»

Vingt d’entre elles sont en effet republiées dans leur texte original (ainsi, les «automobiles» des romans sont ici redevenues des «calèches»), avec les illustrations qui les accompagnaient dans «Je sais tout», le «roi des magazines», en 1905. Force est de constater que l’habit de Lupin est l’invention du dessinateur Léo Fontan : le monocle, la canne et le huit-reflets n’ont été ajoutés qu’en 1914. «Ah, vous voyez…», souligne Florence Leblanc, d’un geste de ses mains qu’elle a magnifiques.

Fondatrice du Clos Lupin, musée installé à Etretat dans la demeure de son grand-père, Florence Leblanc est aussi la gardienne des traditions: elle se bat contre les dérives, les pastiches, les déformations, les idioties. «Vous n’avez pas idée du nombre d’imitations, notamment au Japon ! Ils ont même fait des séries érotiques !» Le Nippon est donc fan du gentleman-cambrioleur ? Insondable Orient… «De même, il y a eu des dizaines d’adaptations cinématographiques dans le monde entier.» Et quel acteur est le plus en faveur ? «Il y en a deux: Georges Descrières et Robert Lamoureux. Les autres, ma foi…» Les autres sont balayés d’un revers.

Mais enfin, chère madame, Arsène Lupin a bien été copié sur Alexandre (Marius) Jacob, ce sympathique monte-en-l’air qui a inspiré Georges Darien et son «Voleur» ? «Non. En revanche, l’idée est née en lisant «Sherlock Holmes»…»

Le débat est ouvert : Pierre Lafitte, l’éditeur-vélocipédiste de «Je sais tout» (qui signait, oui, Jehan de la Pédale), a-t-il proposé à son ami Maurice Leblanc de s’inspirer de Conan Doyle ? Ou, plus probablement, de E. W. Hornung, qui inventa en 1898 un voyou élégant nommé A. J. Raffles ? D’ailleurs, Hornung n’était-il pas le beau-frère de Conan Doyle? Questions, questions…

Laissons le débat aux spécialistes. Et relevons que l’immense succès d’Arsène Lupin a été démultiplié en 1908 par le théâtre. Franz Wiener (qu’on retrouvera sous le nom de Francis de Croisset, auteur chichiteux de «la Féerie cinghalaise»), modèle du personnage de Bloch chez Marcel Proust, marié avec la petite-fille du marquis de Sade, a donné «Arsène Lupin», pièce jouée à l’Athénée à guichets fermés. Désormais agacé par sa créature, Maurice Leblanc tenta de tuer Arsène Lupin, puis, «sous la pression populaire», le fit renaître, avant de tempêter : «Lupin, ce n’est pas moi!»

C’est que Maurice Leblanc avait d’autres ambitions: il désirait être un auteur sérieux. Il signa des romans aux titres austères («Ceux qui souffrent», 1894) ou intrigants («le Scandale du gazon bleu», 1935), mais ne se débarrassa jamais de Lupin qui, désormais, hante à jamais l’aiguille d’Etretat et le coeur noir des banquiers.

A l’époque, le bon Maurice était éclipsé par sa sœur Georgette, maîtresse de Maeterlinck, membre d’un cercle saphique, logée dans le phare de Tancarville… Florence Leblanc n’a pas connu son grand-père, qu’elle décrit comme un homme bon, enthousiaste, passionné, qui versa sur le tard dans un conservatisme opposé à ses idées libertaires de jeunesse.

Ainsi, au fil des livres, Arsène Lupin devient-il moins rebelle, et plus patriote. Le personnage du «Bouchon de Cristal» (1912) n’est plus tout à fait celui de «La Cagliostro se venge» (1934). Mais qu’importe ! Lupin a eu tellement d’avatars : Raoul de Limézy, Désiré Baudru, Capitaine Janniot, Jacques d’Emboise, Etienne de Vaudreix, Jim Barnett, Marcos Avisto… Qui sait, il est peut-être à l’Elysée, aujourd’hui ?

«Je tiens à souligner que mon grand-père était un grand admirateur de Flaubert», dit Florence Leblanc. Il y avait de bonnes raisons: non seulement les deux hommes étaient normands, mais, en outre, Maurice Leblanc a été mis au monde par le docteur Achille Flaubert. C’était le frère de Gustave.

François Forestier

Les aventures extraordinaires d’Arsène Lupin,
par Maurice Leblanc, préface de Florence Leblanc,
Jean-Claude Gawsewitch, 356 p., 29,90 euros.

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