Un pavé sous la plage
Assorti de dessins assez laids, le livre commis par Jacques Colombat serait selon les dires de d’Alexandre Clément (qui anime un excellent blog sur la littérature, le cinéma et le roman noir) la plus mauvaise et la plus inutile des biographies sur Alexandre Jacob. Il conclut même le papier qu’il nous a transmis le jour du 1er tour de l’élection présidentielle française en enterrant une caricature de l’honnête cambrioleur. C’est peu dire que nous agréons le propos et que nous allons mettre ce livre très paresseux, et somme toute très onéreux (15€00) pour ce qu’il est, sous le sable de notre serviette de plage en espérant qu’il soit comme le propos contenu … biodégradable.
Jacques Colombat, Alexandre Marius Jacob, le forçat intraitable, Riveneuve, 2012
Le personnage d’Alexandre Jacob continue son bonhomme de chemin à travers de nombreuses publications. Récemment on l’a aperçu dans trois ouvrages de fiction. Le premier est celui de Jean Contrucci, Le secret du docteur Danglars, où il n’est qu’un personnage tout à fait secondaire, le second est celui de Gilles Del Pappas publié en 2011. Ce dernier ouvrage rompt volontairement avec la réalité biographique pour lui inventer des aventures rocambolesques. Et enfin, on le retrouve dans la suite d’Antoine Barral, Les philopyges, suite publiée en deux volumes.
L’ouvrage de Jacques Colombat se voudrait une courte biographie, fondée essentiellement sur les biographies déjà publiées de Sergent, Thomas et Delpech. De toutes les biographies consacrées à Jacob, celle-ci est de loin la plus mauvaise et la plus inutile. En effet, elle est un simple copié-collé pour les trois quart ou les neuf-dixième de l’ouvrage, le reste étant consacré à quelques traits d’esprit plus ou moins heureux comme de faire parler à la fin de sa vie Jacob avec l’accent marseillais, ou encore à lui attribuer des états d’âme à propos de la mort de sa mère. L’ouvrage de faible pagination est également illustré de nombreux dessins assez laids. Il est préfacé par Lucio Urtubia, véritable héros de l’anarchisme espagnol qui préféra le faux-monnayage au cambriolage. S’il ne dit rien sur le livre lui-même, il est censé cependant apporter une caution d’authenticité à l’ensemble.
C’est un livre très paresseux. A peine relu, il contient de nombreuses coquilles comme celle qu’on trouve une page sur deux avec dans l’en-tête « Alexandre Maris Jacob ». Sans vouloir jouer les jacobistes sourcilleux, on peut se demander quelle est la motivation de Jacques Colombat. Certes il est compréhensible que le personnage de Jacob fascine. C’est un exceptionnel sujet pour une fiction populaire qui donnerait aussi à voir un autre côté du peuple révolté, conscient des enjeux révolutionnaires. Et selon moi, il n’y aurait aucune honte à en faire un héros, à la condition expresse de respecter vraiment ce qu’il fut. Je ne voudrais pas revenir sur tout le bien que je pense de la thèse de Delpech qui pour l’instant reste la seule biographie valable puisqu’elle remet Jacob dans son contexte social, car je suppose que tous les lecteurs de ce blog en sont convaincus.
Mais pourquoi écrire une sorte d’introduction à la vie et l’œuvre de Jacob ? C’est une sorte de Que sais-je ? qui n’apporte pas même un nouveau point de vue. Sans doute Colombat aime beaucoup Jacob, mais cela ne suffit pas à convaincre de la nécessité de son travail. Les biographies de Sergent et de Thomas étaient très lacunaires, mais elles avaient le mérite de faire découvrir Jacob à une époque où on ne le connaissait guère. Celle de Caruchet était déjà plus que fortement démarquée des précédentes.
Déjà le sous-titre de l’ouvrage de Colombat porte à la méfiance, le forçat intraitable, puisqu’en effet cela suggère ce qui est le moins essentiel dans la vie de Jacob. C’est d’ailleurs plutôt sur cette période qu’il se concentre, occultant un peu tout ce qui l’y avait amené.
Il ne fait guère de doute que si Jacob avait pu éviter cette calamité qui lui a coûté sa jeunesse et sa liberté pendant près d’un quart de siècle, il l’aurait fait. Le bagne n’est pas une sinécure, et si on peut admirer le fait qu’il n’ait jamais perdu ni sa lucidité, ni ses conviction, il n’y a là-dedans aucune gloire à en tirer. Bref il manque au livre de Colombat l’essentiel. La trajectoire de Jacob se situe d’abord dans le refus d’un monde et de ses règles qu’il arbore à juste titre me semble-t-il. Il fait partie de cette frange sociale pauvre parmi les pauvres qui a décidé de se révolter. On peut l’analyser comme advenant dans la période de déclin de l’anarchisme révolutionnaire, ou comme conséquence de l’échec du mouvement révolutionnaire. Mais cet échec ne veut pas dire pour autant que le combat n’était pas juste.
Bien sûr nous tous sommes admiratifs de la détermination et de la force de caractère de Jacob, de sa cohérence et de sa lucidité que ni le bagne ni les années n’ont entamés, mais ce n’est pas pour autant qu’il faille en faire un personnage spectaculaire, un héros individuel, luttant seul contre tous. Au-delà de cette posture mise en scène par Colombat, il y a une réalité à la fois plus sombre et plus terre à terre. Comme disait le poète Eminescu, la vie n’est qu’un bien perdu quand on ne l’a pas vécu comme on l’aurait voulu.
Soulignons pour finir quelques grossièretés, dans l’ouvrage de Colombat on voit Jacob faire les marchés en faisant l’article avec l’accent marseillais, ou encore se régalant d’un vin d’Anjou, s’épanchant sur la tombe de sa mère. Ce ne sont que des déductions sans fondements. Certes, il est probable que la mort de sa mère l’ait affecté, sachant les liens forts qu’il y avait entre eux, comme il est probable qu’il lui soit resté aussi une pointe d’accent marseillais, mais il est improbable que Jacob aima boire puisqu’il faisait partie de ces anarchistes se méfiant du vin. Jacob, du moins ce qu’on en connait, n’était pas un rigolo, plutôt un ascète, rien d’un dandy hédoniste. Dur au mal, il n’était pas du genre à pleurnicher sur son sort.
Etant marseillais d’origine, le personnage de Jacob est pour moi une référence depuis le début des années soixante-dix. Et ce qui m’a toujours étonné chez Jacob c’est cette capacité à expliquer son attitude de refus d’une manière simple et évidente, ce qui fait de son illégalisme un mode de vie choisi et révolutionnaire. Probablement n’avait-il guère d’espoir de susciter des vocations, plutôt restait-il dans le développement d’une morale individuelle pour lui-même. Cette morale il l’étendait jusqu’à dire qu’il n’était pas un ennemi du travail, que bien au contraire il travaillerait volontiers à condition que ce ne soit pas pour engraisser un bourgeois. On est loin du fameux slogan de Guy Debord : Ne travaillez jamais !
Peut-être que cet ouvrage aura tout de même quelque utilité pour les jeunes générations si elles découvrent Jacob à travers lui. Mais on peut regretter que cette présentation en ait fait une caricature, même si Colombat évite le piège de faire de Jacob une sorte d’Arsène Lupin sautillant.
Bibliographie
Antoine Barral, Les philopyges, tome 1 La conjuration des patriotes, Editions singulières, 2010
Antoine Barral, Les philopyges, tome 2 Série noire à la coloniale, Editions singulières, 2012
William Caruchet, Marius Jacob, l’anarchiste cambrioleur, Séguier, 1993.
Jacques Colombat, Alexandre Marius Jacob, le forçat intraitable, Riveneuve, 2012.
Jean Contrucci, Le secret du docteur Danglars, Jean-Claude Lattes, 2004.
Gilles Del Pappas, Attila et la magie blanche, Au-delà du raisonnable, 2010.
Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, Atelier de création libertaire, 2008.
Bernard Thomas, Jacob, Tchou, 1970.
Bernard Thomas, Les vies d’Alexandre Jacob, 1879-1954, Mazarine, 1998.
Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, Alexandre Marius Jacob, Le seuil, 1950.
Alexandre Marius Jacob, Ecrits, L’insomniaque, 2004.
Tags: Alexandre Clément, Alexandre Jacob, biographie, éditions Riveneuve, Jacques Colombat, le forçat intraitable
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