Et l’innocent devint anarchiste
Le 09 juin 1993 parait, dans les colonnes de La Nouvelle République du Centre Ouest, le deuxième article de Claude Nerrand consacré à Alexandre Jacob. Le papier est accompagné d’une photographie de l’exposition qui se tient tout au long du mois dans le village berrichon sur ce personnage sur qui ont couru de nombreuses légendes. Ainsi pouvons-nous admirer, au premier plan et négligemment posés sur un guéridon, une canne, une cape et deux chapeaux melon. L’article ne dit pas si le visiteur doit faire un quelconque rapprochement avec Arsène Lupin. L’ancien colonel, en revanche, introduit son propos par un mythe édifié en vérité locale absolue. L’ancien marin, l’ancien voleur (qui n’hésite pas à confier ses anecdotes de cambrioleur à son garagiste), l’ancien bagnard aimait se reposer, chez lui à Bois Saint Denis, dans un hamac. Souvenir de ses années de navigation. Les légendes ont la peau dure.
La narration qui suit, largement inspirée des écrits commis par Bernard Thomas (confusion entre Roch le gérant de L’Agitateur et Arthur Roques le complice du coup du Mont de Piété, Marie Jacob épicière au lieu de boulangère, Jacob lecteur et non participant à l’élaboration du journal L’Agitateur, etc.), continue d’évoquer la jeunesse de Jacob à Marseille. Et l’innocent, lecteur déviant d’Hugo, devint un anarchiste militant. Les tracasseries policières qui s’en suivent traceraient, pour le président de l’Office du tourisme de Reuilly un chemin tout droit vers l’illégalisme. Alexandre Jacob, forcément conditionné, rumine une réaction à la hauteur de l’injustice sociale et politique subie. Et l’innocent, à qui l’on enlève de facto toute initiative individuelle et toute possibilité de choix, devint voleur. La suite au prochain numéro.
La Nouvelle République du Centre Ouest
09 juin 1993
A la découverte de Marius Jacob
II. – Un jeune cousin libertaire initiera Marius Jacob à Proudhon et Bakounine… Rencontres déterminantes.
Le monde projeté s’est écroulé quand Marius Jacob est débarqué sur une civière à Marseille, plus mort que vif. Son rêve de marin, et surtout son ambition de devenir commandant d’un bateau, hantent son délire, accentué par les fièvres d’Afrique ou d’Orient. Mais la rage de vivre lui tient au corps.
A Reuilly, il avait conservé de cette période l’habitude de se reposer dans un hamac, d’y rêver encore malgré son âge avancé, et surtout de se remémorer ses instants d’agitateur qui le faisaient sourire et peut-être de se rappeler dans son regard profond qui fixait les choses la phase active de son combat contre la société.
« Savez-vous, Monsieur Laleuf, combien on peut enfermer de clés dans un tube d’aspirine, vous qui êtes serrurier ? », c’est l’une des questions que Marius s’amusait à poser à son mécanicien, passant de longues minutes à bavarder pendant une petite réparation de sa vieille 6 cv Renault. « Eh bien, cent ! Avec de multiples lamelles, on peut arriver à reconstituer cent combinaisons possibles ! » Courte confidence qui rappelle son art de cambrioleur reconnu par la police de l’époque de ses vols.
Mais, c’est sa maladie, à 16 ans, qui dirige Alexandre Marius vers la création d’un monde meilleur.
Son père, subrogé tuteur d’un jeune cousin orphelin, lui fait connaître ce jeune homme barbu et libertaire. Cet anarchiste enflammé le catéchise et l’initie à Proudhon, Bakounine et lui conseille de lire « Quatre-vingt-treize » de Victor Hugo. Bernard Thomas, auteur de « Jacob », écrira plus tard : « La rencontre d’Alexandre avec Hugo eut des effets dévastateurs ».
Jacob, en effet, retient cette phrase qui deviendra sa ligne de conduite : « Supprimez les parasitismes, le parasitisme du prêtre, le parasitisme du juge, le parasitisme du soldat. »
A peine guéri, il rencontre aux cours de réunions agitées un dénommé Arthur Roques, employé dans une imprimerie.
Jacob connait alors le milieu libertaire de Marseille par l’intermédiaire de Roques. Il devient lecteur assidu de « l’Agitateur », journal anarchiste marseillais, et s’imprègne d’une certaine image du monde qui, dès lors, conditionne son comportement.
Avec plusieurs camarades, il distribue des tracts intitulés « Les crimes de Dieu » à la sortie des églises, lance des boules puantes pendant les offices. Ces amuses gueules ne suffisent pas. Il dépose des feux féniants dans les urnes électorales, ce qui entraîne des annulations de vote.
La lecture de « L’Indicateur Anarchiste », opuscule réservé aux initiés fabricants d’explosifs l’entraîne vers des idées de destruction de monuments de la ville de Marseille. Mais il est dénoncé par un indicateur – il en fourmille chez les libertaires – et le voilà condamné le 13 octobre 1897 à six mois de prison.
Libéré, il entre chez un imprimeur comme apprenti typographe. La police le surveille, avertit son patron qu’il a engagé un dangereux terroriste. Il est mis à la porte malgré un travail sérieux. La même mésaventure se reproduit chez le pharmacien qui l’emploie ensuite. La police est toujours là, l’œil sur lui, perquisitionnant dans la petite épicerie que tient sa mère, bouleversant livres et papiers.
« Je ne suis pas un criminel et vous me persécutez jusqu’à m’empêcher de gagner ma vie. », s’écrie un jour Jacob face aux policiers. « Faites amende honorable. Rendez quelques services … », lui proposent alors ceux-ci.
Jacob comprend que ses ennuis prendront fin s’il devient indicateur. C’est mal le connaître. Il a déjà choisi son camp entre les réprouvés et les mouchards.
« Nous sommes des enfants avec notre fabrication de poudre verte », confi-t-il à ses compagnons Roques et Morel, bien plus âgés que lui. « Il faut atteindre la classe possédante à son point sensible : le coffre-fort. ».
C.N.
Lire précédent article, paru dans notre édition du 04 juin.
Prochain article : Les travailleurs de la nuit
Une exposition à l’office du tourisme
Jusqu’au 24 juin, l’office du tourisme de Reuilly présente une exposition sur ce Reuillois d’adoption pas comme les autres. Claude Nerrand, son président, a recueilli à cette occasion des objets ayant appartenu à Marius Jacob et à sa famille, ainsi que de nombreux documents parmi lesquels un échange de correspondance avec sa mère pendant ses dix-neuf années de bagne en Guyane. Toute une partie de l’exposition est d’ailleurs consacrée à cette période douloureuse de la vie de Marius Jacob.
Une exposition passionnante et riche, qui permet de mieux cerner ce personnage sur qui ont couru de nombreuses légendes. A voir absolument pour faire plus ample connaissance sur ce personnage aux multiples facettes qu’était Marius Jacob.
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