Chef de bande
Le troisième article de la série consacrée à Alexandre Jacob parait le 12 juin 1993 dans la Nouvelle République du Centre Ouest. L’usage étant établi, Claude Nerrand, président de l’office du tourisme de Reuilly, utilise une anecdote locale pour introduire son sujet et, surtout, pour édifier son lectorat berrichon sur les cambriolages perpétrés par le chef de ces ouvriers de la révolution. Pas de vols « jacobiens » à Bois Saint Denis à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Juste quelques jeunes maquisards venus perquisitionner un vieux marchand forain. Ainsi commence la geste des Travailleurs de la Nuit selon saint Nerrand qui n’hésite pas à forcer le trait de la réalité, quitte à tomber dans l’apocryphe propos pour mieux faire l’inventaire de quelques-uns des coups fumeux d’une bande faisant de la reprise individuelle. Toute les belle histoires ayant une fin et celle-ci ne l’étant pas, il est dit que la morale doit rester sauve. Jacob est arrêté non loin d’Abbeville le 22 avril 1903, puis conduit en prison sous les cris d’une foule haineuse criant A l’eau !. La marée devait être haute, ce jour-là, en baie de Somme distante seulement d’une petite vingtaine de kilomètres. A Reuilly, où l’on peut goûter un délicieux rouge classé AOC, on a sûrement les pieds au sec.
La Nouvelle République du Centre Ouest
12 Juin 1993
A la découverte de Marius Jacob
L’époque des « travailleurs de la nuit »
III – Jacob, ou Attila, ou Escande, ou encore « trompe la mort » après des dizaines « d’opérations » est arrêté
Vers la fin de la guerre, un jour d’été, le maquis de Reuilly se présente chez Marius. Dénoncé, on ne sait trop pourquoi, le vieil homme laisse entrer quelques jeunes gens hardis mais surtout rassurés par les armes qu’ils détiennent. Resté sur le pas de la porte, surveillé par un jeune maquisard, Marius fume tranquillement sa pipe. « Vous nous prenez sûrement pour des bandits ? », murmure le jeune guerrier d’un air gêné mais arrogant. « Pas du tout », répond Marius dans un large sourire. « Mais j’ai connu des bandits … »
Pas un mot de plus et, dans la fumée de sa pipe, Jacob, ce jour-là, peut-être revit et recherche dans sa mémoire les 156 cambriolages dont il a été accusé.
Le 1er avril 1897, un commissaire du Mont de Piété de Marseille quatre personnes à l’allure sérieuse et sévère : « je suis commissaire de police », dit l’un d’eux. Il s’agit de Roques. « Et voici mon secrétaire (Jacob). Vous détenez ici quelques objets qui font partie d’un vol. » Roques fait fermer le magasin et l’inventaire commence. Chaque pièce de valeur est soigneusement enfermée dans une valise. Menotte aux poignets, le commissaire et son aide sont conduits au palais de justice. Assis sur une banquette, dans un couloir désert, les deux hommes attendent le procureur. C’est seulement le soir que le concierge du tribunal s’inquiète de leur présence …
Eclat de rire général à Marseille, le lendemain. La police recherche amis la bande roule déjà vers l’Espagne. Jacob s’intéresse alors à la statue en or de Saint Jacques de Compostelle. Elle pèse environ 400 kilos. Il pense la briser en petits morceaux et l’emporter vers la France. Toutefois l’affaire n’aura pas lieu. Certains participants refusent par mysticisme de s’engager dans une telle aventure.
Délaissant un moment les églises, il porte son regard sur les hôtels particuliers et en dévalise plusieurs. Béziers, Montpellier … Tous les coups ne réussiront pas. Au casino de Monte Carlo, il s’abouche avec un Sicilien au cours d’une soirée, Jacob simule une crise d’épilepsie et dans l’affolement son coéquipier en profite pour dévaliser les joueurs et s’empresse de disparaitre, très vite avant que Jacob se remette de ses vapeurs.
Dénoncé par un indicateur, Jacob est arrêté. Condamné par contumace à cinq ans de prison pour l’affaire du Mont de Piété, il est enfermé. Mais il simule cette fois la folie. Il écume, il trépigne, il invective et se trouve bientôt dans une cellule capitonnée d’aliéné dangereux et excité. Le plan réussit et Jacob s’échappe.
Il constitue la première brigade de la bande que l’on baptisera un peu plus tard « les travailleurs de la nuit ». « Je ne veux pas de jouisseurs ni d’ivrognes. Nous sommes avant tout des ouvriers de la révolution. » Jacob impose un prélèvement de dix pour cent sur chaque rapport de cambriolage. Cette somme sera remise aux organisations anarchistes.
La bande travaille avec le bottin et l’indicateur de chemin de fer. Un émissaire fait le tour d’une vile de province, repère les belles maisons fermées (« nos clients » dira Marius), pose des « scellés » aux portes, c’est-à-dire un morceau de carton. Le soir, si le « scellé » est toujours en place, c’est que la voie est libre.
Si Jacob a la phobie de la magistrature, du clergé et des bourgeois, il évite de visiter les médecins, les écrivains et tous ceux qu’il estime utile à la société. A Rochefort, au cours d’une « opération », il s’aperçoit qu’il agit chez Pierre Loti. Il met en évidence un billet d’excuse : « Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre. Tout travail mérite salaire. Attila. »
Les vols se succèdent, cathédrales du Mans, de Tours, à paris, Nevers, Orléans et combien d’autres …
Le 21 avril 1903, à Abbeville, Jacob, Bour et Pélissard s’agitent dans une villa. Les voisins d’en face s’inquiètent d’un bruit suspect et appellent la police. Les trois cambrioleurs s’échappent, mais le lendemain dans une gare avoisinante, au moment où ils prennent leur billet, ils sont interpelés. Bagarre, coups de feu, l’agent Prouvost est tué et les trois voleurs s’échappent.
Quelques heures plus tard, Attila ou Escande ou Georges ou Bonnet ou « Trompe la mort » ou Alexandre, bref Marius Jacob est arrêté de nouveau et cette fois solidement.
A Abbeville, à son entrée en prison, la foule crie « A mort ! A l’eau ! A la guillotine ! » Le chef des « travailleurs de la nuit » est vaincu.
Lire nos précédents articles dans nos éditions du 4 et 9 juin.
Prochain article : « Dix-neuf ans de bagne »
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