Libre et propriétaire
Sixième et dernier article consacré à Alexandre Jacob dans les colonnes de la Nouvelle République du Centre Ouest, pour vanter l’exposition Sur les traces de Marius Jacob qui se tient à Reuilly durant ce mois de juin 1993. Le papier, que nous avions déjà mis en ligne le 03 juin 2008, présente un homme libre. Outre les erreurs de dates (Jacob libéré de Fresnes en 1925 puis, quelques lignes plus bas, en 1928 !!!), nous pouvons nous arrêter sur l’anecdote de l’achat de la maison qui permet à Claude Nerrand, ancien militaire, devenu président de l’office du tourisme local de sous-tendre la faiblesse de l’anarchisme de Jacob : Le voilà propriétaire !. Effet de style certainement. Mais aussi méconnaissance totale d’un mouvement et d’une idée politique dont il entend se gausser.
Le vieil homme au passé indigne (de la norme légale s’entend) mais ayant expié ses fautes devrait pouvoir finir sa vie tranquille, marié puis séparé puis remarié, vivant honnêtement du produits des ventes sur les marchés. A ce propos, le choix du prénom Marius est tout simplement pragmatique : il revenait moins cher à faire imprimer sur le barnum qu’Alexandre.
Il va de soi que nous ne partageons pas du tout une telle vision d’Alexandre Jacob, être probe et honnête aussi bien dans sa vie de cambrioleur que dans celle du soi-disant reclus de Bois Saint Denis. Nous sommes alors bien loin de l’image de l’aventurier revenu de tout. Car c’est bien un anarchiste qui part en Espagne en 1936 et qui négocie des armes pour les compagnons ibères auprès de Basile Zaharoff et non Zakaroff (le vrai nom de ce personnage dessiné par Hergé sous les traits de Basile Bazaroff dans L’Oreille croquée est Zacharias Basileios Zaharopoulos). C’est encore un anarchiste, et non un aventurier, qui choisit librement d’en finir avec une vie faite d’heurs et de malheurs, quel que soit l’avis de ses amis … vrais ou faux.
La Nouvelle République du Centre Ouest
25 juin 1993
A la découverte de Marius Jacob
La fin d’un aventurier
Marius Jacob sort libre de Fresnes en 1928. Il se suicide en 1954, à Bois Saint Denis. Récit de la fin de sa vie.
Le 30 décembre 1925, les portes de la prison de Fresnes s’ouvrent. Alexandre Jacob est libre. Il a quarante-neuf ans.
Si l’on écoute les amis qui l’entoure à l’époque, au siège du Libertaire, c’est un homme trapu, sans âge, usé, au visage buriné, dont les yeux noirs expressifs plongent dans ceux de ses interlocuteur. Comme s’il cherchait la vérité au fond de leur cœur. Il est là, comme un enfant, un peu ébahi par les changements survenus pendant sa longue absence. Il est libre et a besoin d’espace. Dans la capitale, Jacob partage avec sa mère, au 1 passage Etienne Delaunay dans le XIe, la petite pièce exiguë qu’elle habite.
Revenu du bout de la nuit, il veut retrouver le soleil. Avec le petit pécule que Marie a amassé sous par sous, il a acheté un lot de bonneterie et, sa camelote sur le dos, il parcourt les marchés. Un petit village de l’Yonne devient son port d’attache et il s’inscrit au tribunal de commerce en 1931, comme marchand ambulant. C’est aux foires de Touraine et du Berry, aux grands marchés qu’on le rencontre dorénavant avec son étal bleu et rouge.
A Issoudun, il s’installe généralement en haut du boulevard Baron, devant le bâtiment de la banque de France. Les forains l’appellent Marius, en raison de son accent marseillais. Le nom lui restera jusqu’à son décès.
A cinquante ans, il s’essaie à la vie de couple. Mais sa compagne chaparde dans la caisse et ses filles attirent trop les regards en raison de leur moralité douteuse. Un jour, excédé, Jacob met tout ce petit monde à la porte.
En juillet 1936, les évènements d’Espagne l’attirent. Pendant quelques mois, il disparaît. Il veut se rapprocher de ses compagnons libertaires et ibériques. Un plan de transport et d’armement est imaginé. Contact est pris avec Basile Zakarof, un pétrolier marchand de canons.
Il faut de l’or. Les églises d’Espagne en disposent. Mais ses camarades espagnols ne semblent pas le comprendre ni surtout croire en lui. « Ils sont fadas » dit Marius à Pierre Valentin Berthier, journaliste au Département à Issoudun.
La guerre menace. Jacob quitte l’Yonne pour s’installer à Bois Saint Denis, près de Reuilly, pas très loin de ses vrais amis, Denizeau, Briselance, forains, et Berthier. Le jour de l’acaht de sa maison, chez Me Barge à Reuilly, Marius déplie lentement des billets de banque et paie comptant sa maison. Le voilà propriétaire ! Que pense-t-il ? Il a seulement vieilli.
Le 22 janvier 1940, jour de la Saint Vincent, Marius épouse Paulette, plus jeune que lui de quelques années. Madame Jacob prend vite le surnom de « essuyez vos pieds ». Maniaque du ménage, nerveuse, elle partage la vie de Jacob avant de le quitter définitivement des suites d’une longue maladie.
Dans ce pays de Bois Saint Denis, où il ne se passe jamais rien, Jacob subit deux affronts. Contrôle par la répression des fraudes ; son inventaire laisse apparaître un excédent de trente-deux mètres de tissu. Jugé par le tribunal d’Issoudun, il est puni de quinze jours de prison. « J’y ai souffert moralement davantage qu’au bagne, confie-t-il à Pierre Valentin Berthier, car la cause est injuste ».
De plus en plus Marius parle de sa mort à ses vrais amis. Denizeau et Briselance achètent sa maison. Et au mois d’août 1954, il convie à déjeuner neuf bambins dont certains habitent Reuilly, et à partager le boudin et une purée trop claire. Mais il y a de la limonade. C’est la fête. Tout est en ordre. Marius écrit à Berthier : « C’est fini », et dans un court texte donne ses consignes. Charbon de bois et piqûre apporte la paix au maître et à son chien. Marius Jacob quitte ainsi Bois Saint Denis.
CN
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