Aidez-vous vous-mêmes
Le dernier article du numéro de Germinal entièrement consacré au procès d’Amiens n’évoque pourtant pas directement Alexandre Jacob et les Travailleurs de la Nuit. Dans cette saynète, incomplète et certainement tirée du journal anarchiste hollandais De Vrije Socialist, deux hommes, Le Travailleur et L’Ami, discutent de la légitimité du vol. Le premier, candide et apparemment soumis à l’ordre social, finit bien sûr par être convaincu par l’argumentaire du second. De facto, le droit naturel à l’existence face à l’exploitation capitaliste doit engendrer la reprise de possession. En affirmant que le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ; l’honnête cambrioleur ne dit pas autre chose que le propos de l’auteur. Ferdinand Domela Nieuwenhuis, figure reconnue de l’anarchisme batave, ancien pasteur et ancien parlementaire, acquis aux principes de Bakounine, antimilitariste et très critique vis-à-vis du syndicalisme admet dans son texte les conséquences directes de l’action illégaliste. Bien souvent le cambrioleur finit en prison, quand il ne meurt pas sous les balles de la répression policière. Mais, comme Jacob dans sa déclaration Pourquoi j’ai cambriolé ?, Nieuwenhuis affirme aussi que le vol pratiqué collectivement peut aboutir à la destruction du vieux monde bourgeois, c’est-à-dire à la révolution.
N°11
Du 9 au 25 mars 1905
Aidez-vous vous-mêmes
Par F. Domela-Nieuwenhuis
Le Travailleur – Pourriez-vous me donner du travail ? Ou si vous n’en avez pas, pourriez vous me dire où je peux en trouver ?
L’Ami – Non ! Quant à moi je n’ai pas de travailleurs et par conséquent pas de travail à donner. Mais est-ce bien du travail qu’il te faut par plus que toute autre chose.
Le Travailleur – Oui, naturellement, car lorsque je n’ai pas de travail alors je n’ai pas de quoi manger.
L’Ami – Est-ce que tu n’as donc pas travaillé assez pour pouvoir manger à présent ?
Le Travailleur – Avec ça ! Penses-tu donc que nous autres travailleurs nous pouvons épargner assez pour en vivre dans le cas où le travail nous manque ? Cela ne semble rien. C’est déjà beaucoup si nous ne mourons pas de faim même quand nous avons du travail.
L’Ami – Mais tu me comprends mal. Je veux demander si vous autres travailleurs n’avez pas travaillé assez dans le printemps et l’été pour pouvoir vous reposer et jouir à présent.
Le Travailleur – Mais c’est de la blague ! Il n’y a pas un seul travailleur qui puisse faire cela.
L’Ami – Qui donc a labouré le champ ?
Le Travailleur – Nous naturellement ; cela va de soi.
L’Ami – et qui l’a hersé ?
Le Travailleur – C’est aussi nous.
L’Ami – Qui a semé les grains ?
Le Travailleur – Mais nous aussi. Ce n’est pas à redire.
L’Ami – Et qui l’a moissonné
Le Travailleur – Mais encore une fois, c’est nous.
L’Ami – Et maintenant, grâce à l’aide de vous autre toute la récolte est dans les granges ; n’est pas vrai ?
Le Travailleur – Oui, maintenant tout est en ordre.
L’Ami – Sans doute ! Et maintenant je croyais que vous autres qui aviez semé et récolté, devriez commencer à manger ce qu’il y a car vous avez maintenant aussi le droit d’avoir votre temps de repos.
Le Travailleur – Oui cela devrait être ainsi mais cela n’est jamais.
L’Ami – Mais il n’est pas nécessaire pourtant que l’on travaille maintenant.
Le Travailleur – Non ! car aussi la terre a maintenant son temps de repos.
L’Ami – Et aussi le travailleur devrait pouvoir se reposer.
Le Travailleur – Sans doute. Mais de quoi devrions-nous vivre ?
L’Ami – Mais c’est tout clair. Il y a abondance de biens et par conséquent tu n’as qu’à faire une chose, c’est d’en prendre.
Le Travailleur – C’est bien possible, mais qui prend va en prison.
L’Ami – C’est vrai. Mais tu ne dois pas craindre cela.
Le Travailleur – Mais ce serait voler.
L’Ami – Voler ? Voler ? Mais cela ne ressemble à rien.
Le Travailleur – Mais cela ne nous appartient pourtant pas.
L’Ami – Mais, à qui cela appartient-il donc ?
Le Travailleur – Mais au propriétaire de la terre.
L’Ami – Est-donc lui qui a fait le travail ? Est-ce donc lui qui est venu y donner un coup de main ?
Le Travailleur – Non pas du tout.
L’Ami – Est-donc celui qui n’a pas travaillé qui possède donc plus de droit que vous autres qui avez fait tout le travail ?
Le Travailleur – Du droit, il n’en a pas mais gare à nous si nous y touchons.
L’Ami – La cause en est à votre peur et votre manque d’énergie.
Le Travailleur – Mais qu’est-ce que nous pouvons alors faire contre tout cela ?
L’Ami – Mais tout ! Si vous n’avez pas peur et que vous osez agir, convaincus de vos droits.
Le Travailleur – C’est très facile à dire mais cela ne se fait pas aussi facilement.
L’Ami – Non, c’est parce que vous autres vous ne vous révoltez pas, parce que vous autres vous restez à dormir, les bras croisés, au lieu d’agir.
Le Travailleur – Mais que nous faut-il donc faire ?
L’Ami – C’est tout simple. Prendre tout ce qu’il faut.
Le Travailleur – Mais je te le disais déjà. Dans ce cas, opn nous mettrait en prison.
L’Ami – Sans doute, mais cela ne doit pas t’effrayer. Dans ce cas, au moins, tu est logé et nourri.
Le Travailleur – Mais ma femme et mes enfants ?
L’Ami – hé bien ! Ils n’ont pourtant pas de quoi manger quand tu ne gagnes pas, par conséquent ils n’ont rien à perdre. Et, en outre, la mère ne peut pas faire mieux que de prendre aussi en cas de besoin.
Le Travailleur – Lais alors elle aussi va en prison.
L’Ami – Mais sans doute. Alors elle aussi elle est logée.
Le Travailleur – Et les enfants ?
L’Ami – Eh bien ! il faut bien que l’on s’occupe de leur sort ; ils seront adoptés et soignés par la commune ; par conséquent tous auront ce qu’il leur faut : père, mère et enfants. N’est-ce pas mieux que quand tous souffrent de la misère ?
Le Travailleur – Oui, il n’y a rien à dire.
L’Ami – Daccord et si tous les ouvriers qui produisent agissaient de même, qu’est-ce qu’on pourrait faire contre cela ?
Le Travailleur – C’est vrai, ils en seraient très embarrassés.
L’Ami – Si seulement dans chaque commune il y avait cinq hommes et cinq femmes énergiques qui le fassent, ils en seraient très embarrassés.
Le Travailleur – oui, ce serait dix personnes dans chaque ville.
L’Ami – Et qu’est-ce qu’ils pourraient faire contre eux avec leur police et leurs soldats ? Dans notre pays (Hollande), il y a 3500 communes. Imaginez qu’ils envoient partout 20 soldats, alors le gouvernement aurait besoin de 20 fois 3500, c’est-à-dire 70000 soldats.
Le Travailleur – Ca deviendrait une chose comique.
(à suivre)
Traduit du Hollandais par Henriette Hoogeveen
Ferdinand Domela Nieuwenhuis
Le 18 novembre 1919, mort de Ferdinand Domela NIEUWENHUIS.
Figure importante de l’anarchisme et de l’antimilitarisme néerlandais.
Il naît le 31 décembre 1846, à Amsterdam, dans une famille bourgeoise aisée. Pasteur protestant comme son père, il rompt pourtant avec l’église vers 1870, et crée en 1878 le journal socialiste » Recht voor Allen » (Justice pour tous) qui deviendra l’organe de la « Sociaal Democratische Bond » (S.D.B) première organisation socialiste dont il est un des fondateurs. Arrêté pour « trahison » (en fait, un simple « délit de presse »), il est libéré le 31 août 1887 grâce à la pression de l’opinion publique, mais échappe de très peu à un attentat à Rotterdam. L’année suivante il est élu député et exerce son mandat jusqu’en 1891.Cette expérience lui fait découvrir le rôle néfaste du parlementarisme. Dès lors il abandonne les politiciens et le pouvoir pour se rallier à l’anarchisme de Bakounine et à la libre pensée. En 1894, il publie à Bruxelles une première brochure « Le Socialisme en danger » (préfacée par Elisée Reclus), qui deviendra en 1897 un livre de référence.
En 1896, il quitte avec fracas le Congrès socialiste de Londres (où vient d’être voté l’exclusion définitive des anarchistes), puis édite en 1898 le journal anarchiste « De Vrije socialist » (« Le Libre socialiste », qui prendra ensuite le titre « De Vrije Anarchistisch Tijdschrift ») autour duquel graviteront de nombreux groupes anarchistes. En 1900, il publie le livre « La Débâcle du marxisme ». Organisateur du congrès antimilitariste d’Amsterdam en juin 1904, ainsi qu’en août 1907, il est un ardent propagandiste de la grève générale en cas de conflit. Opposé cependant à une organisation anarchiste structurée, et critique par rapport au syndicalisme, il ne participe pas au « Congrès International Anarchiste d’Amsterdam » en 1907.
En 1914, fidèle à l’idéal libertaire, il s’oppose au manifeste des 16 (favorable à l’interventionnisme dans la guerre) et signe avec Emma Goldman, Malatesta, etc., le manifeste « L’Internationale et la guerre ». En 1918, il apporte son aide à Rudolf Rocker (expulsé d’Angleterre), mais meurt l’année suivante. Ses funérailles donneront lieu à une impressionnante manifestation de ferveur de la classe ouvrière.
« Il n’y a pas de distinction possible entre les guerres offensives et les guerres défensives » Constatant qu’il serait « naïf et puéril (…) de chercher à établir les responsabilités de tel ou tel gouvernement ». « Nous devons profiter de tous les mouvements de révolte, de tous les mécontentements, pour fomenter l’insurrection, pour organiser la révolution, de laquelle nous attendons la fin de toutes les iniquités sociales ».
in « L’Internationale et la guerre ».
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