Dix questions à … Romain Louvel


Les projets de bande dessinée sur Alexandre Jacob ne manquent pas. Peu aboutissent pourtant. Parmi celles-ci, Les Souvenirs d’un révolté par Romain Louvel en 2006. Seize ans plus tôt, Jacob prenait les traits de Tintin dans L’Aminoir, journal d’expression libertaire de la région Nord-Picardie. En 1992, les dessinateurs Lacaf et Moriquand l’intègrent dans le quatrième tome de leur série Pêcheurs d’étoile parue chez Glénat en 1992. Dans 26 rue de la Martinière, le bandit social n’est certes pas le gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc mais il revêt les habits du voleur joyeux et audacieux qui se joue avec une malice extrême des pièges tendus par la police. L’anarchisme est bien présent. Seulement les auteurs l’interprètent comme une justification facile des cambriolages et de l’association de malfaiteurs formée sur Marseille. En 2001, l’audacieux et intrépide monte-en-l’air est toujours au rendez-vous dans Rochefort, un voyage dans le temps (éditions Tabary). Bien évidemment et de manière anecdotique, le lecteur découvre l’extraordinaire cambriolage de la maison de Pierre Loti. Romain Louvel, en 2002, publie sur Internet des extraits de planches qu’il n’arrive pas à publier d’une autre manière. Son travail narre l’arrestation d’Alexandre Jacob en 1903. Artiste plasticien installé en Bretagne, cet auteur imagine retranscrire par l’image un témoignage qui rappelle à notre époque des préoccupations majeures d’ordre sociale et humaines. Nous nous éloignons alors fort heureusement quelque peu de l’image du héros de roman entrevue jusqu’ici. L’ouvrage parait enfin en 2006, autoproduit  et vendu par souscription. Il prend le nom du mémoire écrit par Jacob à la prison d’Orléans dans l’attente de son second procès en juillet 1905 et nous livre un des récits les plus aboutis, les plus vivants et les plus poignants sur le sujet. Romain Louvel a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions sur la difficulté, entre autres, de faire exister une figure de l’illégalisme français par l’image.

1) En dehors d’Alexandre Jacob, quelle est ta production ? Où en est l’actualité de Romain Louvel ?

Je me suis toujours intéressé à la BD sans jamais en faire mon vrai métier. Je suis d’abord artiste et chercheur en art plastique. Ma production BD est très occasionnelle et la plupart du temps non éditée. En revanche, je fais un peu d’illustration, de dessins et de graphisme. Mais pour une grande partie, j’invente et je mets en place des projets artistiques pluridisciplinaires, en collaboration avec des pédagogues de rues et des chercheurs en sciences humaines. Je positionne ma pratique de l’art au cœur de mes préoccupations sociales et politiques, tout en menant une recherche appliquée, à la fois pour l’étude et la pratique de l’art, mais aussi pour apporter un éclairage critique de notre société (voir http://assortiment2.free.fr). J’ai récemment exposé une installation intitulée « L’Exposition » au centre d’art contemporain de la Criée à Rennes, et je travaille depuis 1 an à l’élaboration d’un projet artistique de coopération européenne intitulé « Expéditions », lequel réinterroge les fondements épistémologiques de la culture occidentale alimentés par l’expansion coloniale, sous couvert d’expédition scientifique. Nous réinvestissons les principes d’action de l’ethnographie à l’endroit des quartiers populaires pour renverser le motif de l’expédition et révéler les préjugés qui précèdent le regard scientifique, profane, conquérant ou philanthrope (voir http://www.expediton-s.eu).

2) Pourquoi as-tu choisi d’adapter en bande dessinée les Souvenirs d’un révolté ? Pourquoi ne pas avoir opté pour une narration complète de la vie ou des vols de l’illégaliste ?

Avant tout, j’ai été charmé par l’atmosphère du récit de Jacob et sa charge littéraire. Je me suis lancé dans ce travail spontanément. Je n’ai jamais eu l’intention de faire une BD sur Jacob en tant que personnage.

3) Quelle place accordes-tu dans ton récit aux personnages que sont les voleurs Bour et Pélissard d’un côté et « les bonnes gens » de Picardie de l’autre ? Sont-ils des personnages secondaires ?

Là encore, il s’agit du récit de Jacob. Je n’ai fait que découper son récit en séquence pour le traduire en BD. Donc la place accordée à ces personnages est celle que Jacob leur a donnée. J’ai essayé de rester le plus fidèle à son histoire. Pour moi, ce sont des personnages à dessiner, comme les autres. Dans cette histoire, je suis un technicien.

4) Ton récit s’arrête sur ce que la presse de l’époque a appelé « le drame de Pont Rémy ». La dernière image est celle d’un Jacob littéralement mangé par la campagne picarde, impression renforcée par l’usage du noir et blanc. Mais il n’y a pas le mot FIN. As-tu prévu une suite ?

Oui. J’ai découpé tout le récit en trois parties. La première partie, celle que vous connaissez, s’arrête brutalement au point critique ou Jacob se retrouve seul, soudainement mis à découvert. J’ai trouvé cela dynamique pour introduire la seconde partie. Malheureusement, mon travail n’a pas convaincu les éditeurs, et il était hors de question pour moi de poursuivre ce travail sans aucune garantie d’édition. J’ai mis plusieurs années à réaliser ce premier tome, sans aucune aide, ni financement. Je suis donc passé à autre chose. Le script existe pour le second tome, qui concerne la fuite de Jacob dans la campagne. Dans le troisième tome, j’avais prévu de traiter le procès et le départ au bagne.

5) Dans ton site internet, herel.free.fr, tu évoques le fruit d’un travail de recherche graphique et historique qui a débuté en 1998. Ta bande dessinée est sortie en 2006. Qu’as-tu fait pendant ces huit années ? Ce travail de recherche fut si dur que cela ?

En 1998, l’internet public était balbutiant, voire inexistant. Les images sur Jacob et cette époque-là dans la somme étaient rares. J’ai dû me déplacer aux archives de la SNCF, contacter les archives de la gendarmerie, partir à la recherche d’anciennes cartes postales, etc. Sans parler des questions vestimentaires, architecturales, urbaines, etc. Faire un BD, c’est mettre en image un monde, une époque, et tout cela doit être crédible, juste. Il y a une dimension historique à respecter, mais qui reste toujours au second plan pour le lecteur, qui passe, en moyenne, une seconde sur une image laquelle a demandé parfois 8 heures de boulot cumulées. Cette recherche graphique a donc été très longue. En plus, je n’avais pas tout mon temps à consacrer à ce travail non rémunéré. J’ai même failli abandonner le projet. J’ai finalement pris la décision d’autoéditer ce premier tome très tardivement, car déjà, aucun éditeur sollicité (Vertige Graphic, l’insomniaque, Seuil, Castermen, Rackam, etc.) n’a voulu de mon travail.

6) Comme nous, tu sembles avoir été marqué par la publication des Ecrits de Jacob par les éditions de L’Insomniaque en 1995 puis en 1999. As-tu lu les biographies de Jacob commises par Alain Sergent en 1950, par Bernard Thomas en 1970 et 1998, par William Caruchet en 1993 et par celle plus récente de Jacques Colombat ? N’y a-t-il pas inflation de livres sur le sujet ? En quoi sont-ils critiquables ?

Non, je n’ai rien lu d’autre, si ce n’est certains passages de ta thèse. En fait, je ne suis pas un passionné de Jacob sur le plan historique. Je m’intéressesse beaucoup à la littérature dit «révoltée» et à son histoire, et je suis tombé sur Jacob, parmi Bakounine, Proudhon, Reclus, Stirner, etc. Cet intérêt est en fait parallèle à mes recherches sur l’art. Mais il est certain qu’aujourd’hui il y a une inflation de livres sur TOUS les sujets. Une certaine histoire de la révolte est donc très prisée et des personnages comme Jacob ne deviennent rien de plus que des sujets, voire de la marchandise.

7) Tu as autoproduit ta bande dessinée. Pourquoi ? L’as-tu proposée à des maisons d’éditions ?

Voir réponse 5

8 ) On retrouve Alexandre Jacob dans le tome 4 (26 rue de la belle marinière, Marseille, Glénat 1992) de la série Pécheur d’étoiles, Moriquand et Lacaf croquent un ingénieux et intrépide voleur. On reconnait alors plus la jovialité et l’audace que la profondeur du discours politique et social de l’honnête cambrioleur. L’histoire de Jacob n’est-elle pour toi qu’un fait divers plus extraordinaire que les autres ?

Le récit de Jacob est pour moi un récit de genre, très marqué, qui porte en lui un engagement social et politique évident et une force de narration. Jacob est un écrivain, c’est indéniable. Concernant l’histoire de Jacob, c’est autre chose et, bien sûr, elle dépasse le stade du fait divers.

9) Tu as écrit justement que le témoignage de Jacob rappelle à notre époque des préoccupations d’ordre social et humain ? Quelles sont ces préoccupations ? Le discours du voleur est-il universel ? Cela signifie-t-il une viabilité politique de l’illégalisme anarchiste ?

Je veux parler d’injustice, de pouvoir, d’aliénation et du mensonge. Le discours de Jacob dans son récit « Souvenir d’un révolté » nous montre que nous n’avons rien réglé aujourd’hui. Ce sont les mêmes mécanismes qui gouvernent  : « L’espoir d’une retraite » ou « Se croire honnête parce qu’on est esclave », ou encore « La misère enrégimentée qui dédaigne la misère errante », etc. Je ne dis pas que l’analyse que Jacob fait de la société de l’époque est universelle, si ce n’est la question dominant-dominé qui résiste à toutes les civilisations, mais je pense que nous vivons aujourd’hui dans le même cadre de domination. Il n’y aura aucune viabilité politique pour une quelconque idée de gauche si nous ne changeons pas de cadre. Je n’ai aucune solution à proposer. Les initiatives humaines, à ce niveau de révolution, ont bien souvent été pitoyables. Il y a quelque chose de profondément organique dans l’évolution  des sociétés humaines qui dépasse le pragmatisme de la conscience politique et sociale. Notre intelligence nous aveugle, d’une certaine façon.

10) Nous nous gaussons régulièrement dans les colonnes du Jacoblog de ce fallacieux amalgame trop souvent fait entre le voleur anarchiste et le gentleman cambrioleur bourgeois qui a fait la fortune littéraire et financière de Maurice Leblanc. Es-tu toi aussi atteint de lupinose ?

Si je parle de la force de narration et des qualités littéraires du récit de Jacob, ce n’est pas pour faire référence à Lupin (que je connais très peu). Je ne vois d’ailleurs pas le rapport. Lupin est un personnage de fiction, un collectionneur totalement irréaliste, attaché aux objets matériels. De même que la figure de Robin des bois ne correspond pas non plus. Non, Jacob a eu son histoire, elle lui est propre. Qu’elle serve d’inspiration, c’est autre chose. Mais l’inspiration de l’un ne corrompt pas pour autant la source. Les gens n’ont qu’à se renseigner.

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