Bernard versus William
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Alain Sergent ne constitue pas forcément la référence principale et « obligée » de l’ensemble des articles, des émissions, des fictions télévisées, des bandes dessinées ayant l’honnête cambrioleur pour sujet. L’ouvrage, qui connaît un certain succès à sa sortie, est désormais quasiment introuvable, même sur les sites Internet de vente de livres d’occasion. Il a toutefois été réédité par les Editions Libertaires en 2005. C’est alors à deux autres auteurs de servir de certificat d’authenticité pour qui veut produire une œuvre sur l’anarchiste. Bien souvent, le détenteur du savoir, l’homme qui a vu l’homme qui a vu … Alexandre Jacob se targue d’être le seul à détenir les clés de la vérité, vraie et historique. L’opposition entre Bernard Thomas et William Caruchet a vite fait de tourner au conflit judiciaire.
Bernard Thomas écrit son Jacob pour les Editions Tchou en 1970, puis en donne une deuxième version à peine remaniée en 1998. Les vies d’Alexandre Jacob sortent chez Mazarine. Entre temps, en 1993, le Marius Jacob de l’avocat niçois William Caruchet paraissait chez Séguier. Les deux auteurs reprennent largement les informations données à Sergent par Jacob. Et même s’ils s’appuient entre autre sur une lecture de la presse de l’époque, ils n’en demeurent pas moins tous deux sujets à critiques.
Sous couvert d’anarchisme, Alexandre Jacob demeure un aventurier, le héros d’un vrai roman pour Benard Thomas, un anarchiste cambrioleur pour William Caruchet. Le rapprochement avec le personnage de Maurice Leblanc devient légitime. Les deux versions de la vie de Jacob s’autorisent de nombreuses infidélités avec la réalité des faits pour mieux accentuer le penchant romanesque de leur récit et pour combler le manque de sources. Autrement dit, de l’anarchiste nous devons une fois de plus retenir ses exploits, ses vols, son audace, son bagne.
Si Bernard Thomas, en 1998 peut se prévaloir des compliments reçus d’Alain Sergent à l’occasion de sa première biographie de Jacob, c’est bien parce que, cinq ans plus tôt, Caruchet s’appuyait sur une préface de l’écrivain Alphonse Boudard. Dans les deux cas, il s’agit bien évidemment, de mettre en avant le sérieux de pseudo-recherches, la force de l’écrit et la puissance du style de son propre ouvrage.
Sérieux des recherches ? Comme Bernard Thomas, William Caruchet utilise essentiellement le propos de Sergent mais, à la différence du journaliste, l’avocat a cherché à rencontrer des amis de Jacob. Bernard Thomas et William Caruchet n’ont pas daigné se rendre à Reuilly. Cela donne lieu d’ailleurs lieu à des passages d’une platitude extraordinaire sur le Berry considéré comme un monde perdu que Jacob aurait choisi pour mieux s’y faire ermite.
En 1970, Bernard Thomas aurait pu s’entretenir avec les époux Passas. Il ne le fait pas non plus pour Josette Duc en 1998, Robert Passas étant décédé quelques années plus tôt. William Caruchet a pu discuter avec l’ancien instituteur et, sous couvert d’un prêt d’argent, il lui a aussi subtilisé au passage quelques lettres de l’anarchiste ainsi qu’une série de trois cartes postales évoquant le bagne.
Mais, au-delà de multiples différences et loin de créer une originalité dans chaque cas, les écrits des deux biographes finissent par se ressembler. Et cette similitude du livre de William Caruchet avec celui de Bernard Thomas est telle que le journaliste au Canard Enchaîné engage des poursuites judiciaires pour plagiat. L’avocat niçois perd son procès. L’éditeur, Séguier, a-t-il du mettre la clé sous la porte. Toujours est-il que son fonds a été racheté, en 1997, par les Éditions Atlantica, ayant leur siège à Biarritz.
A vrai dire la polémique ne doit pas nous surprendre. C’est en effet la deuxième fois que les deux hommes produisent le même ouvrage à quelques pages près. En 1968, Bernard Thomas écrivait, toujours chez Tchou, une narration de Jules Bonnot et de ses bandits tragiques. Vingt-deux ans plus tard, William Caruchet reprend la même idée. Son livre, Ils ont tué Bonnot, est publié aux éditions Calman Lévi. Avec Alexandre Jacob, nous pouvons aisément comprendre l’agacement du premier vis-à-vis du second, qualifié cinq ans après les faits, en compagnie de son éditeur Paul Morel des éditions Séguier, de couple d’escrocs plagiaires[1]. Force est de reconnaître que, malgré de nombreuses divergences, une grande partie de l’œuvre de William Caruchet s’inspire directement de celle de Bernard Thomas.
L’ouvrage de l’avocat commence par le vol au Mont de Piété de Marseille, celui du journaliste introduit le lecteur dans la vie d’Alexandre Jacob par l’effervescence du procès d’Amiens. Après, quelques exemples suffisent alors pour saisir la grande similitude entre les deux écrits. Les extraits du livre de Bernard Thomas sont ceux de la première version parue chez Tchou en 1970.
Bernard Thomas p.47 : Il découvrit également l’existence d’un véritable trafic de bétail humain. Juifs, Grecs, Arméniens, embarqués à Beyrouth, Salonique, à Batoumi, parqués dans l’entrepont, entassés, encaqués, humiliés, fautifs d’être pauvres (…). William Caruchet p.43 : Il découvre un trafic de bétail humain. Des émigrants juifs, grecs, arméniens sont embarqués à Beyrouth et Salonique. Destination : l’Amérique. Hommes, femmes et enfants sont entassés dans l’entrepont.
Bernard Thomas p.84 : Lorsqu’il sortit de la prison Chaves, en avril 1898, il avait mûri. (…) S’il n’avait pas été révolté avant son séjour derrière les verrous, il le serait alors devenu. William Caruchet p.67 : Quand il quitte la prison Chaves, en avril 1898, son anarchisme s’est encore affermi. C’est un homme d’expérience qui veut reprendre le combat.
Bernard Thomas p.111 : Au cours de ses pérégrinations, il se retrouva chez l’alcade de Saint Jacques de Compostelle, un sympathisant à qui il avait déjà rendu visite lors de son premier voyage. William Caruchet p.72 : Au hasar de ses déplacements, il se retrouva chez l’alcade de Saint Jacques de Compostelle, un sympathisant anarchiste.
Bernard Thomas p.121-122 : Le lendemain, vêtu en charpentier, métamorphosé par une barbe, de l’argent en poche, muni de papier parfaitement en règles au nom de Jean Concorde, il se trouvait à Sète chez Sorel, l’ami de Caserio. William Caruchet p.77 : Le lendemain, déguisé en charpentier, il prend le train pour Sète. Là, sous le nom de Jean Concorde, il est hébergé par le chef des libertaires de la ville Sorel. Ce Sorel fut l’ami de Santo Caserio.
Bernard Thomas p.227-228 : A Pont Rémy, il retrouve Pélissard. On les met dans un train pour Abbeville. Là, les fourches caudines destinées aux vaincus les attendent. Il faudra y passer. Le bon peuple les hue. (…) Sans escorte de cavaliers, il aurait été lynché. William Caruchet p.133-1334 : Ramené à Pont Rémy, il retrouve Pélissard. Encadrés de plusieurs gendarmes, ils sont acheminés par le train à Abbeville. A leur arrivée, une meute les attend, prête à les lyncher.
Bernard Thomas p.272 : Au moment de le servir, le prévôt chargé de distribuer la soupe (…) se racle la gorge. Un énorme crachat aboutit dans la gamelle pleine. L’homme éclate de rire. (…) Alexandre serre les dents. (…) Les deux porteurs de soupe dépités par leur échec passèrent à la cellule voisine. William Caruchet p.188 : Un soir, au moment de la soupe, le prévôt crache dans sa gamelle. Jacob serre les dents. (…) Le même jeu recommence avec l’occupant de la cellule voisine.
Bernard Thomas p.300 : Bonal, un surveillant créole, particulièrement sadique, veut faire ranger les transportés le long du bastingage. Il pleut. La mer est forte. William Caruchet p.210 : Bonal, un surveillant créole, connu pour son sadisme, veut faire ranger les forçats le long du bastingage. Il pleut. La mer est forte.
Bernard Thomas p.347 : Quand les portes de la prison s’ouvrirent enfin devant lui, le 30 décembre 1928, il y a tout juste vingt-cinq ans, deux mois et huit jours qu’il n’a pas vu sa mère. (…) La mère et le fils s’embrassent simplement. (…) Rose est morte depuis cinq ans. William Caruchet p.304 : Vingt-cinq ans, deux mois et huit jours, soit un quart de siècle de captivité. Il a 49 ans. La mère et le fils s’étreignent. Rose, sa compagne, est morte depuis cinq ans.
[1] lettre de Bernard Thomas à Jean-François Amary, 11 août 1998.
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