Malato
MALATO de CORNET Charles, Armand, Antoine.
Né à Foug (Meurthe-et-Moselle), le 7 septembre 1857 ; mort à Paris le 7 novembre 1938 ; correcteur à la Chambre des Députés ; écrivain ; publiciste ; militant libertaire ; franc-maçon.
Le père de Charles Malato – Antoine Malato de Cornet – était Sicilien ; combattant de la révolution italienne de 1848, il se réfugia à Toul et y épousa une Lorraine (Marie Louise Hennequin). Condamné après la Commune pour sa participation comme capitaine, il fut arrêté en 1874 puis déporté. Sa femme — qui devait y mourir — et son fils Charles, qui abandonna ses études de médecine, l’accompagnèrent en Nouvelle-Calédonie. Charles Malato, qui travaille sur le Caillou comme télégraphiste, fut un des rares, aux côtés de Louise Michel, à soutenir la révolte des Kanaks de 1878. Il revint en juin 1881.
Charles Malato fut un militant anarchiste actif, un publiciste et un écrivain fécond, plus qu’un orateur. S. Faure, dans l’article nécrologique qu’il lui consacra dans Le Libertaire du 17 novembre 1938, traça de lui ce portrait :
Certes, il possédait à fond la connaissance des idées libertaires ; il parlait une langue châtiée, voire élégante, il s’exprimait avec une clarté et une précision peu communes. Mais, à la tribune, il était handicapé par une timidité qui le privait d’une partie de ses moyens » ; il déconcertait ceux qui entendaient « la voix légèrement voilée et le geste à peine esquissé et presque hésitant de cet homme grand, robuste, taillé en force, dont ils savaient le courage physique.
En 1886, Malato fonda avec quelques amis, dont Ortiz et Pausader, dit Jacques Prolo, La Révolution cosmopolite et un groupe du même nom qui tenait des réunions. Il publia en 1889 un de ses principaux ouvrages, Philosophie de l’Anarchie, dans lequel il exposait ses théories et définissait son idéal, conforme aux thèses classiques de l’anarchisme communiste. Toutefois, il prévoyait une période transitoire de deux ou trois générations, avant que se réalise la société libertaire.
Il habitait alors 26 rue d’Avron (20ème arr.). C’est lui qui aurait surnommé Jean Grave « le pape de la rue Mouffetard »
Collaborateur de l’Attaque, fondée par Gégout, il fut condamné avec celui-ci, le 28 avril 1890, par la cour d’assises de la Seine, à quinze mois de prison — qu’ils purgèrent à Sainte-Pélagie — pour « provocation au meurtre, pillage et incendie ». Le même jour, Malato fit l’objet d’un arrêté d’expulsion, qui fut rapporté le 29 avril 1895.
En 1892, il avait protesté contre la campagne anti-1er Mai menée par S. Faure.
Il prend part à de nombreux complots et actions clandestines, mais son « anarchisme insurrectionnel » le désigne à la police. Contraint à l’exil (expulsé car il n’a pas encore la nationalité française), il arrive le 4 avril 1892 à Londres, où il restera deux années et racontera dans « Les joyeusetés de l’exil » la vie quotidienne des réfugiés politiques en Angleterre. Il collabora à La Fortnighty Review et y fit partie du groupe L’Avant-Garde, avec Malatesta, Kropotkine, Louise Michel, groupe qui se livra en particulier à une propagande en faveur de l’entrée des anarchistes dans les syndicats. C’est à Londres, où il avait eu l’occasion de rencontrer Émile Henry, qu’interviewé après l’attentat du café Terminus (12 février 1894), il déclara : L’acte d’Émile Henry, qui est pourtant un anarchiste de haute intelligence et de grand courage, a surtout frappé l’anarchie […] J’approuve toute violence qui vise l’obstacle, qui frappe l’ennemi, non celle qui frappe aveuglement.De retour en France en 1894, il poursuit son engagement.
Il fut également particulièrement actif pour dénoncer les persécutions contre les anarchistes espagnols suivant l’attentat de la rue Cambios Nuevos (1896) et le procès de Montjuich et noua des realtions avec le militant espagnol Tarrida del Marmol.
Au moment de l’Affaire Dreyfus, et pour répondre aux manifestations nationalistes, il fit partie du comité Coalition révolutionnaire fondé en octobre 1898, avec Sébastien Faure, Pouget, Mirbeau, etc., pendant du Comité de Vigilance qui rassemblait les différentes fractions socialistes, et, en 1899, il collabora au Journal du Peuple fondé par Sébastien Faure pour défendre Dreyfus (n° 1, 6 février, n° 299, 3 décembre). Cette même année, le 12 juin, Malato fut à nouveau condamné, cette fois à 50 f d’amende, par la 8e chambre du tribunal correctionnel, pour port d’arme prohibée suite à son arrestation lors de manifestation antiroyaliste et antinationaliste tenue la veille à Longchamp.
Est-ce à l’occasion de l’affaire Dreyfus et du passage à Marseille de l’équipe du Libertaire que le jeune Alexandre Jacob rencontre Malato, toujours est-il qu’une amitié certaine lie les deux hommes. On retrouve d’ailleurs Malato dans les écrits de l’honnête cambrioleur au bagne sous le pseudonyme de l’oncle Charles. C’est encore lui qui organise au début de l’année 1908 et au début de 1909, une tentative d’évasion du matricule 34777 en mettant au point un faux mariage avec une dénommée Olga Kazenelson. Alertée par la Sûreté parisienne, l’Administration Pénitentiaire classe B l’interné Jacob qui ne doit plus quitter les îles du Salut. Nous ne savons pas en revanche quelle fut la part prise par Malato dans l’illégalisme de Jacob ni même quel fut son soutien lors du procès d’Amiens en mars 1905.
Cette année-là, Malato fut d’ailleurs compromis dans l’affaire dite « de la rue de Rohan », lors de la visite à Paris du roi d’Espagne Alphonse XIII. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, à l’angle des rues de Rivoli et de Rohan, un individu lança deux bombes sur le cortège qui revenait de l’Opéra et se dirigeait vers le ministère des Affaires étrangères ; dix-sept personnes furent blessées dont plusieurs grièvement. Le roi et le président de la République furent indemnes. Le coupable, qui ne fut jamais arrêté, aurait été Aviño, un anarchiste espagnol, connu sous le nom d’Alexandre Farras. Ce qui est certain, c’est que la police était au courant du complot, puisqu’elle arrêta dès le 25 mai l’Espagnol Vallina et l’Anglais Harvey (cf. Arch. Nat. F7 / 12 513, rapports d’indicateurs des 23 et 30 mai).
La police reprochait à Malato, qui fut inculpé avec Vallina, Harvey et un nommé Caussanel, le fait qu’il avait reçu le 27 avril et le 12 mai des colis contenant des bombes semblables à celles qui devaient servir à l’attentat. Le « Procès des Quatre » s’ouvrit le 27 novembre, devant la cour d’assises de la Seine ; de nombreuses personnalités apportèrent à Malato des témoignages de moralité, ainsi Lucien Descaves, E. Vaughan, H. Rochefort, A. Briand. Devant l’obscurité de cette affaire, les jurés acquittèrent les quatre prévenus.
De 1907 à 1914, Malato collabora à la Guerre sociale et à la Bataille syndicaliste (n° 1, 27 avril 1911).
Au moment de la Première Guerre mondiale, il se rallia à l’union sacrée ; dès le 4 août, il écrivit dans la Bataille syndicaliste : La cause de la France est redevenue celle de l’humanité. Il signa, en février 1916, le « Manifeste des Seize », avec Kropotkine, Grave, P. Reclus, le Dr Pierrot, C.-A. Laisant, etc., qui condamnait l’agression allemande et considérait la guerre contre l’Allemagne comme une guerre de défense de la liberté. L’implication de Malato dans le Manifeste des Seize provoque une brouille évidente avec Alexandre Jacob qui, du bagne, indique à sa mère de cesser toute relation avec lui :
Tiens, Charles t’a écrit du Brésil ? Que peut-il bien prétexter pour justifier sa désertion ? Je n’aime pas ces sortes de caractère dont le propre est d’en manquer totalement. Quand on combat pour un drapeau quel qu’il soit, on doit aller jusqu’au bout, quel qu’en puisse être le résultat. La défection est toujours une lâcheté. Aussi bien n’ai-je que faire de son amitié. D’ailleurs, tu le comprends, depuis vingt ans que je ne l’ai vu, il m’est plutôt indifférent que sympathique. J’ai idée que si jamais son oncle Julien le revoit, il n’aura qu’à bien se tenir. (Alexandre Jacob, lettre du 15 mars 1918)
La lettre ci-dessus est codée pour éviter toute censure de l’AP, Charles désigne Malato et Julien Jacob lui-même. Le bagnard pratique alors un système d’inversion où Charles devient l’oncle alors que dans de précédentes lettres il était le neveu. De la même manière, la défection, la désertion de Charles implique son ralliement à l’Union Sacrée. L’allusion au Brésil, où Malato s’est rendu avant guerre peut aussi désigner l’Angleterre.
Au début de l’année 1918, Malato fit en effet une demande de passeport pour ce pays et il séjourna quelques mois à Londres. Puis il revint en France : il avait demandé à être incorporé, ce qui fut fait le 8 juin 1918. Dans une lettre à Grave, datée 18 août 1918, il précisait qu’il avait été affecté successivement à l’École militaire comme secrétaire d’état-major, à l’hôpital du lycée Michelet à Vanves, au centre Faidherbe, 94, rue de Charonne, et il ajoutait : Tous ces déplacements en attendant mon départ sur le front. Malato, alors naturalisé Français, eut soixante et un ans le 7 septembre 1918. Le 30 octobre, il se trouvait toujours à Paris.
En 1919 il suivait de près les activités des éditions et de la librairie de l’Escuela Moderna à Barcelone et était en contact avec son responsable Fernando Vela Alfredo Meséguer qu’il logeat à son domicile, 160 bis rue de Vercingétorix (14ème arr.) lors du passage de ce dernier à Paris en mai 1919. Il entretenait également des contacts avec la veuve de Lorenzo Portet, exécuteur testamentaire de Francisco Ferrer et Rachel Hénault, veuve du médecin belge Lucien Hénault et traducteur du livre de Ferrer « L’Ecole moderne ».
Il collabora aux Temps Nouveaux et à Plus Loin, revue du Dr Pierrot. Devenu correcteur à la Chambre des Députés, il adhéra, le 1er janvier 1928, au syndicat des correcteurs. Il était par ailleurs affilié à la franc-maçonnerie.
Le journal Le Peuple publia, du 5 octobre 1937 au 29 mars 1938, les souvenirs de Malato, sous le titre Mémoires d’un libertaire.
Malato fut incinéré le 11 novembre 1938 au columbarium du Père-Lachaise. Aucun discours ne fut prononcé, mais son neveu lut une allocution rédigée par son oncle et qui se terminait ainsi : Mourant en libertaire qui s’est toujours efforcé de marcher vers la réalisation de son idéal, je me permettrai de vous donner à vous, vivants, ce conseil : » Soyez bons, mais soyez forts… «
Il ne faudrait pas oublier que Malato, qui prit souvent le pseudonyme de Talamo, est aussi un écrivain fécond. Il expose ses théories dans de nombreux essais, laisse plusieurs volumes de souvenirs de sa vie militante : De la Commune à l’anarchie (1894), Les Joyeusetés de l’exil (1897), qui comprend la période 1892-1895, c’est-à-dire l’exil à Londres, les voyages clandestins à la recherche de la révolution, l’excursion en Belgique pendant l’agitation pour le suffrage universel (1893), en Italie pendant la période d’émeutes de 1893-1894. Charles Malato est aussi auteur de contes, de romans et de pièces de théâtre – parfois signés de l’anagramme de son nom, Talamo. Il écrit en 1905 L’Île des pins, d’après un fait réel qui se déroule en Nouvelle-Calédonie, pièce qui n’est jamais jouée. Dans son livre consacré à Sébastien Faure, Jeanne Humbert mentionne par ailleurs la représentation d’une pièce de Charles Malato, En guerre : en novembre 1905, à l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, après laquelle Sébastien Faure aurait parlé avec chaleur de Charles Malato.
Les Légendes et chants de gestes canaques (1885) dans Louise Michel, contiennent un conte écrit par Charles Malato : « Le rat et le poulpe » par Charles Malato.
Ses Mémoires d’un libertaire paraîtront en feuilleton dans Le Peuple d’octobre 1937 à mars 1938.
SOURCES : Arch. PPo. non versées. — J. Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste, op. cit. — Correspondance J. Grave, IFHS — L. Campion, Les Anarchistes et la FM, Marseille, 1969. — L’En-Dehors, n° 326, janvier 1939, article de J. Marestan.
Bibliographie
Entre deux amours. La Maube et le Quartier, Paris, Jules Rouff et Cie, s.d. [ca 1880, d’après le catalogue de la BNF]
Avant l’heure, Paris, Bibliothèque révolutionnaire cosmopolite, 1887
Philosophie de l’anarchie, Paris, Bibliothèque cosmopolite, 1889 [rééd : Philosophie de l’anarchie : 1888-1897, Paris, P.-V. Stock, 1897]
Prison fin de siècle, souvenirs de Pélagie (janvier 1891) (avec Ernest Gégout), Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1891
De la Commune à l’anarchie, Paris, P.-V. Stock, 1894
Les Joyeusetés de l’exil, Paris, P.-V. Stock, 1897
Contes néo-calédoniens (TALAMO), Paris, L.-Henry May, 1897
L’homme nouveau, Paris, P.-V. Stock, 1898
Barbapoux, drame satirique en deux actes, Paris, Librairie républicaine René Godefroy, 1901
Les Mémoires d’un gorille (TALAMO), Paris, Société française d’éditions d’Art, 1901
Un jeune marin (TALAMO), Paris, Société française d’édition d’art, 1901
Les Enfants de la liberté (TALAMO), Paris, Société française d’éditions d’Art [1903]
La Grande grève, roman social, Paris, Librairie des Publications populaires, 1905
Les Classes sociales au point de vue de l’évolution zoologique, Paris, V. Giard et E. Brière, 1907
Perdu au Maroc, Paris, F. Rouff, Grande collection nationale, n° 46, s.d. [1915]
Pierre Vaux, ou les malheurs d’un instituteur, Paris, Jules Rouff & Cie, 1915
Le Nouveau Faust, drame philosophico-fantaisiste, en quatre actes, Barcelona, Casa editorial « La Escuela moderna », 1919
César, pièce satirique en deux actes, Paris, Librairie républicaine, s.d.
D’après :
– Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français
– Ephéméride anarchiste
– Caroline Granier, Les briseurs de formules, les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle, Ressouvenance 2008
– Alexandre Jacob, Ecrits, L’Insomniaque, 2004
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23 septembre 2013 à 15:59
Le rapport avec le fondateur de l’École Moderne de Barcelone n’est pas sufisamment mis en valeur
23 septembre 2013 à 17:09
Peut-être parce que lle rapport qui nous intéresse ici est celui concernant l’honnête cambrioleur Jacob !