Mortelle Lupinose 2
Il est des gens qui prévoient jusqu’à leur lieu de repos éternel. Il en est dont la demande d’enterrement vire à la géniale supplique méditerranéenne. Il en est aussi qui n’ont rien demandé à personne pour se retrouver au boulevard des allongés. Il en est, enfin, qui ont bâti leur notoriété sur les dites demeures éternelles. En 1994, Bertrand Beyern publiait en grandes pompes au Cherche Midi Editeur un Guide des cimetières en France qui, aujourd’hui, vient nous prouver que la lupinose ne tue fort heureusement que l’entendement et favorise le développement surdimensionné de l’ego. Méthode empirique oblige, l’affliction évolue et se renforce dans le temps. En effet, si dans un premier temps et dans l’ouvrage organisant la tournée des mortelles popotes l’emploi du conditionnel suggère le doute, il n’en est visiblement plus de même quelques-dix-huit ans plus tard dans le blog que le « nécrosophe » entretient. Le 28 août 2012, l’auteur, qui ferait autorité dans le domaine des cimetières et qui se targue d’avoir retrouvé la sépulture de l’illégaliste dans les années 1980, relève le cinquante-huitième anniversaire du suicide de Marius Jacob alias Arsène Lupin, devant la modeste tombe duquel on ne peut s’empêcher de voir (…) le modèle du plus fameux gentleman-cambrioleur. RIP Bertrand … euh … Marius.
Bertrand Beyern
Guide des cimetières en France
Le cherche Midi éditeur, 1994, p.89
Reuilly
Le cimetière communal (rue de l’Egalité) a accueilli un personnage extraordinaire et pourtant quasiment inconnu … Marius Jacob (1879-1954) fut pirate à treize ans puis devient un aventurier anarchiste qui usait de mille déguisement, cambriolait les églises et les châteaux mais épargnait les hommes qu’il jugeait « utiles à la société », au premier rang desquels les médecins et les écrivains. Il aurait inspiré à Maurice Leblanc le personnage d’Arsène Lupin. Arrêté et condamné, il passa 23 années au bagne et se retira au lieu-dit « Bois Saint Denis »où il écrivit ses souvenirs. Le jour de ses soixante-quinze ans, il convia les enfants du village à goûter puis, une fois seul, tua son chien et se suicida à la morphine. Son testament nous prouve qu’il fut jusqu’au bout un insoumis : « Vous êtes trop jeunes pour apprécier le plaisir qu’il y a de partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les saloperies qui guettent la vieillesse ». Marius Jacob avait même choisi son marbrier, « un artisan habile, avec lui pas d’évasion possible » et préparé des bouteilles de vin rosé à la santé de ceux qui découvriraient sa lettre.
Aujourd’hui, seule une pancarte nous indique l’emplacement de sa concession.
Au nord d’Issoudun.
Blog de Bertrand Beyer
http://www.bertrandbeyern.fr/spip.php?article164
28 août 2012 : Marius Jacob alias Arsène Lupin.
58è anniversaire de la mort de Marius Jacob.
Je lève ce soir mon verre de vin de Reuilly, rosé car c’était son préféré et je partage ce goût, à la mémoire d’un personnage extraordinaire dont j’avais retrouvé la sépulture dans les années 80 et que j’avais évoqué dans un livre de 1994, à une époque où il n’avait pas encore été redécouvert : Marius Jacob.
Né à Marseille en 1879, engagé comme mousse à douze ans, il accomplit le tour du monde, devient pirate à treize, côtoie les bas-fonds et rentre au bercail à dix-huit, enrichi de mille expériences autant que sans illusion sur son époque et ceux qui la peuplent (J’ai vu le monde ; il n’est pas beau.). Il devient alors un ouvrier typographe anarchiste que la violence révulse et qui lui préfère ce qu’il nomme un illégalisme pacifiste. Son objectif : voler aux bourgeois et aux institutions, détrousser les châteaux et les églises, pour redistribuer aux plus pauvres. Point d’honneur : ne jamais s’en prendre aux métiers considérés comme utiles au premier rang desquels il place les médecins… et les écrivains ! Sa marque : abandonner à ses victimes des petits billets manuscrits toujours pleins d’humour. Lorsqu’il réalise qu’il est en train de cambrioler la villa de Pierre Loti, il lui laisse cette note : Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. Attila. P. S. : Ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé.
Arrêté, on le condamne à vingt ans de réclusion au bagne de Cayenne mais il obtient de revenir en métropole et, libéré, choisit de s’installer dans l’Indre, à Reuilly, pays où il ne se passe rien, où il devient marchand forain et rédige ses souvenirs : Tout jeune, le virus de la justice m’a été inoculé et cela m’a valu bien des désagréments.
Le 28 août 1954, en pleine possession de ses facultés intellectuelles, il invite les enfants du pays à goûter chez lui puis, une fois seul, se tue d’une injection de morphine afin d’échapper à la déchéance physique et aux ravages de la vieillesse. On retrouve près de lui le cadavre de son vieux chien à qui il a réservé le même sort. Sa dernière page, laissée en évidence, prouve combien l’humour et l’insoumission ne l’auront jamais abandonné : Vous être trop jeunes pour apprécier le plaisir qu’il y a de partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les infirmités qui guettent la vieillesse (…) Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé.
Au cimetière de Reuilly, sa tombe, modeste, est désormais indiquée et même si Maurice Leblanc ne l’a jamais dit ouvertement, on ne peut s’empêcher de voir en Marius Jacob le modèle du plus fameux gentleman-cambrioleur : Arsène Lupin.
Tags: Arsène Lupin, Bertrand Beyern, cimetière, Guide des cimetières en France, Marius Jacob, Maurice Leblanc, nécrosophe, Reuilly, suicide
Imprimer cet article
Envoyer par mail
9 mai 2013 à 11:38
On pourrait bien un jour écrire un livre entier sur la « mythification » de notre cher honnête ! Qui doit se retourner dans sa tombe.
9 mai 2013 à 11:58
et il y avait sur cette tombe une plaque « Marius Jacob peut-être A.L. » ! je crois qu’elle n’y est plus. faudrait vérifier. Ce qui est étonnant c’est la stimulation de l’ego quand on évoque la lupinose, stimulation à force d’exemples prouvant forcément que l’honnête a inspiré le voleur bourgeois.