Germinal : chronique locale et orléanaise


A n’en point douter, la fièvre médiatique est retombée à Orléans pour le second procès de l’honnête cambrioleur. S’il ne revêt pas l’importance de la session des assises de la Somme, le fameux Jacob (Le Républicain Orléanais, 25 juillet 1905) n’en est pas moins attendu par la presse locale … et par Germinal qui, dans son numéro en date du 30 juillet au 02 août, rend compte des facéties et des apostrophes cinglantes que notre ami a dû cracher à la face de nos ennemis. La feuille militante picarde regrette toutefois le manque de moyens qui l’empêche d’assister aux débats et l’oblige à reproduire le propos estimé déformant et partisan des ses confrères bourgeois du Loiret. Car, bien évidemment le spectacle judiciaire ne manque pas d’intérêt.

A Orléans, le 24 juillet, Jacob risque sa tête pour avoir fait feu en 1901 sur l’agent Couillot venu l’interpeler après les vols des rues de Chanzy et de Loigny. Il comparait seul. Son complice Royère, arrêté à l’occasion, est mort à la prison de Fontevrault le 06 février. Et le feuille anarchiste de souligner l’attitude crâne de l’anarchiste prenant la défense de son ami trépassé. Car, comme à son habitude, Jacob se sert du procès comme une tribune pour affirmer ses convictions illégalistes, pour démonter dialectiquement l’injuste et inepte ordre bourgeois. Ne demande-t-il pas ironiquement et cyniquement aux jurés, dans un formidable exercice de fiction politique, d’imaginer le jour où les voleurs deviendraient honnêtes !

Germinal

Du 30 juillet au 02 août 1905

Chronique locale

JACOB

C’est lundi dernier qu’est passé de nouveau notre camarade Jacob devant les assises à Orléans, sous l’inculpation de vol et de tentative de meurtre sur un agent.

Nos moyens ne nous ayant pas permis d’envoyer quelqu’un sur place pour rapporter exactement les apostrophes cinglantes que notre ami a dû cracher à la face de nos ennemis, force nous est de nous en rapporter à ce que les journaux bourgeois ont bien, voulu noter.

Voici quelques-unes de ses réponses :

D. Quelle est votre profession ?

R. Entrepreneur de démolition.

D. Où demeurez-vous?

R. Un peu partout sur la terre.

A une injonction du président, Jacob refuse de se lever et en explique la raison.

Jacob. – Je ne me lève, je ne me découvre que par politesse quand on me salue, mais je ne veux pas me lever devant vous, magistrats, parce que vous vous croyez supérieurs à moi, ce que je conteste, et parce que je ne descends pas du chien, mais du singe, et que le singe ne lèche pas la main qui va le frapper.

M. le président résume les faits reprochés à Jacob : les deux cambriolages de la rue de Loigny. Il parle du rôle joué par Royère, ce qui amène Jacob à dire : « Royère est mort, cela ne vous intéresse pas, une victime de plus ou de moins, mais Royère était innocent ».

M. le président. – S’il était innocent, pourquoi l’avez-vous laissé condamner ?

R. – Vous me prenez pour un naïf : c’était à vous à ne pas le condamner. Mais les hommes et les juges en particulier, ne veulent pas admettre qu’ils commettent des erreurs. Mais je le répète, Royère a été victime de l’honneur de ses sentiments ; ce n’était pas un traineur de sabre, ce n’était pas une casserole, ce n’était pas un mouchard et c’est pour cela qu’il ne m’a pas délatté.

M. le président rappelle dans quelles circonstances les cambriolages ont été commis et demande à Jacob s’il n’a pas eu d’indicateur.

– Vous parlez comme un magistrat ; mais si vous étiez cambrioleur, vous sauriez que nous n’avons besoin de personne. Quand j’arrive dans une ville, si je vois des cheminées, je me dis : il y a du populo, donc rien à faire ; mais quand je vois des habitations bourgeoises qui sont fermées, je n’ai pas besoin d’être indiqué.

– J’étais sénateur à douze sous par soirée, dans Quo Vadis. Ceux d’aujourd’hui vous coûtent plus cher.

M. le président félicite l’agent Couillot du courage dont il a fait preuve.

Jacob. – Oh ! oui, il a bien mérité dus capital et de la propriété ; ce n’est pas de l’héroïsme, mais de l’asinisme.

Voici la réplique faite par Jacob après le réquisitoire de M. Drioux, avocat général, qui demandait aux jurés une condamnation a mort.

– Il y a des boulangers qui font du pain, des maçons qui construisent des maisons, des cordonniers, etc.; lui, le ministère public, il coupe les tètes. Joli métier !

M. l’avocat général, dans un réquisitoire filandreux et déclamatoire, m’a traité de vantard, d’assassin, d’impertinent et d’anarchiste dangereux. Ensuite, il a répété que j’étais un anarchiste dangereux, un impertinent, un assassin, un vantard ! Le pauvre homme, il a dû renforcer sa thèse d’un exemple parisien : il a cite Dupas ; je regrette cette faiblesse, car je le croyais plus fort.

Eh bien ! oui, je suis un bandit, mais sans des bandits comme moi, les honnêtes gens comme lui ne pourraient pas vivre. Quelle plaisanterie si nous faisions, nous les bandits, la blague de devenir honnêtes. Tous les honnêtes gens seraient navrés et nous entendrions des plaintes interminables. L’un dirait : « Ma retraite » ; l’autre : « Mes appointements », un troisième : « Oh! ma clientèle » et le dernier gémirait sur « ses honoraires ».

Oui, si nous disparaissions, il y aurait un tumulte, une clameur pire qu’à la disparition des sardines sur les côtes de Bretagne.

Et maintenant, disposez, Messieurs, disposez.

Consulté sur l’application de la peine, il fait cette petite déclaration :

– Des actes que j’ai commis, je n’ai pas de regret. Si j’ai agi de la sorte, c’est que j’ai cru devoir le faire. Si je pouvais recommencer, je recommencerais. Avant de disparaître, je tiens toutefois à vous dire que je vous hais et vous méprise. Vous êtes les maîtres, mais je ne vous connais pas le droit de me juger.

Le président coupe à ces ultimes protestations.

– J’expose mes sentiments, répond Jacob.

Les journaux bourgeois se sont bien gardés d’insérer la déclaration de Jacob ; nous espérons la donner in-extenso dans le prochain numéro.

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