Pour vous détruire
Présente en masse au procès de la bande Pini aux assises de la Seine les 05 et 06 novembre 1889, la presse n’a pas manqué de corréler les vols de l’italien anarchiste avec ceux de « l’incendiaire Duval »[1]. Pourtant, Vittorio Pini, dit Poggi, dit Auguste, dit Mazzuchi, semble être passé au vol sur une plus grande échelle. Le membre du groupe de la Panthère des Batignolles avait été jugé près de trois ans plus tôt pour un seul cambriolage. Les larcins de Pini s’établiraient, « à Paris et dans les environs, en 1888 et au commencement de 1889 »[2], à environ un demi-million de francs. Le journal Gil Blas en a recensé treize dont celui commis le 17 août 1888 chez M. et Mme Escossura, artistes parisiens résidant au 21 rue de la Faisanderie, et ayant rapporté pour plus de 120000 francs de titres, d’actions et divers objets. Les Belges Placide et Julien Schouppe ainsi que leur compagne Elise Schouppe et Marie-Angélina Saenen sont sur le banc des accusés. Mais c’est bel et bien Achille Vittorio Pini la vedette.
L’homme est né en 1859 à Reggio Emilia (entre Parme et Modène) de Mario Pini et Anna Mazuchi. Ce fils d’un garibaldien connait une enfance misérable et, après avoir exercé divers petits métiers (apprenti typographe, pompier, commerçant, etc.) la lecture de brochures anarchistes dont celles de Kropotkine finit de le convaincre de l’inutilité d’une gauche parlementaire et de le pousser à embrasser l’idéal libertaire et révolutionnaire. Il participe à Milan à une longue grève des imprimeurs et est condamné en 1886 à trois de prison pour fraude électorale.
Cette même année Pini s’installe à l’étranger ; on le retrouve en Suisse, en Angleterre puis à Paris où il travaille comme colporteur, garçon d’écurie ou encore cordonnier. Actif militant, il fonde avec son compatriote Parmeggiani le groupe des « intransigeants » et pratique la reprise individuelle quelques temps plus tard. On le sait lié à Londres avec Alexandre Marocco, connu pour accueillir les compagnons exilés, mais aussi pour écouler dans la capitale anglaise les titres de rentes et autres actions issus des « expropriations » pratiquées sur le continent. Lors de son procès, la presse ne peut s’empêcher de feindre d’ailleurs l’étonnement face à des vols désintéressés :
« Pini, en effet, ne volait pas pour lui-même ; il travaillait pour le parti et distribuait à ses amis le produit de ses expéditions, après en avoir retenu tout juste de quoi subvenir à ses propres besoins ; il ne thésaurisait pas ; volontairement, il restait pauvre. »[3]
Les cambriolages de Pini ont ainsi permis de financer quelques journaux comme Il ciclone ou encore Il Pugnale et de faire publier en octobre 1888 Le manifeste des anarchistes de langue italienne au peuple d’Italie dans lequel il engage une violente polémique contre Amilcare Cipriani, ancien communard, anarchiste libéré cette année-là des bagnes italiens. L’activité illégaliste de Pini semble connaître un pause au début de l’année 1889 ; nous le retrouvons alors en Italie en compagnie de Parmeggiani. Les deux compagnons y agressent au couteau deux militants socialistes.
Recherché par la police transalpine, Pini fait l’objet d’une demande d’extradition qui aboutit à son interpellation à Paris le 18 juin 1889 en compagnie d’un nommé Fabre. L’arrestation des frères Schouppe survient peu de temps après. Chez tous la police découvre du matériel de cambriolage et de nombreux objets issus de ces reprises. Fabre meurt pendant l’instruction et ce sont cinq personnes qui comparaissent aux assis de la Seine le 05 novembre.
Dès le départ, Vittorio Pini surprend l’auditoire en assumant seul la pleine responsabilité de ses vols et en les revendiquant : « Des circonstances atténuantes ? Je n’en veux pas ! », relève le Petit Journal le 07 novembre. Mais le président Mariage lui interdit de dire sa profession de foi illégaliste après la plaidoirie de Me Fernand Labori[4]. C’est alors au cri de « Vive l’anarchie ! A bas les voleurs ! » que Vittorio Pini accueille sa condamnation à vingt ans de travaux forcés[5]. Dernier cri de révolte avant l’envoi en Guyane où il décède le 08 juin 1903[6].
Déclaration de Vittorio Pini 1889
Voici pourquoi aujourd’hui, vous me trouvez ennemi déclaré de tout système qui garde pour base la valeur conventionnelle, de cette valeur qui forme la propriété individuelle, seul agent qui pousse l’homme à accomplir les plus monstrueuses infamies, les plus sanglants délits. Voici pourquoi, enfin, nous anarchistes, voulons en premier lieu la destruction de la valeur monétaire. Par elle seule, l’égoïsme humain règne et avec lui tous les grands maux qui affligent l’humanité. Le pivot de votre système est l’or : l’or annihilé, votre système social inique est détruit.
Je vous affirme donc, messieurs les juges, que la société ne pourra être heureuse, et je dirais presque parfaite que par l’application du communisme anarchiste ; mais pour arriver à telle fin la propriété individuelle, sous quelque forme que ce soit, doit succomber.
Tâche ardue, à la vérité, si nous considérons que l’égoïsme infiltré par votre système domine partout en souverain ; aussi serait-ce temps perdu que de vouloir persuader le bourgeois d’accepter le communisme. Non ; le bourgeois le sait bien que nous avons raison, mais tant qu’il restera une loi et une baïonnette pour le défendre, il tiendra bon, et les anarchistes savent parfaitement qu’il ne cédera qu’à la violence. Par la violence donc, nous poussons les masses à s’emparer consciemment de tout ce qui leur appartient. Mais, pour que l’action puisse avoir un résultat heureux, il est nécessaire que le peuple distingue ses vrais amis des faux ; il est nécessaire de lui faire connaître les exemples du passé et de lui montrer qu’une révolution, pour être profitable, ne doit pas avoir pour objet un simple changement d’hommes au pouvoir ou la formation d’un gouvernement provisoire, mais avoir pour unique but la destruction de toute autorité, l’appropriation de toutes les richesses sociales au bénéfice de tous et non de la classe qui voudra les administrer et l’opposition absolue par la violence à l’établissement de quelque pouvoir que ce soit.
Beaucoup l’ont compris, mais les moyens pour une plus ample propagande manquaient ; impossible de nous les procurer autrement que par ce que vous appelez effrontément le vol, et c’est pourquoi je me suis résolu à attaquer directement la propriété conventionnelle du gros richard.
Nous, anarchistes, c’est avec l’entière conscience d’accomplir un devoir que nous attaquons la propriété, à un double point de vue : l’un pour affirmer à nous-mêmes le droit naturel à l’existence, que vous, bourgeois, concédez aux bêtes et niez à l’homme ; le second, pour nous fournir le matériel propre à détruire votre baraque et, le cas échéant, vous avec elle.
Cette manière de raisonner vous fait dresser les cheveux sur la tête, mais que voulez-vous? C’est ainsi, et les temps nouveaux sont venus.
Autrefois le meurt-de-faim qui s’appropriait un pain, traduit devant vos pléthoreuses personnes, s’excusait, demandait pardon, reconnaissait avoir commis un délit, promettait de mourir de faim lui et sa famille plutôt que de toucher une seconde fois à la propriété d’autrui et avait honte de montrer sa figure. Aujourd’hui, c’est bien différent ; les extrêmes se touchent et l’homme, après être tombé si bas, se relève : traduit devant vous pour avoir fracturé les coffres-forts de vos compères, il n’excuse pas son acte, mais le défend, vous prouve avec fierté qu’il a cédé au besoin naturel de reprendre ce qui lui avait été précédemment volé : il vous prouve que son acte est supérieur en morale à toutes vos lois, qu’il se moque de vos cris et de votre autorité et, malgré vos accusations, vous prouve que les voleurs, ô messieurs les juges ! sont vous et votre bande bourgeoise.
C’est justement mon cas. Soyez-en certains, je ne rougis pas de vos accusations, et j’éprouve un doux plaisir à être appelé voleur par vous.
[1] Pini est même qualifié d’ « émule de Duval » par le chroniqueur du Petit Journal le 06 novembre 1889.
[2] Gil Blas, 06 novembre 1889.
[3] Echo de Paris, 06 novembre 1889.
[4] La Défense du compagnon Pini est publiée presque immédiatement ; elle est signée du Groupe parisien de propagande anarchiste et sort des presses de l’imprimerie Jean Grave, 17 rue de l’Echiquier à Paris. La brochure de deux pages, format 45×55,5 cm , est aujourd’hui quasiment introuvable. Nous en retrouvons cependant un large extrait dans Les coulisses de l’anarchie de Flor O Squarr, livre paru aux éditions Albert Savine en jullet 1892, peu après l’exécution de Ravachol.
[5] Placide Schouppe est condamné à dix ans de travaux forcés, son frère Julien à cinq ans de la même peine.
[6] C’est aux îles du Salut que Pini se lie d’amitié avec Clément Duval et Girier-Lorion. L’Italien rate une tentative d’évasion en 1898. « Le bagne l’a brisé, comme il en a brisé tant d’autres, il a juste la force de survivre » nous dit Marianne Enckell dans l’interview qu’elle a donné au blog consacré à Alexandre Jacob.
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