1925 : libérez mon fils
1925, retour du bagne. Le rapatriement en métropole du matricule 34777 n’est pas seulement dû à un heureux concours de circonstances à la suite de l’effet Albert Londres et d’une critique généralisé de l’institution pénitentiaire coloniale. Jamais Marie Jacob n’a mis en berne l’espérance de voir son rejeton revenir de l’enfer guyanais. Le portrait qu’elle dresse de lui dans les lettres qu’elle adresse depuis le début au ministre de la justice, au ministre des colonies ou encore au président de la République ne varie pas non plus. C’est celui d’une victime de son entourage et de ses fréquentations. Comme à son habitude Marie Jacob utilise un ton larmoyant et c’est toujours « une pauvre vieille mère éplorée », une mère courage, qui supplie le chef de l’état le 17 janvier. Pourtant, la situation a changé et, contrairement aux autres missives, celle-ci est appelée à une fin plus heureuse.
Le 11 mai 1924, la victoire électorale du cartel des gauches ouvre la voie du gouvernement à Anatole de Monzie. Deux mois après, le président de la République Alexandre Millerand démissionne. A sa place les Français élisent le modéré Gaston Doumergue. Par le biais des époux Aron qui l’emploient comme couturière et qui la soutiennent, Marie Jacob est parvenue à intéresser la sphère politique et gouvernementale au cas de son fils. André Aron, avocat, homme d’affaires, est un ami proche d’Anatole de Monzie.
Le comportement de l’assigné Jacob aux îles du Salut, la dénonciation médiatisée du bagne, les appuis d’André Aron et le climat politique métropolitain, tout concourt à faire sortir le matricule 34777 de sa geôle guyanaise. La campagne de libération d’Alexandre Jacob est lancée à la suite de cette lettre du 17 janvier 1925. Deux jours plus tôt, le député de la Seine avait relayé une autre demande de Marie Jacob, écrite le 12 décembre de l’année précédente, et « ose espérer (…) une suite favorable à cette requête ».
Nous n’aurons pas l’outrecuidance de présenter Pierre Laval. Mais il convient de rappeler qu’avant d’être l’homme d’état du gouvernement de Vichy, ce dernier est député sans étiquette de la seine avant d’occuper le ministère des travaux publics d’avril à octobre 1925. Il a quitté la S.F.I.O. en 1920. Il est permis de penser que Marie Jacob a pu rencontrer cet homme de gauche par l’intermédiaire des époux Aron.
Mais Alexandre Jacob reste profondément dubitatif quant aux possibilités de résultat de l’épuisant marathon lancée des années plus tôt par sa mère. Le prisonnier de guerre sociale rappelle d’ailleurs fréquemment à sa mère de ne pas anticiper sur les démarches officielles. S’il déclare, par exemple, le 2 février 1924 ne pas vouloir désespérer, ce n’est que par pure ironie. Le bagnard réclame en effet « quelques litres, au besoin une barrique, d’élixir de vie » afin de pouvoir supporter l’attente des résultats. Mais Marie Jacob n’a jamais baissé pas les bras. Son « l’incroyable ténacité »[1] va finir par payer.
17 janvier 1925
Monsieur le Président,
C’est une pauvre vieille mère qui vient implorer votre pitié pour son fils condamné à perpétuité, mon malheureux enfant, le plus affectueux, le plus dévoué des fils, forcé de partir pour naviguer à l’âge de onze ans, ne pouvant supporter la vie atroce que lui faisait supporter son père alcoolique violent. Entraîné plus tard hélas à l’âge de dix-sept par des camarades exaltés, condamné ensuite à vingt-trois ans pour attentat à la propriété. Et depuis sa condamnation, subi courageusement sa peine malgré les accidents les plus tragiques : victime d’une tentative d’empoisonnement, subit plusieurs opérations et plusieurs années de réclusion cellulaire.
Enfin, depuis bientôt cinq ans promu à la première classe, mon malheureux enfant qui a amplement racheté ses fautes par une expiation de vingt-deux ans, n’a encore bénéficié d’aucune atténuation de l’implacable condamnation qui l’a frappé.
J’ai soixante-cinq ans. Je sens mes forces décliner tous les jours ; je vous supplie, Monsieur le Président, ne me laissez pas mourir sans revoir mon fils. Il ne désire plus qu’une chose, mon malheureux, c’est de secourir les derniers jours de sa mère. Je suis sûre qu’il est amendé et repenti.
Dans l’espoir, Monsieur le Président, que vous aurez pitié de nous et de nos longues souffrances. Je vous demande la grâce de mon fils.
Je vous prie, Monsieur le Président, de croire à mes sentiments les plus profondément respectueux.
Marie Jacob
I passage Etienne Delaunay
Paris XIe
Paris, le 15 janvier 1925
Monsieur le Ministre de la Justice
Paris
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention sur une demande présentée par Madame Veuve Jacob, demeurant 1 passage Etienne Delaunay à Paris, à l’effet d’obtenir la grâce de son fils Alexandre Jacob condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité par la cour d’Amiens le 22 mars 1905.
J’ose espérer qu’il vous sera possible, après examen, de réserver une suite favorable à cette requête.
Dans cette attente, je vous prie d’agréer Monsieur le Ministre l’assurance de ma parfaite considération.
Pierre Laval
Député de la Seine
[1] Sergent Alain, Un anarchiste de la belle Epoque, Le Seuil, 1950, p.197.
Tags: 34777, Alexandre Jacob, Anatole de Monziee, André Aron, bagne, Gaston Doumergue, lettre, libération, Marie Jacob, métropole, Pierre Laval, soutien
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