Juillet 1881 à Londres
45 délégués, représentant 56 fédérations et 46 sections ou groupes non fédérés, se réunissent à Londres du 14 au 20 juillet 1881. Si le but premier du congrès visait à la reconstitution de l’AIT ; les compagnons présents, dont un bon contingent de français finissent par créditer le principe de la propagande par le fait, l’illégalité étant – selon eux – « la seule voie menant à la Révolution ». Le texte que reproduit Le Révolté, en date du 23 juillet, inaugure pour Jean Maitron – qui affirme faussement la présence d’Emile Pouget à Londres – l’ère des attentats anarchistes en France. Même s’il ne mentionne pas la jouissance immédiate et individuelle des biens dérobés, il constitue aussi une base théorique pour les adeptes de la pince monseigneur. Nombres de brochures et revues donnent alors les recettes explosives de la marmite à renversement ; des pistolets, des poignards et autres outils de propagande sont offerts dans des tombolas anarchistes ; on chante encore le père Lapurge de Constant Marie ou encore la Dynamite de Martenot[1]. Mais il faut réellement attendre une dizaine d’années pour que le son de l’explosion se fasse réellement entendre dans l’hexagone.
Troisième année, n°11
23 juillet 1881
L’apparition de ce numéro a été retardée de huit jours, afin que nos lecteurs aient un aperçu aussi complet que possible des premières séances du congrès révolutionnaire de Londres.
La date du jour où il devait paraître a été maintenue.
Le Congrès International de Londres
L’union, si longtemps méditée, des socialistes-révolutionnaires des deux mondes, s’est enfin accomplie dans le Congrès de Londres.
Il est bien entendu que les délégués des organisations qui se sont fait représenter à Londres, n’ont pas pu prendre de résolutions définitives. Ce sera aux groupes et fédérations eux-mêmes à décider définitivement, si elles acceptent ces résolutions. Mais les décisions des groupes sont à prévoir, d’après les mandats qu’ils ont donnés à leurs délégués, – et l’on peut ainsi annoncer que l’alliance des socialistes-révolutionnaires des deux mondes est un fait accompli.
L’Association Internationale des Travailleurs est le terrain commun, sur lequel s’est établie cette entente, et désormais la grande Association qui, il y a dix ans faisait trembler la bourgeoisie, va prendre une vie nouvelle.
Tous ceux qui, réellement, sans réticences, veulent la révolution sociale et qui comprennent que la révolution ne se prépare que par des moyens révolutionnaires, se donnent aujourd’hui la main et constituent une seule organisation, vaste et puissante, l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS.
Assez de patauger dans la boue parlementaire ! Assez de chercher des chemins tortueux pour arriver à notre but ! Assez de supplier là où l’ouvrier doit prendre ce qui lui appartient de droit. Assez de se prosterner devant les idoles du passé !
Il est temps, il est bien temps, de marcher franchement à la révolution, au renversement complet des institutions abjectes de la société actuelle.
Et, que tous ceux qui tiennent à renverser ces institutions, qui tiennent à ce que la prochaine révolution soit la REVOLUTION SOCIALE, viennent combiner leurs efforts en se groupant tous autour du même drapeau, le drapeau rouge de l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS !
Voilà le pacte fédératif que le Congrès de Londres propose à toutes les organisations socialistes-révolutionnaires. Ce pacte, on le verra, ne diffère de celui qui fut adopté par les Congrès de l’Association Internationale de 1866 et de 1873, que par quelques modifications insignifiantes apportées à cette partie des statuts qui fut révisée au Congrès de 1873 à la suite de l’abolition définitive du Conseil Général. Le reste est conservé intact.
Considérant:
Que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que les efforts des travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pas tendre à constituer de nouveaux privilèges, mais à établir pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs ;
Que l’assujettissement du travailleur au capital est la source de toute servitude : politique, morale et matérielle ;
Que, pour cette raison, l’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique ;
Que tous les efforts faits jusqu’ici ont échoué, faute de solidarité entre les ouvriers des diverses professions dans chaque pays, et d’une union fraternelle entre les travailleurs des diverses contrées ;
Que l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national, qu’au contraire ce problème intéresse toutes les nations civilisées, sa solution étant nécessairement subordonnée à leur concours théorique et pratique ;
Que le mouvement qui s’accomplit parmi les ouvriers des pays les plus industrieux, en faisant naitre de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas retomber dans les vielles erreurs, et conseille de combiner tous les efforts encore isolés ;
Pour ces raisons :
Le Congrès de L’Association Internationale des Travailleurs, tenu à Genève le 3 septembre 1866, déclare que cette association, ainsi que toutes les sociétés ou individus y adhérant, reconnaîtront comme devant être la base de leur conduite envers tous les hommes: la vérité, la justice, la morale, sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité.
Le Congrès considère comme un devoir de réclamer les droits d’homme et de citoyen non- seulement pour les membres de l’Association, mais encore pour quiconque accomplit ses devoirs. Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs.
Les représentants des socialistes-révolutionnaires des deux mondes, réunis à Londres le 14 juillet 1881, tous partisans de la destruction intégrale, par la force, des institutions actuelles, politiques et économiques, ont accepté cette déclaration de principes.
Ils déclarent – d’accord, d’ailleurs, avec la conception que lui a toujours donné l’Internationale, – que le mot morale employé dans les considérants n’est, pas employé dans le sens que lui donne la bourgeoisie, mais dans ce sens que la société actuelle, ayant pour base l’immoralité, ce sera l’abolition de celle-ci, par tous les moyens, qui nous amènera à la moralité.
Considérant que l’heure est venue, de passer de la période d’affirmation à la période d’action, et de joindre à la propagande verbale et écrite, dont l’inefficacité est démontrée, la propagande par le fait et l’action insurrectionnelle,
Ils proposent aux groupes adhérents les résolutions suivantes :
L’Association Internationale des Travailleurs se déclare l’adversaire de la politique parlementaire.
Quiconque adopte et défend les principes de l’Association pourra en être reçu membre.
Chaque groupe adhérent aura le droit de correspondre directement avec tous les autres groupes et fédérations qui pourront lui donner leurs adresses.
Cependant, pour faciliter les relations, il sera institué un bureau international de renseignements. Ce bureau sera composé de trois membres.
Les frais généraux seront couverts par des cotisations volontaires qui seront remises aux mains du dit bureau.
Les adhésions seront reçues à ce bureau qui devra les communiquer à tous les groupes.
Un Congrès international se réunira selon les décisions des groupes et des fédérations adhérentes.
Il est évident que ce n’est pas dans des déclarations destinées à être rendues publiques que le Congrès pouvait exprimer toute son opinion sur les moyens d’acton qui pourraient être employés par les révolutionnaires. Néanmoins dans la résolution suivante il a exprimé quelques idées à ce sujet.
Voilà cette déclaration : Considérant,
que l’Association Internationale des Travailleurs a reconnu nécessaire de joindre à la propagande verbale et écrite la propagande par le fait;
Considérant, en outre, que l’époque d’une révolution générale n’est pas éloignée et que les éléments révolutionnaires seront bientôt appelés à donner la mesure de leur dévouement à la cause prolétarienne et de leur puissance d’action ;
Le Congrès émet le vœu que les organisations adhérentes à l’Association Internationale des Travailleurs veuillent bien tenir compte des propositions suivantes :
Il est de stricte nécessité de faire tous les efforts possibles pour propager par des actes, l’idée révolutionnaire et l’esprit de révolte dans cette grande fraction de la masse populaire qui ne prend pas encore une part active au mouvement, et se fait des illusions sur la moralité et l’efficacité des moyens légaux.
En sortant du terrain légal, sur lequel on est généralement resté jusqu’aujourd’hui, pour porter notre action sur le terrain de l’illégalité qui est la seule voie menant à la révolution, – il est nécessaire d’avoir recours à des moyens qui soient en conformité avec ce but.
Les persécutions auxquelles la presse révolutionnaire publique est en lutte dans tous les pays, nous font désormais une nécessité de l’organisation d’une presse clandestine.
La grande masse des travailleurs des campagnes restant encore en dehors du mouvement socialiste-révolutionnaire, il est absolument nécessaire de diriger nos efforts de ce côté, en se souvenant que le plus simple fait, dirigé contre les institutions actuelles, parle mieux aux masses que des milliers d’imprimés et des îlots de paroles, et que la propagande par le fait dans les campagnes a encore plus d’importance que dans les villes.
Les sciences techniques et chimiques ayant déjà rendu des services à la cause révolutionnaire et étant appelés à en rendre encore de plus grands à l’avenir; le Congres recommande aux organisations et individus faisant partie de l’Association Internationale des Travailleurs, de donner un grand poids à l’étude et aux applications de ces sciences, comme moyen de défense et d’attaque :
A ces deux résolutions principales, nous devons joindre encore, pour compléter de caractériser l’œuvre de Congrès, la résolution suivante, après quoi nous allons donner un compte-rendu, aussi détaillé que possible, des séances du Congrès. Voici cette résolution :
« Le Congrès, ne se reconnaissant pas d’autre droit que celui d’indiquer les lignes générales de ce qui lui parait être la meilleure organisation socialiste révolutionnaire,
S’en rapporte à l’initiative des groupes pour les organisations secrètes et autres qui leur sembleraient utiles au triomphe de la Révolution Sociale. »
[1] Sur la chanson anarchiste, voir Manfredonia Gaetano, La chanson anarchiste en France des origines à 1914, L’Harmattan, 1997.
Tags: AIT, congrès, Constant Marie, Jean Maitron, Londres, Martenot, propagande par le fait, révolution
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9 novembre 2013 à 22:21
Qu’est-ce que c’est que cette légende. D’abord ils étaient 45, et Pouget n’y était pas, il serait temps d’arrêter de l’affirmer sans aucune attestation dans les sources. Gustave Brocher était secrétaire du congrès, ses papiers sont déposés et accessibles à Amsteram (avec entre autres les mandats), et Nettlau les a sérieusement exploités (ainsi que Constance Bantman plus récemment).
Ensuite, l’organisation prévue n’a jamais vu le jour. Les groupes ayant envoyé des délégués n’étaient pas particulièrement représentatifs, et souvent peu intéressés à une organisation internationale.
Enfin la résolution finale sur l’emploi de la chimie a été votée au dernier moment, et Kropotkine est revenu plus tard là-dessus. C’est la suite qui compte plus que ce texte bâtard!
Il est toujours utile de se fonder sur les sources, plutôt que de continuer à répandre des légendes.
A bon entendeur
Marianne
10 novembre 2013 à 9:36
Ok, une fois encore le légendaire Maitron a raconté des crasses et, effectivement, s’il avait lu de manière plus approfondie Le Révolté – et surtout le texte qui suit la déclaration finale – il ne se serait vraisemblablement pas trompé sur le nombre de délégués numérotés de 1 à 45. Ça c’est dit ! On rectifie donc pour Pouget mais, pour bâtard que soit ce texte, ce n’est pas l’échec de la création de l’AIT qui ici nous interpelle mais l’affirmation même tardive reproduite par Le Révoté (ce que l’on peut appeler une source non ?) par 45 délégués, aussi peu représentatifs soient-ils, de l’utilisation politique de la violence pour arriver à la révolution. Maintenant, rien ne t’empêche Marianne de nous pondre un joli article sur Gustave Brocher. J’ai déjà le titre : Gustave et l’explosif congrès. Si cela te dit, n’hésite pas. A bon entendeur itou. Courroux coucou.
JMarc
11 novembre 2013 à 11:49
Article des plus interessant sur les finalitées de l’A.I.T.
L’aspect de la révolte et buts révolutionnaires sont omnipresents,rien a voir avec le
syndalisme réformiste,corporatiste et institualisée .
Une bouffée d’oxygène !
Oui Marianne n’ésite pas si tu a des petits rajouts a nous faire part?
11 novembre 2013 à 12:09
Oh que oui ce serait bien !!!
16 novembre 2013 à 22:31
Le congrès de Londres fut probablement aussi le lieu d’une manipulation : parmi les membres présents il y avait au moins 2 agents provocateurs : Serreaux, l’envoyé du préfet de police de Paris et Nathan-Ganz, un aventurier escroc dont il est difficile de dire pour qui il travaillait. Toujours est-il que les éléments policiers poussèrent à la roue, en particulier Ganz pour que la chimie soit à l’ordre du jour.
Il y a eu en fait à ce congrès, sous l’influence du nihilisme russe qui venait de remporter un beau succès et grâce à la poussé des éléments obscurs présents, un retournement de ce qui faisait la propagande par le fait anarchiste, dans la lignée de l’AIT, un mouvement populaire.
Ce virage désarma en partie le mouvement populaire, issu de la « bande noire » de Montceau-les-Mines face auquel le mouvement anarchiste naissant ne fut pas à la hauteur des enjeux, pour répondre à une insurrection collective. L’Espagne, continuant la tradition bakouninienne, sut y répondre : ce fut la Mano negra, où les anarchistes jouèrent leur rôle.
Quant aux attentats, il n’a pas fallu une dizaine d’années pour qu’ils aient lieu, on peut répertorier des dizaines d’attentats avant 1892, la seule différence c’est qu’il ne firent pratiquement pas de morts ( sauf à Lyon), il y eut en particulier à Paris une vague d’attentats contre les bureaux de placements et les commissariats en 1888.Ils s’appuyaient sur un mouvement populaire contre les bureaux de placements.
La seule caractéristique des attentats d’après 1892 et jusque 1894, c’est qu’ils firent des morts mais peut-on encore parler de propagande par le fait ?
Ils furent plus de la vengeance où des provocations policières purent jouer également leur rôle ( attentat de Vaillant par ex, ou peut-être ceux de Ravachol, l’hypothèse serait à creuser : qui indiqua la dynamite de Soissy à Faugoux ?).
Les attentats continuèrent bien après 1894 mais ils ne firent plus de morts et on n’en parla plus.
L’histoire du congrès de Londres reste à faire et les documents Brocher révèleront peut-être des éléments intéressants.
17 novembre 2013 à 1:16
La thèse de la manip est bien sûr envisageable, c’est ce que l’on trouve par exemple dans la brochure L’Anarchie Policière – brochure que nous ne tarderons pas à mettre en ligne – qui mentionne une manœuvre de la rousse pour signaler effectivement la dynamite de Soisy à Faugoux ou encore pour refiler un pécule à Vaillant ou même pour trouver bizarre l’acquittement de Léveillé en 1891. Mais le propos est largement démenti par les souvenirs de l’ancien commissaire Raynaud quelques années plus tard.
17 novembre 2013 à 2:22
C’est plutôt Raynaud qui révèle le deal entre Puibaraud et Dupuy, ainsi que l’existence de Jacot, il ne dément pas, même s’il semble ne pas vraiment y croire. Mais il n’était pas directement au coeur de la brigade des anarchistes de la préfecture de police. Quant à Jacot, il me semble tout à fait crédible, j’ai fait sa bio pour le DBML, la voici :
JACOT Charles, Emile
Né le 14 août 1857 à Allengeoie (Doubs). Colporteur anarchiste, indicateur de police à Paris.
Le 16 août 1893, Jacot comparaissait devant la 3ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Il était poursuivi pour infraction à un arrêté d’interdiction de séjour pris en 1892. Cette affaire était sa 12ème condamnation pour mendicité et vagabondage.
Il fut condamné à 6 mois de prison et à la peine de relégation. La peine prononcée, Jacot s’était écrié : « Vive l’anarchie ! Tout pour la révolution sociale ! A bas la police ».
Jacot avait été arrêté au moment où il recueillait des souscriptions pour publier « les oeuvres complètes » du candidat « académicide » Achille Leroy. En échange de leur obole, il promettait aux souscripteurs le compte-rendu des visites de Leroy chez les académiciens et le texte du discours qu’il avait prononcé sur les marches du Panthéon.
Jacot racontait que s’il n’avait pas déféré aux prescrptions de l’arrêté d’interdiction de séjour, c’était que la police lui avait demandé, le jugeant plus utile à Paris. Menacé de relégation s’il ne travaillait pas pour la police, Jacot dut accepter d’être indicateur. En mai 1893, il entrait en relation avec Hamard, secrétaire du contrôle de la Préfecture de police. Durant une vongtaine de jours, il fit des compte-rendus de réunions publiques pour lesquels il reçut la somme de 65 francs. Dès sa rupture avec la police, il était arrêté.
Le 25 septembre 1893, il comparaissait devant la cour d’appel, se défendant seul. La peine de 6 mois de prison était confirmée mais il n’y avait pas lieu de maintenir la relégation. Jacot accueillait la lecture du jugement en criant : « Honneur aux magistrats indépendants et libres ! A bas la police ! « . Puis il se retira enchanté en saluant la cour.
Incarcéré à la Santé, il ne fut libéré que le 10 janvier 1894, jour de la condamnation de Vaillant.
Le 9 mars 1894, il était arrêté à son domicile 36 rue de Quimcampoix par M . Fédée, chef des brigades des recherches, dans le cadre d’une opération contre les anarchistes, pour association de malfaiteurs et mis à la disposition du juge Meyer. Un non lieu fut pronocé dans cette affaire.
Le 28 avril 1894, il fut de nouveau condamné à 3 ans de prison pour infraction à interdiction de séjour. Le 5 mai, il sortait de la prison de Mazas pour être conduit au Dépot, puis quelques,jours plus tard à Poissy. De cette prison, il écrivit au Préfet de police pour lui annoncer des révélations sur les attentats. Le préfet de police délégua M. Fédée pour l’entendre. Il fut ensuite mis au « secret », pendant un mois.
Le 17 octobre 1897, il était arrêté à son domicile, rue de Bièvres par les agents de la 3ème brigade des recherches, pour infraction à un arrêté d’interdiction de séjour et conduit au dépot, malgré un appel du 28 août 1897 qui avait annulé la relégation..
Il menaça de faire des révélations sur l’assassinat de Carnot et à plusieurs reprise mit au courant ceux que la police menaçait, se jouant de la police tout en lui prenant son argent, son jeu fut découvert et il fut alors interné le 4 janvier 1901, à la 5ème division de Bicêtre d’où il se plaignit de ne pouvoir sortir malgré l’avis favorable des médecins. Il se disait persécuté par la police depuis qu’il avait cessé de lui fournir des renseignements.
En 1901, Charles Jacot fit paraître une brochure « L’anarchie policière, 1891 à 1894, mémoire d’un séquestré. Les dessous de l’affaire Ravachol et Vaillant », dans laquelle il expliquait que la bombe de Vaillant était un coup monté de la police et que Ravachol avait été armé par un agent de de la 3ème brigade des recherches de la préfecture de police.
Lors d’une réunion naturienne, le 7 juin 1901, Georges Renard* fit la lecture de la brochure « L’anarchie policière », sans doute publiée sous une autre forme puisqu’elle ne comportait que huit feuillets, signée Jacko de Bicêtre et éditée 161 ou 171 rue St Denis. Renard déclarait que cette brochure le visait surtout lui et l’indiquait comme ayant reçu de l’argent pour pousser Vaillant à confectionner sa petite bombe parlementaire. Renard nia de toutes ses forces.
Le 25 mars 1902, l’ordre de sortie de Jacot, détenu à Bicêtre comme fou, était signé par le docteur Féré mais la préfecture de police s’y opposait. En août 1902, il était toujours interné à Bicêtre. Charles Malato à l’occasion d’une série d’articles parus dans l’Aurore sur les détentions arbitraires dans les asiles, attira l’attention sur le cas de Charles Jacot.
Jean Grave dans ses mémoires, « Quarante ans de propagande anarchiste » déclara : « Cependant, je le répète, personne, parmi nous, n’a jamais entendu parler de ce Jacot ».
SOURCES : Journal des débats 17 août et 26 septembre 1893 – La Croix 11 juillet 1894 – Le Matin 16 octobre 1897 – L’Aurore 27 février, 18 juillet, 4 et 24 août 1902 – XIXème Siècle 10 mars 1894 et 18 octobre 1897 – « Souvenirs de police » par Ernest Raynaud Mercure de France 1er juin 1926, p. 297 et 298 – « Quarante ans de propagande anarchiste » par Jean Grave Flammarion 1973 p. 298-299 – « L’anarchie policière, 1891 1894, mémoire d’un séquestré » par Charles Jacot , éditeur A. Malvege, 1901, 14 p. BnF – Ba 1508 Arc. Préf. de Pol. – « Jacot. Charles, Émile. 36 ans, né à Allenjoie (Doubs). Colporteur Anarchiste. 8/3/94. » photo 216 de l’album des 434 anarchistes de Bertillon [Mugshots of Suspected Anarchists from French Police Files]The Metropolitan Museum of Art New-York
17 novembre 2013 à 9:59
Le texte de Jacot que nous mettons en ligne le 1er février prochain pose effectivement la question de la manipulation mais il convient aussi de se poser celle du crédit à apporter à une écriture somme toute paranoïaque. L’homme crie au complot, s’insurge contre l’injustice qui lui est faite, dénonce à tout va, mentionne des réseaux … Raynaud effectivement évoque la volonté de Dupuy de casser le mouvement anarchiste dans ses mémoires mais il avance prudemment lorsqu’il mentionne Jacot en affirmant les dérangements du personnage.
17 novembre 2013 à 11:59
Oui, bien sur à la lecture des mémoires de Jacot, on peut y trouver des accents paranoïaques mais même les paranos ont des ennemis !
La série d’articles que Malato écrit sur les internements arbitraires est éclairante et pour Malato, Jacot n’est pas fou, il est victime de l’acharnement de la préfecture de police, les médecins de l’asile voulant le libérer. Jacot a également subi la vindicte de la justice, pour une sombre histoire d’interdiction de séjour, sur laquelle il avait gagné d’ailleurs en appel mais pas appliquée pour d’obscures raisons, il y a peut-être de quoi avoir quelques tendances paranoïaques.
Après, cela ne veut pas dire que ce qu’il raconte n’est pas crédible car il me semble que ça l’est : Puibaraud était parfaitement capable d’avoir organisé cet attentat, il en a organisé d’autres ( une série d’attentats inoffensifs signés « le vieux polonais »), Renard lui aussi était capable d’avoir été celui chargé d’approcher Vaillant, ses dénégations à la réunion naturienne étaient bien molles.
17 novembre 2013 à 14:04
C’est vrai mais avec Jacot on touche à la complotite aigüe. Ce qui est vrai c’est que la police infiltre les mouvements politiques, qu’elle manipule souvent et qu’elle craint un mouvement social à la tête duquel on trouverait les anarchiste en cette fin de XIXe siècle. C’est ce que développe Raynaud à propos de l’attentat de Vaillant. La difficulté réside alors chez Jacot à démêler ce qui tient de l’info de ce qui est purement le fruit de l’imagination débordante d’un compagnon psychologiquement atteint. Car son propos est légèrement décousue aussi. Le lien de Léveillé à Ravachol, sans aller jusqu’à Henry et Caserio (que mentionne le fllic Raynaud) reste quand même bien ténu. La police est-elle capable de monter une machination sur deux ans ? J’ai du mal à adhérer à cette hypothèse même si elle a pu financer (préfet Andrieux, Puirabaud, etc.) certains organes de presse anarchistes ou pousser à quelques explosions. C’est ce que suggère Jacot en tout cas. Mais, effectivement la propension à l’affabulation peut être grande après les souffrances et les pressions endurées.
D’où tires-tu sa bio ? Du dico de Maitron ? As-tu la photo du bonhomme à disposition comme il est indiqué dans les sources ? J’ai vainement fouillé le site du Moma et j’aimerais assez bien la coller en février avec sa brochure ?
17 novembre 2013 à 14:28
Non, elle n’est pas dans le Maitron, la bio que j’ai faite, est sur le site interne du groupe qui travaille au DBMLF, je t’en ai fait une copie.
Pour l’album des 434 anarchistes de Bertillon, il est malheureusement au Metropolitan Museum of Art New-York et sur leur site ils ne donnent accès qu’à quelques portraits, malheureusement pas celui de Jacot qui porte le numéro 216. il y a aussi une petite brochure : « la police donne un visage à l’anarchie » Rhinoceros féroce qui est le catalogue de la vente et donne 72 photos mais pas celle de Jacot, je ne l’ai donc pas.
Il faudrait qu’un anarchiste new-yorkais nous photographie ça !
17 novembre 2013 à 14:44
Ah, en relisant la brochure « la police donne un visage à l’anarchie », je vois que l’on peut commander les photos à la librairie Plantureux, j’ai égaré ton mail, si tu veux les coordonnées, je te les envois.
17 novembre 2013 à 15:42
le mail est dans la rubrique « nous contacter ? »
On trouve les photographie de la bande d’Abbeville au moment de l’arrestation de Jacob en 1903 dans la galerie consacrée à Bertillon sur le site du Moma.