Pour Paul
Les combats du quinquagénaire Jacob ont évolué. Qu’elle soit métropolitaine ou coloniale, il s’agit désormais pour lui de dénoncer l’horreur carcérale. A l’appui de sa douloureuse expérience et nanti d’un savoir presque universitaire dans le domaine de la justice criminelle, l’ancien fagot n’a de cesse depuis sa libération le 30 décembre 1927 de révéler le monstre bagne et d’apporter son soutien à ses anciens camarades d’infortunes. Il n’est en rien cet homme brisé, usé, fatigué que ses deux biographes romanciers ont imaginé. Bien au contraire, les quelques sources dont nous disposons nous montrent un homme actif utilisant ses réseaux et ses contacts pour faire avancer son combat contre les prisons, contre toutes les prisons. C’est lui qui s’occupe de faire publier le Médecin au bagne de son ami Louis Rousseau en 1930. C’est encore lui qui participe à des conférences en 1929 à Paris sur ce qu’il a pu subir en Guyane. C’est enfin lui qui donne cette année-là dans le numéro 4 du Réfractaire, organe de la Ligue internationales des Réfractaires à toutes guerres dans lequel nous pouvons trouver les signatures de Sébastien Faure, de Victor Méric, de Georges Pioch ou encore de Julien Le Pen , un article jamais réédité depuis et réclamant le retour en métropole d’un « homme-cloporte », « injustement, iniquement condamné » le 5 mai 1908 par le conseil de guerre de Tunis à vingt ans de travaux forcés.
Mais, en avril 1929, Paul Roussenq qui détient le record de nombre de jours passés dans les cachots de l’île Saint Joseph croupit encore dans les pénitenciers de la colonie française outre-Atlantique. Son cas avait ému Albert Londres en 1923 et les lignes que le journaliste lui consacre dans son célèbre reportage ne manquent pas d’émouvoir l’opinion publique. Alexandre Jacob affirme dans cet article que le détenu Roussenq n’a jamais été un bagnard dangereux, certainement plus contestataire et fou que dangereux pour la société (ce qu’il écrit encore le 11 janvier 1932 au député Ernest Laffont : « en vingt-cinq ans de bagne, je n’ai connu qu’un seul transporté qui se plaisait en cellule. C’était Roussenq, un pauvre fou, un hystérique »). Roussenq fait encore partie en 1928 des forçats méritants du concours organisé par le journal Détective. Si l’homme puni est libéré le 28 septembre 1929, il demeure astreint à résidence perpétuelle en Guyane en vertu du doublage de sa peine jusqu’à ce que le décret ministériel du 06 août 1932 autorise son rapatriement. Jacob réclamait trois ans plus tôt qu’on le rende à sa vieille mère mais, lorsque Roussenq revient le 16 janvier 1933 à Saint Gilles du Gard, celle-ci est décédée depuis un peu moins de deux ans.
n°4, avril 1929
Affaire Roussenq
Lors du l’arrivée lu convoi on 1908, un ami placardé à Royale, au Service Intérieur, me passa un mot à l’île Saint-Joseph pour me prévenir de l’arrivée d’un copain, Roussenq, noté comme anarchiste. J’allai le voir. Il m’exposa son affaire. Détenu dans une cellule des geôles militaires d’Algérie, il avait écrit sur les murs « Vive l’Anarchie », « A bas l’Armée », puis mit le feu à sa paillasse. Résultat : 20 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour. Telle est, en deux mots, sans fioritures, l’affaire Roussenq. Un geste qui peut paraître niais à quiconque n’a pas subi les rigueurs de l’encellulement individuel sous un climat torride, mais qui, pour quelqu’un de sensé, ne saurait constituer une infraction passible d’une peine aussi forte.
D’ailleurs, ce fut là l’opinion de M. Chanel, gouverneur de la Guyane, qui, un 1924, après examen de son dossier, proposa Roussenq pour une grâce entière, complète. Cependant, malgré cette intervention, Roussenq est toujours au bagne. Voici pourquoi. En outre des très nombreuses punitions dont il a été l’objet – pour les motifs les plus futiles d’ailleurs – l’Administration pénitentiaire locale estimant que Roussenq ne serait pas apte à pouvoir assurer son existence dans le cas où il serait libéré et rendu à sa famille, se refuse systématiquement à appuyer toute mesure de clémence à son égard. Or, ainsi présenté, le cas de Roussenq me semble mal posé. Que Roussenq ait purgé des années de cachot, c’est exact ; que cette vie d’homme-cloporte ait eu quelque influence sur son jugement, c’est possible. Mais pourquoi a-t-il eu cette conduite ? Comment ses facultés ont-elles été altérées ? sinon parce qu’il a été injustement, iniquement condamné. Roussenq n’est pas un homme dangereux ; il ne l’a jamais été. Je l’ai coudoyé pendant 17 ans et jamais, jamais je ne l’ai vu se battre, voire se quereller avec un codétenu.
Par tempérament, c’est un pacifique. En le rendant à sa vieille mère qui ne vit que de cet espoir, en le libérant, non pas de sa peine, puisque, aussi bien, il l’a entièrement payée, mais de l’obligation de la résidence, la Société ne ferait que réparer très modestement l’injustice des juges utilitaires qui le condamnèrent il y a 20 ans.
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