Vers la libération
La campagne de presse qui débute le 27 février 1925 dans les colonnes du Peuple, organe de la CGT, se poursuit dans celles du Quotidien. Elle aboutit cinq mois plus tard à la commutation de peine du forçat 34777. Mais cette grâce intervient aussi dans le contexte bien précis d’un critique généralisée du bagne. Marie Jacob a d’ailleurs rencontré Albert Londres à Paris. Ses appels à l’aide et au soutien trouvent alors de plus en plus d’écho. Toutes les tentatives de la mère courage, jusqu’à présent, s’étaient soldées par des échecs.
L’accession de Jacob à la première classe, le 1er avril 1920, favorise encore les démarches. Les employeurs du garçon de famille peuvent témoigner de la tenue, du comportement, de la moralité de l’assigné. Le 15 février 1923, Marie Jacob effectue une nouvelle procédure de recours en grâce. Elle est appuyée par le surveillant Pasqualini, demeurant à Ajaccio, par l’ancien gestionnaire Alric, rentré de Guyane et résidant à Bordeaux. Celui-ci déclare donner des renseignements sur le forçat à la demande de sa mère et le faire « de grand cœur ». Il n’a eu qu’à se louer « de la bonne volonté et du travail de ce transporté ainsi que de sa probité ». Se joignent à eux le sous-chef de bureau Boulard et le docteur Louis Rousseau qui, tous deux, abondent dans le même sens. L’opération est soutenue par les députés Cordelle et Lafarge, proche du sénateur Anatole de Monzie et donc d’André Aron.
Ce dernier, avocat et homme d’affaires, conseille Marie Jacob, couturière de sa femme – l’artiste Romanitza – depuis 1913, et le dossier constitué en 1923 semble pouvoir aboutir au regard de tels certificats de bon comportement et au vu de tels intercédants. Malgré tout la demande est rejetée le 12 mars 1923. Un mois et demi plus tard, Louis Rousseau tente en vain à son tour de faire évoluer le statut de son ami bagnard. Pour ce faire, il passe par le médecin et sénateur du Nord, Charles Debierre. Louis Rousseau suggère qu’aux îles du Salut le commandant Cruccioni fait figure de paramètre défavorable à Jacob. La démarche de l’ancien médecin des bagnards n’aboutit pas non plus.
Quelques temps plus tard, le journaliste Albert Londres part en reportage pour la Guyane et, le 11 mai 1924, la victoire électorale du cartel des gauches ouvre la voie du gouvernement à Anatole de Monzie. La fortune d’André Aron, ses relations, autorisent un nouvel espoir pour Marie Jacob. C’est d’ailleurs ce que lui suggère le couple Aron en vacances à Venise à la fin de l’année 1924. Romanitza Aron confie à la mère du bagnard que son mari « croit qu’avec un peu de patience on arrivera au résultat sans essayer des moyens compliqués, aussi long au moins et en plus dangereux et coûteux ».
S’agit-il d’une énième et supposée vaine tentative d’évasion ? Toujours est-il que le 12 décembre 1924, Marie Jacob s’adresse une nouvelle fois au ministre de la justice et, le 17 janvier de l’année suivante, au président de la République. La campagne de libération d’Alexandre Jacob est lancée. Comme à son habitude Marie Jacob utilise un ton larmoyant et c’est toujours « une pauvre vieille mère éplorée » qui supplie le chef de l’état. Pourtant, la situation a changé.
Le 15 janvier 1925, le député de la Seine, Pierre Laval, appuie la demande de Marie Jacob et « ose espérer (…) une suite favorable à cette requête ». Il est permis de penser que Marie Jacob a pu rencontrer cet homme de gauche par l’intermédiaire des époux Aron. Ami de Painlevé, chef du gouvernement qui succède au ministère Herriot le 10 avril de cette année, Pierre Laval joue un rôle en appuyant à partir de ce mois la campagne de presse lancée par les journalistes Million et Roubaud dans Le Peuple et dans Le Quotidien, en février – mars. De la même manière, Anatole de Monzie devient un éphémère ministre des finances du 3 au 17 avril.
Marie Jacob est parvenu à toucher et à convaincre autour d’elle. Répétons-le, l’époque est à la critique généralisée du bagne. La volonté de la mère et des réseaux largement élargis ont fini par émouvoir quelques journalistes. Francis Million accueille Marie Jacob dans les locaux du Peuple, organe de la CGT, établi au 67 quai de Valmy, dans le Xe arrondissement de Paris. Le journaliste prend connaissance du cas du bagnard Jacob et recueille de nombreux témoignages en sa faveur et écrit une série d’article du 27 février au 24 mars 1905 :
– 27 février : « Le calvaire d’une mère »
– 28 février : « La requête de Marie Jacob pour obtenir la grâce de son fils », « résumé de la triste vie de mon malheureux fils »
– 1er mars : « Pour la libération de Jacob : le témoignage d’Albert Londres »
– 2 mars : « Pour la libération de Jacob : le témoignage du docteur Rousseau, ancien médecin des pénitenciers qui connut Jacob au bagne »
– 4 mars : « Pour la libération de Jacob : une lettre émouvante de Georgette Bouillot amie de Madame Jacob »
– 6 mars : « Une libération désirable : la vie de Jacob en Guyane »
– 8 mars : « Pour la libération de Jacob : de nouvelles attestations en faveur du transporté »
– 9 mars : « Pour la libération de Jacob : une lettre du directeur du Bonnet Catalan »
– 12 mars : « La grâce de Jacob »
– 14 mars : « Pour la libération de Jacob : quelques lettres de Jacob à sa mère »
– 23 mars : « Pour la libération de Jacob : quelques lettres de Jacob à sa mère »
– 24 mars : « Pour la libération de Jacob : quelques lettres de Jacob à sa mère »
A la suite des articles de Francis Million, Louis Roubaud prend le relais le dimanche 8 mars à la une du Quotidien. La campagne de presse démarrée dans le milieu syndical touche désormais le grand public :
– 8 mars : LE QUOTIDIEN « Cambrioleur et homme d’honneur, le cas du forçat Jacob pose une poignante énigme »
– 10 mars : LE QUOTIDIEN « La vie de Jacob, bandit et homme d’honneur, racontée par sa mère »
– 12 mars : LE QUOTIDIEN « La grâce de Jacob »
– 16 mars : LE QUOTIDIEN « Grâce pour Jacob »
Roubaud, comme Million, vise la sensibilité du lecteur. Les deux journalistes procèdent de la même manière. Il faut émouvoir car « Le cas Jacob pose une poignante énigme ». Alexandre Jacob est alors décrit comme coupable des crimes qu’il a commis. Il n’en constitue pas moins une victime sociale ayant entièrement expié son erreur. C’est pourquoi Roubaud et Million insistent en premier lieu sur les efforts acharnés de la mère du bagnard pour arriver à revoir son fils, sans pour autant être dupes d’une légitime mauvaise foi de sa part. « J‘ai reçu la visite d’une pauvre femme qui m’a raconté la plus navrante histoire » écrit Million le 27 février. « C’est une vieille en vêtement sombre, pauvre et propre. Elle est devant moi émue comme devant un juge. Elle se garde bien de dire toute la vérité. Elle passe sur les fautes » écrit Roubaud le 10 mars.
La dignité de Marie Jacob, ainsi décrite, ne peut que rejaillir sur son bagnard de fils dont le cas est ensuite abordé. Alexandre Jacob demeure un cambrioleur mais il se transfigure en homme d’honneur. Les deux journalistes s’appuient la correspondance du bagnard. Roubaud déclare même ne pas avoir trouvé dans le volumineux paquet de lettres que lui confie Marie Jacob « une seule pensée vulgaire ou égoïste, pas un mot de haine ». Alexandre Jacob n’est plus selon lui un danger pour la société.
Pour présenter l’homme enfermé aux îles du Salut, les deux journalistes appuient leur propos avec de nombreux témoignages, soit autant d’attestation d’une forte personnalité, autant de preuves d’un individu devenu intègre, probe, moral, foncièrement honnête. Le gestionnaire Alric, le docteur Rousseau racontent l’extraordinaire bagnard qu’ils ont connu. Georgette Bouillot écrit les espoirs et les déceptions de sa mère. Jacques Sautarel, bijoutier, ami de Jacob et compromis dans les Travailleurs de la Nuit, alors directeur à Perpignan de la revue Le Bonnet Catalan, verse dans le dithyrambe : « Combien qui jouissent de la liberté et des honneurs qui ne valent pas un seul de ses orteils ? Personnellement, je l’ai jugé de près ; c’est le plus délicat et le meilleurs des hommes ».
Albert Londres vient prêter main forte à son confrère Million le 1er mars. Pour l’auteur d’Au bagne paru l’année précédente, « Jacob a bien payé sa dette à la société ». André Aron, le même jour, assure pouvoir employer le bagnard dans le cas où son retour en France se réaliserait. Francis Million réclame la libération de Jacob ; Roubaud requiert la grâce pour le forçat.
Le 9 avril 1925, André Aron écrit au garde des sceaux pour louer « l’énergie et le courage d’un caractère trempé par les épreuves les plus rudes » et pour demander un avis favorable au dossier de recours en grâce que Marie Jacob vient de déposer. Il profite de sa lettre pour réitérer son offre d’emploi. Le 9 mai, Jacques Sautarel publie dans son journal « socialiste d’éducation artistique et syndical » orné en en-tête d’un marteau, d’une faucille et d’une plume, une « lettre ouverte à M.Painlevé ».
Le sort du bagnard se joue désormais dans les locaux du ministère de la justice. Le dossier de recours en grâce s’appuie sur des témoins de moralité connus (Pasqualini, Alric, Rousseau, Boulard) et met en cause le commandant Cruccioni qui « a été envoyé en disgrâce à la suite de différents faits qui prouvent que ses appréciations sont plus ou moins contestables ».
Le dossier de Jacob remonte jusqu’à la présidence de la République. Il est précédé d’une pétition lancée par Jacques Sautarel et orchestrée par Romanitza Aron.
Le 8 juillet 1925, Gaston Doumergue accueille favorablement la requête de Marie Jacob. La peine de travaux forcés à perpétuité est commuée en une peine de cinq années de réclusion à purger en métropole. Alexandre Jacob apprend la nouvelle sans enthousiasme. Elle signifie pour lui des années d’enfermement : « Comment veux-tu – écrit-il le 24 juillet – que je supporte dans une région presque polaire cinq ans de réclusion ? ». Le bagnard aurait aimé « après avoir purgé 23 ans de peine » une libération totale. Il n’en est pas moins satisfait de pouvoir quitter la Guyane et surtout de pouvoir enfin revoir sa chère et tendre mère. Le 24 août 1925, le forçat Jacob quitte les îles du Salut pour Saint Laurent du Maroni. Le 7 septembre, le gouverneur Chanel, qui lui aussi donna de bons renseignements sur le compte de l’anarchiste, écrit une note organisant le transfert de l’ex-transporté 34777. Elle est soussignée par le directeur de l’Administration Pénitentiaire Prével. Le 18 octobre 1925, l’ancien bagnard débarque en France. Il est incarcéré à la prison de Saint Nazaire. Il porte le numéro d’écrou 666. Alexandre Jacob va pouvoir revoir sa mère et l’embrasser après plus de vingt ans de séparation forcée. Il est revenu de l’enfer.
Bordeaux, 23 février 1923
137 cours de l’Yser
Monsieur,
Madame Jacob me demande de vous donner des renseignements sur son fils (transpor-té à la Guyane) que j’ai eu comme domestique assigné lorsque je servais dans cette colonie comme gestionnaire des magasins des Iles du Salut.
Je le fais de grand cœur attendu que je n’ai eu qu’à me louer de la bonne volonté et du travail de ce transporté ainsi que de sa probité.
Le fonctionnaire qui l’avait eu à son service pendant dix-huit mois m’avait fortement conseillé de le prendre comme assigné et je n’ai pas eu à regretter, bien au contraire, d’avoir tenu compte des bons renseignements pris sur son compte.
J’espère que la référence que je donne sur Jacob pourra amener une amélioration de sa triste situation et vous prie d’agréer mes salutations empressées.
Alric, sous agent comptable des matières des colonies en congé à Bordeaux
Lettre du Docteur Louis Rousseau
au sénateur Debierre, 1er mai 1923
En en-tête : communiqué confidentiellement à M le Garde des Sceaux par le sénateur Debierre
Rouen, le 1er mai 1923
Dr Rousseau à M. le sénateur Debierre
M. le sénateur
J’ai l’honneur de vous recommander Mme Marie Jacob, femme bien malheureuse qui vient demander votre appui.
Le fils de Marie Jacob a été condamné aux travaux forcés à perpétuité il y a déjà fort longtemps. Je ne saurai vous dire pour quel crime mais en tout cas uniquement pour des attentats contre la propriété sans la moindre violence contre des personnes. Comme ce condamné va avoir fait vingt ans de peine ces jours-ci, sa mère demande qu’il bénéficie d’une réduction de peine.
Voici maintenant pourquoi j’interviens en la faveur du condamné Jacob. Je viens de passer deux ans en Guyane et j’ai été médecin des pénitenciers des îles du Salut pendant vingt mois. Là, j’ai connu beaucoup de condamnés, je peux dire toute la population pénale et particulièrement Jacob qui était assigné chez le comptable gestionnaire chez qui je le fréquentais.
Jacob doit n’avoir que 44 ans environ bien qu’il en porte davantage. C’est un condamné intelligent et très réfléchi et qui a perdu toute nocivité. Sobre et sans autre passion que celle de l’étude, il mérite incontestablement le bénéfice des faveurs prévues par les lois. Je vous le recommande chaudement et bien sincèrement, je vous l’assure.
Mais Jacob est mal vu de l’administration pénitentiaire. Il est mal vu parce qu’il connaît admirablement les lois et les règlements et qu’il se fait souvent le détenteur et l’interprète de ses codétenus. L’administration lui reproche de présenter de temps en temps d’une irréprochable justesse de fond, écrites dans une forme impeccable. Elle en fait alors, et bien à tort, un mauvais esprit alors que c’est un garçon très posé, travailleur et qui a tout ce qu’il faut pour gagner sa vie après sa libération en Guyane que je lui souhaite de tout cœur et à laquelle, M. le sénateur, j’ose espérer que vous contribuerez.
Je suis très heureux d’avoir une occasion de m’occuper d’un malheureux mais je dois vous prévenir que, dans l’intérêt même de ce malheureux, il est à souhaiter que mon nom ne dépasse pas les bureaux de l’Administration Centrale – je veux dire du ministère – et que l’Administration locale – celle de la Guyane – ignore mon intervention. J’ai eu de vifs démêlés au sujet de la nourriture des condamnés et de sévices envers les condamnés malades avec le directeur actuel et la seule lecture de mon nom suffirait, je le crains, à l’indisposer contre tout détenu qui m’intéresse.
Recevez, M. le sénateur, l’assurance de mes respectueuses considérations.
Dr Louis Rousseau
(Médecin de l’armée coloniale en retraite)
à l’office de l’hygiène sociale de la Seine Inférieure
Préfecture Rouen.
Lettre du sénateur Debierre au garde des sceaux, 19 mai 1923
19 mai 1923
M. le Garde des Sceaux
M. le Ministre,
J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention en vue d’un recours en grâce sur le fils d’une malheureuse mère, Mme Jacob, d’une honorabilité certaine.
Alexandre Marius Jacob a été condamné, avec une sévérité excessive si on s’en rapporte aux circonstances de la cause, aux travaux forcés à perpétuité. Voilà vingt ans qu’il est à la Guyane. La lecture (lettre ci-jointe) de la supplique d’un ancien médecin de marine qui l’a vu et observé à la Guyane, le docteur Rousseau, vous renseignera exactement sur la situation de ce condamné.
J’espère, M. le Ministre, que la commission des grâces voudra bien exercer sa clémence en faveur d’Alexandre Jacob.
Veuillez agréer M. le Ministre l’assurance de mes sentiments dévoués.
Ch. Debierre
Sénateur du Nord.
Monsieur le Ministre de la Justice
Paris
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention sur une demande présentée par Madame Veuve Jacob, demeurant 1 passage Etienne Delaunay à Paris, à l’effet d’obtenir la grâce de son fils Alexandre Jacob condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité par la cour d’Amiens le 22 mars 1905.
J’ose espérer qu’il vous sera possible, après examen, de réserver une suite favorable à cette requête.
Dans cette attente, je vous prie d’agréer Monsieur le Ministre l’assurance de ma parfaite considération.
Pierre Laval
Député de la Seine
17 janvier 1925
Monsieur le Président,
C’est une pauvre vieille mère qui vient implorer votre pitié pour son fils condamné à perpétuité, mon malheureux enfant, le plus affectueux, le plus dévoué des fils, forcé de partir pour naviguer à l’âge de onze ans, ne pouvant supporter la vie atroce que lui faisait supporter son père alcoolique violent. Entraîné plus tard hélas à l’âge de dix-sept par des camarades exaltés, condamné ensuite à vingt-trois ans pour attentat à la propriété. Et depuis sa condamnation, subi courageusement sa peine malgré les accidents les plus tragiques : victime d’une tentative d’empoisonnement, subit plusieurs opérations et plusieurs années de réclusion cellulaire.
Enfin, depuis bientôt cinq ans promu à la première classe, mon malheureux enfant qui a amplement racheté ses fautes par une expiation de vingt-deux ans, n’a encore bénéficié d’aucune atténuation de l’implacable condamnation qui l’a frappé.
J’ai soixante-cinq ans. Je sens mes forces décliner tous les jours ; je vous supplie, Monsieur le Président, ne me laissez pas mourir sans revoir mon fils. Il ne désire plus qu’une chose, mon malheureux, c’est de secourir les derniers jours de sa mère. Je suis sûre qu’il est amendé et repenti.
Dans l’espoir, Monsieur le Président, que vous aurez pitié de nous et de nos longues souffrances. Je vous demande la grâce de mon fils.
Je vous prie, Monsieur le Président, de croire à mes sentiments les plus profondément respectueux.
Marie Jacob
I passage Etienne Delaunay
Paris XIe
1er mars 1925
Rubrique « Pour la libération de Jacob »
Titre « Le témoignage d’Albert Londres »
A Monsieur Francis Million, directeur du Peuple
Paris, 2 février 1925
Cher Monsieur,
Des démarches sont tentées pour obtenir la grâce du transporté Jacob, matricule 34777.
J’ai vu Jacob aux Iles du Salut. Depuis 22 ans, cet homme a bien payé sa dette à la société. C’est un devoir pour nous d’aider sa mère à revoir son fils. Je me joints à vous pour demander cette mesure de clémence et suis prêt à vous aider autant qu’il sera en mon pouvoir.
Croyez cher Monsieur à mes sentiments très sincères.
Albert Londres
Monsieur le Ministre,
Mon mari étant absent actuellement, je viens en son nom et avec son autorisation vous confirmer l’offre qu’il a faite récemment à Monsieur Million au sujet de la grâce éventuelle d’Alexandre Jacob.
Voici ce qu’il me charge de vous transmettre et je vous prie, Monsieur le Ministre, de bien vouloir y accorder votre bienveillante attention.
« Monsieur,
Madame Veuve Jacob me demande de vous faire connaître mon sentiment sur la de-mande en grâce qu’elle a présenté en faveur de son fils Alexandre Jacob, transporté aux Iles du Salut.
Depuis plus de dix ans, alors que j’étais encore à la cour d’appel de Paris, j’ai fait de nombreuses démarches en faveur de Jacob qui, à mon avis, avait été très durement condamné en vertu des opinions politiques qu’il avait affirmées et qui ont sensiblement aggravé, dans l’esprit du jury, les faits dont il s’est rendu coupable. Des renseignements personnels que j’ai obtenus de toutes parts sur la conduite de Jacob aux Iles du Salut, sa correspondance avec sa mère, dont j’ai pris connaissance depuis de nombreuses années, m’ont permis d’apprécier l’énergie et le courage d’un caractère trempé par les épreuves les plus rudes et je crois également que l’amendement de Jacob est absolu.
J’ajoute que sa mère représente pour moi l’exemple le plus élevé d’une vie de labeur entièrement consacré au relèvement et à l’amélioration du sort de son fils. A ce double titre, je suis tout prêt, si Jacob est l’objet d’une mesure de grâce, à l’engager à mon service, considérant qu’il peut prendre sa place dans la société, après avoir chèrement racheté ses fautes passées.
Croyez Monsieur le Ministre à l’expression de mes sentiments les plus distingués.
André Aron
Directeur de la Société Maritime et Commerciale de France
66 chaussée d’Antin
Paris »
Romantiza Aron
Notes sur le dossier de recours en grâce d’Alexandre Jacob, 1925
Le dossier cite entre autres comme témoins de moralité Pascualini, Alric et Rousseau
(…) En outre il faut tenir compte que le dossier extrêmement défavorable du condamné ne doit pas être tenu pour exact. Il résulte des indications fournies par les différentes personnes qui se sont trouvées en rapport avec Jacob que les renseignements défavorables communiquées par l’administration ont eu pour origine des notes données par l’ancien commandant du pénitencier des Iles du Salut M. Cruccioni. Ce fonctionnaire a été envoyé en disgrâce à la suite de différents faits qui prouvent que ses appréciations sont plus ou moins contestables. (…) Et enfin M. Boulard, sous-chef de bureau, qui était adjoint au commandant Cruccioni pendant que ce dernier donnait à Jacob les notes qui ont retardé son désinternement, pourra certifier également que la conduite de Jacob était excellente. M.Boulard est en ce moment en congé et demeure à la prison de Fresnes où sa femme est surveillante. (…)
Gouverneur de la Guyane
Vu la dépêche du ministre de colonies du 22 juillet 1925, n°442, portant modification de la décision présidentielle en date du 8 du même mois commuant à cinq ans la peine des travaux forcés à perpétuité prononcée contre le transporté Jacob Alexandre Marius, dit Georges, matricule 34777, sur la proposition du Directeur de l’Administration Pénitentiaire,
DECIDE :
Article 1 : l’ex-transporté Jacob sera embarqué sur réquisition de l’Administration Pénitentiaire sur le prochain paquebot « BISKRA » à destination de Saint Nazaire.
Article 2 : cet individu sera escorté pendant la traversée par deux surveillants militaires, partant en congé, qui le conduiront au service colonial de ce port.
Article 3 : les frais de transport seront inscrits au budget colonial chapitre 70 article 4.
Article 4 : le Directeur de l’Administration est chargé de l’exécution de la présente qui sera communiqué et diffusé partout où besoin sera.
Cayenne le 7 septembre 1925
Par le gouverneur : CHANEL
Le directeur de l’Administration Pénitentiaire : PREVEL
Sources :
– ANOM, H4098/34777, H1481/Jacob
– ARCHIVES NATIONALES, BB24 1012, dossier 2818 S 05, dossiers de recours en grâce, 1907-1928
– Archives départementales de Loire Atlantique, 6Y23
– CIRA, fonds Jacob
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