Gelée de lupinose
La publication en 2012 de la déclaration illégaliste d’Alexandre Jacob par les Editions de Londres avait d’autant plus de quoi nous réjouir que la présentation du texte sur le site internet de cette maison d’édition numérique, autoproclamée « naïve », reconnaissait à l’anarchiste le qualificatif d’honnête. Honnêteté et probité, les deux mamelles de la geste jacobienne. La joie est bien vite retombée tel un bol de gelée à la menthe que l’on démoule sur l’infect pudding ou bien sur un plat bizarre de viande en sauce. Cela a fait sploutch et nous voilà trempés, imprégnés d’une perfide lupinose.
« Le texte de Jacob est beau ». C’est vrai. L’honnête cambrioleur sait écrire ; c’est même une plume vive et aiguisée, comme celle qui fracturait les coffres-forts du bourgeois. Pourquoi j’ai cambriolé ?, et non Pourquoi j’ai volé, est avant tout un pavé théorique jeté, dans un contexte particulier, un procès, dans un moment particulier, l’insécurité présumée de la Belle Epoque, à la face du très hypocrite et légaliste principe de propriété. Celui-là même que défendaient les sectateurs du libéralisme du XVIIIe siècle dont se revendiquent les Editions de Londres. Nos bons éditeurs d’outre-manche ont-ils oublié que nos Lumières franchouillardes et autres tordus physiocrates n’avaient cure du droit de vivre qui ne se mendie pas, qu’ils se foutaient royalement d’une masse inculte et par force peu accessible au consumérisme bourgeois et nobiliaire du libéralisme, aussi éclairé fusse-t-il ?
Ont-ils aussi zappé en réclamant l’enseignement de Jacob à l’école, que cette école de la République fut créée par un des fossoyeurs du Tonkin et de la Commune, obligeant les têtes brunes et blondes à devenir des soldats citoyens, soit autant de viandes à venir pour les tranchées de la Grande Boucherie ? L’idée toutefois nous a fait sourire :
– Elève Michu, que faut-il faire si vous croisez une belle et riche demeure ?
– Je la considère comme une insulte à la misère m’sieur !
– Bien, bien, mais encore ?
– J’la cambriole m’sieur !
Les Editions de Londres justifient enfin la publication de leur Pourquoi j’ai volé, que vous pouvez-vous procurer pour la modique somme de 0€99 (hum !), par un étonnant aveu : Jacob est l’inspirateur de Lupin. Le sourire devient rayonnant, manquant même de gercer les lèvres qui se tordent, en lisant les preuves si irréfutables qu’elles en deviennent vérités révélées : un trou au plafond, un billet et de l’argent laissés chez Pierre Loti, une campagne de libération pour Sacco et Vanzetti, etc. La biographie de l’honnête homme donnée telle une sourate du Coran ou un chapitre de la Bible n’est pas contestable, « surtout quand on sait que Maurice Leblanc assista à son procès. ». Ecce Jacobo Lupino ! Vous imaginez alors ce que vous allez lire maintenant. Mesdames et messieurs, jacoblogueuses et jacoblogueurs, tirez les premiers sur cette gelée de lupinose.
http://www.editionsdelondres.com/Jacob-Marius
Editions de livres numériques
Marius Jacob
Marius Jacob ou Alexandre Marius Jacob, né à Marseille en 1879, mort en 1954 à Reuilly, est un anarchiste illégaliste français, ou encore un cambrioleur anarchiste dont le panache, la vie aventureuse, et la verve et l’humour inspirèrent Maurice Leblanc pour créer le personnage d’Arsène Lupin.
Marius Jacob, une vie haute en couleurs
Marius Jacob naît à Marseille dans un milieu ouvrier. D’origine Alsacienne, à l’époque Allemande, il s’engage comme mousse à l’âge de douze ans et voyage jusqu’à Sydney. L’expérience est formatrice comme on dit : il découvre les gens de la « haute », les marins qui en guise de femme se feraient bien un petit mousse, le transport d’esclaves, transport de bagnards… De retour à Marseille, il abandonne la marine, et devient apprenti typographe. Donc, Les Editions de Londres et Marius Jacob, ce sont un peu des « compagnons » !
Comme tant d’hommes dégoûtés par les appâts de la Belle Epoque, Jacob fréquente les milieux anarchistes et libertaires. Il y rencontre d’ailleurs sa concubine, Rose. Trois choses sont à observer pour comprendre cette période dont la relation historique est souvent faussée afin qu’elle épouse ce que l’Etat en place veut nous faire croire. Si l’ignoble Napoléon III n’était pas vraiment l’ami des pauvres, la Troisième République institutionnalise le vol qualifié, le projette à une nouvelle échelle. Au moins, avec Napoléon III, on avait l’illusion qu’il restait un espoir, la République. Avec l’avènement de la Troisième République, dont l’acte de naissance est la reddition face aux Prussiens, l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine, et le massacre de la Commune de Paris, cet espoir s’est évanoui. La deuxième chose à comprendre, c’est que le mouvement ouvrier s’est historiquement rassemblé autour d’une mouvance politique. L’histoire contemporaine associe souvent l’émergence du mouvement ouvrier avec l’ascendance du parti communiste. C’est oublier, qu’avant les communistes, il y avait les anarchistes. La troisième chose à comprendre, c’est que la répression que l’Etat exerce sur la mouvance anarchiste était féroce, terrible, illégitime (voir Les lois scélérates), et que l’on ne peut pas comprendre les attentats terroristes perpétrés par le anarchistes, si on ne fait pas l’état des arrestations arbitraires, déportations au bagne, condamnations à mort…
Marius Jacob est d’abord arrêté pour une histoire d’explosifs, puis en 1899 il réalise un coup au Mont de Piété où il se fait passer pour un policier et déleste le commissionnaire de tout son stock. Il est ensuite de nouveau arrêté la même année, il simule la folie, s’évade avec la complicité d’un infirmier. C’est alors qu’il organise une bande, « Les travailleurs de la nuit ». Leur but, le vol de ceux qui ont tout, sans jamais tuer. Un pourcentage du butin est reversé à la cause anarchiste. Marius Jacob choisit bien ses fréquentations. Il ne travaille qu’avec des anarchistes illégalistes comme lui, ne se mêle pas à la pègre dont on connaît les opinions politiques réactionnaires.
Un jour il pénètre chez une marquise ruinée et lui laisse dix mille francs or. Une autre fois, il cambriole la maison de Pierre Loti, et décide de ne rien voler, par solidarité de marin ? Mais il lui laisse ce mot : « Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. PS : ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé ». On croirait entendre Stances pour un cambrioleur de Brassens.
Finalement, suite à la mort d’un agent de police, il est arrêté en 1903. On le juge à Amiens en 1905. C’est alors qu’il interpelle le Tribunal, ce qui nous donne le texte Pourquoi j’ai volé. Il échappe à la guillotine, est condamné au bagne de Cayenne, d’où il essaie de nombreuses fois de s’échapper, mais dont il ne sort finalement que suite à sa fermeture grâce au travail d’Albert Londres. Il purge sa peine en métropole jusqu’en 1927, après quoi il essaie de se réinsérer dans la vie civile. Il continue à soutenir la cause des anarchistes : il milite contre l’exécution de Sacco et Vanzetti, lutte contre l’extradition de Durruti vers l’Espagne. En 1936, il va en Espagne pour lutter avec la CNT, mais revient ensuite en France. Il ne participe pas à la Résistance (il avait déjà soixante ans…). Après la guerre, il fréquente toujours les milieux libertaires (R.Treno du Canard Enchaîné…)…Il se suicide à Reuilly en 1954.
L’héritage de Marius Jacob
Marius Jacob a été peu à peu « redécouvert » depuis une vingtaine d’années en partie grâce à la fascination que continue à entretenir le héros de Maurice Leblanc, Arsène Lupin, dont Marius Jacob est sans aucun doute l’une des figures inspiratrices, surtout quand on sait que Maurice Leblanc assista à son procès.
Les deux personnages, l’un réel, l’autre inventé, sont évidemment fort différents, mais tous deux se rejoignent et se complètent pour brosser un tableau d’une certaine tradition française, dont les origines remontent sans aucun doute à plusieurs siècles, dans un pays littéraire influencé par le roman courtois et le roman rabelaisien, par Renart et Yvain, des êtres chevaleresques, élégants, généreux, gouailleurs, habiles, et dont la biographie est plus noble et plus passionnante que celles de Napoléon III ou de Thiers.
© 2012- Les Editions de Londres
« Pourquoi j’ai volé » ou « Pourquoi j’ai cambriolé » est un texte écrit par Marius Jacob et une adresse aux juges qui l’enverront au bagne suite à son procès en 1905 au tribunal d’Amiens.
Pourquoi nous publions « Pourquoi j’ai volé »
Naturellement, les raisons sont multiples. D’abord nous publions d’autres anarchistes : Kropotkine, Bakounine, Reclus. Puis nous trouvons intéssant de publier l’un des textes du personnage qui influença le héros qui influença tellement notre enfance, Arsène Lupin. Et enfin, parce que le texte est beau, court, authentique, bref toutes les valeurs littéraires que nous défendons.
Mais il y a d’autres raisons. Commençons par dire, que dans une tradition toute légaliste, nous n’aurions probablement pas publié ce texte si les Editions de Londres avaient existé il y a vingt ans. Les Editions de Londres sont une maison d’édition numérique et naïve ; nous donnons aux gens une chance, nous les écoutons, nous préjugeons toujours de leur bonne foi intellectuelle. Secundo, nous croyons aussi que ceux qui s’expriment et nous parlent le font de bonne foi, et que les mots reflètent leur pensée, et que leur pensée suit un processus cohérent d’évaluation des faits et des idées, lequel fonctionne d’une façon autonome.
Comme nous sommes naïfs, nous avons accordé pendant bien longtemps une certaine légitimité au système qui nous régit depuis une bonne trentaine d’années. Issu des idées du CNR, de celles de 68, et puis l’héritage des Lumières, et tout ça, on croyait en la bonne foi des gens qui nous gouvernent. Nous nous trompions. Pas sur tout, mais sur un certain nombre de points fondamentaux. Nous sommes très heureux de nous être trompés puisque au moins nous avons nos idées bien à nous ;en effet, encore aujourd’hui, nous aurions du mal à nous retrouver dans une mouvance politique, ou philosophique, si ce n’est le Libéralisme du Dix huitième siècle. Mais à défaut de lavage de cerveau idéologique, notre processus de pensée se fonde sur un certain nombre de principes bien solides, plus solides que les murs ou les plafonds dans lesquels Marius Jacob ou Arsène Lupin faisaient leurs petits trous. Ces principes s’appellent libre pensée, esprit critique, anti-dogmatisme, devoir d’insoumission, et plus prosaïquement appeler un chat un chat.
C’est pour ces raisons que de nos jours la publication de « Pourquoi j’ai volé » ne se justifie pas, elle s’impose. On appelle cela la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis trente ans, on se fout de nous, on nous espionne, on nous vole, on nous pille, mais depuis trois ans, alors là on nous prend vraiment pour des simples d’esprit. Le triple vol dont nous sommes les victimes se décline ainsi : 1) les Banques qui s’en mettent plein le fouilles, puis veulent ensuite faire payer les contribuables quand leur larcin tourne cours, sans pour autant cesser de les violer et de se payer grassement en bonus sonnants et trébuchants, 2) l’Etat qui nous vole et empile une dette de nature à tous nous mettre dans la rue en hiver à jouer de la mandoline avec un singe savant qui joue du biniou, histoire de se tenir chaud, et 3) les politiques, les chefs d’entreprise, leurs petits lieutenants préférés, qui ont inventé ce système unique/inique où écoles d’élite, entreprises d’élite, allocations familiales et même vacances à tire-larigo, tout cela est payé par le contribuable ; après on s’étonne que, depuis une quinzaine d’années, les gens soient en état pré-révolutionnaire dans notre beau pays.
Alors, dans ce contexte, l’honnête, c’est Jacob ; les malhonnêtes, ce sont ceux qui volent et échappent au couperet de la justice, ceux qui ont fait des milliards en vendant leur poudre de perlimpinpin à des pauvres imbéciles, et maintenant s’attaquent à ceux qui ont une baraque à frites quand la fumée gêne leurs nasaux délicats (décidément, Lindsay Owen-Jones vieillit mal, ce sont ceux qui rebondissent à chaque fois…Tous ces gens là, le monde injuste qu’ils nous imposent, cela m’évoque irrésistiblement mon grand ami Beaumarchais face au Chevalier de la Blache, et les cinq ans de censure qui précèdent la représentation de Figaro.
Voilà pourquoi nous le publions.
Un manifeste de la révolte individuelle
C’est toujours délicat de commenter un texte court, surtout quand ce texte explose dans les mains ou sur la liseuse comme un feu d’artifice dans le ciel noir de la morale obligatoire d’une société en perte de vitesse et qui ne tient pas plus que par la propagande télévisée et l’abêtissement des masses.
D’ailleurs, si ce texte vous a plu, nous vous conseillons de regarder les publications de l’Insomniaque, qui a eu un rôle clé dans la résurgence de Marius Jacob. Chapeau bas, L’Insomniaque ! Quelques titres : « Ecrits », « Travailleurs de la nuit », « A bas les prisons, toutes les prisons » et « Extermination à la française ». Eux aussi, ce sont des Travailleurs de la nuit, si ce n’est qu’en lieu de biens matériels, ils dérobent des mots et des idées bien rangés et les livrent au public.
Le texte de Marius Jacob possède plusieurs moments forts. Nous en avons choisi quatre.
D’abord sa vision de la société, vraie à l’époque d’où il nous parle, probablement aussi vraie mais moins perceptible pendant les Trente Glorieuses, de nouveau aussi vraie depuis une quinzaine d’années : « Plus un homme travaille, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n’est donc pas considéré. Les audacieux seuls s’emparent du pouvoir et s’empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l’échelle sociale tout n’est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre. »
Ensuite les conséquences : « Un tel état de choses ne peut que produire l’antagonisme entre les classes laborieuses et la classe possédante, c’est-à-dire fainéante. La lutte surgit et la haine porte ses coups. »
Puis une justification : « Si je me suis livré au vol, ça n’a pas été une question de principe, de droit. J’ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d’homme, que me faire l’artisan de la fortune d’un maître. »
Puis une solution : « Pour détruire un effet, il faut au préalable en détruire la cause. S’il y a vol, ce n’est que parce qu’il y a abondance d’une part et disette de l’autre ; que parce que tout n’appartient qu’à quelques uns. »
Perspective sur « Pourquoi j’ai volé » en 2012
Ce que les trois dernières années nous ont enseigné, c’est que le progrès social intervient par sauts, et que parfois il faut reculer pour en faire de plus gros, des sauts, et que le système est en train de dérailler. Comme nous le savons, le modèle économique occidental fonctionne fondamentalement sur deux piliers : la consommation de biens matériels en excès comme substitution au bonheur, et la manufacture de la peur quand les gens n’ont plus un sou.
Mais que les Gouvernements en place extradent des suspects pour un oui ou pour un non vers les Etats-Unis (Royaume-Uni), ne cillent pas quand les patrons des banques nationalisées empochent de gros bonus dans une période de récession terrible (Royaume-Uni), cherchent à protéger les intérêts privés contre l’intérêt public (SOPA aux Etats-Unis, ACTA en Europe), ou tout simplement laissent perdurer un système inique (éducation dans des écoles et des quartiers en perdition, stages par copinage, jobs obtenus par prostitution affective, loi qui sanctionne tout cela, cautions parentales des parents sexagénaires pour pouvoir se loger…), ça, c’est ahurissant.
Il ne fait donc aucun doute que les choses empirent. En France, au Royaume Uni, aux Etats-Unis, des sociétés de classes fondées sur des inégalités monumentales sont en train de se reconstituer devant nos yeux. Depuis que le garde-fou idéologique de l’URSS a sauté, l’Occident s’en donne à cœur joie ; tout est devenu permis avec des populations abruties, conditionnées, par la propagande étatique la mieux faite, la plus subtile que l’histoire ait connu, parce que comme nous le disons souvent, nous vivons dans un état de dictature consentie.
C’est bien pour cela que « Pourquoi j’ai volé » devrait être étudié dans les écoles.
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