Héros de télé !
La presse écrite a largement contribué à véhiculer une image déformée d’Alexandre Jacob. Elle n’est pas le seul support médiatique à s’être emparé d’un personnage qui a peu à peu investi le champ culturel. En 1983, le scénariste Etienne Serval écrit à Robert Passas, ami de l’honnête cambrioleur, pour lui faire part d’un projet de téléfilm. Il a obtenu ses coordonnées par le biais de May Picqueray. Mais la chaîne de télévision TF1 rejette un sujet estimé « merveilleux … mais trop cher »[1]. Du héros d’un roman vrai, nous passons facilement au personnage de fiction, au héros d’un vrai roman. Car la vie d’Alexandre Jacob autorise la multiplication des scénarios, des histoires à rebondissements ; permet de tourner dans de multiples décors ; accroît de manière conséquente le nombre de personnages secondaires.
Pour ces raisons, la mise en œuvre d’un projet de cette ampleur suppose des fonds considérables. C’est ce qui explique en partie qu’il faille attendre la sortie de la deuxième biographie de Bernard Thomas en 1998 pour entrevoir Alexandre Jacob sur les écrans de télévision. Encore ne s’agit-il pour l’instant que d’émissions, de reportages, ou encore de documentaires-fictions.
Comme pour la presse écrite, l’anarchiste constitue le plus souvent un faire-valoir, un support facile. C’est le cas notamment de l’émission Ça se Discute de Jean-Luc Delarue le mercredi 21 janvier 1998 et ayant pour titre « Vols, cambriolages, braquages : peut-on justifier l’inacceptable? » (sur France 2). Claude Nerrand, président de l’Office du Tourisme de Reuilly, et Pierre valentin Berthier, sont tous deux conviés à participer. Ils nous ont déclaré ne pas avoir été dupes des intentions médiatiques de l’animateur ainsi que du caractère exhibitionniste et théâtral de l’émission[2].
Cette année là encore, à l’automne 1998, la télévision suisse romande consacre une heure de son antenne pour évoquer la vie d’Alexandre Jacob. Il conviendrait d’écrire plutôt « les vies » puisque l’émission Zig-Zag Café donne la parole à Bernard Thomas venu faire la promotion de la réédition de sa biographie : Les vies d’Alexandre Jacob (éditions Mazarine 1998). Malgré la présence de Josette Duc, dernière compagne de l’anarchiste, qu’il rencontre pour la première fois, le journaliste au Canard Enchaîné monopolise la parole pour vendre son ouvrage et se mettre en valeur.
Il est toutefois intéressant de relever que, sur le plateau de télévision, Bernard Thomas s’exprime avec en toile de fond la première de couverture des Ecrits d’Alexandre Jacob. Nous ignorons s’il s’agit de malice de la part du réalisateur dans la mesure où l’invité entretenait des relations plus que houleuses avec l’équipe de L’Insomniaque qui avait publié lesdits Ecrits en 1995.
Alexandre Jacob apparaît encore lors d’une soirée télévisée à thème diffusée le 19 octobre 2003 sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte. Le téléspectateur est alors initié à l’histoire d’Arsène Lupin mais, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, le rapprochement avec Alexandre Jacob est cette fois-ci nié par l’entremise de Dominique Kalifa. L’historien de la perception des faits divers, de la criminalité, des bas-fonds et des bagnes militaires rappelle l’originalité de Maurice Leblanc et replace l’anarchiste et le héros littéraire dans le contexte supposé d’insécurité à la fin du XIXe siècle.
Nous avons été contactés au mois d’août de cette année par Melle Christine Bouteiller, réalisatrice, pour figurer dans le reportage qu’elle effectuait à l’époque sur l’anarchiste. C’est ce reportage, tout empreint de lupinose, que nous mettons en ligne demain pour illustrer cet article. La jeune femme travaille sur une série de sept émissions, d’environ 25 minutes chacune, commandée par la chaîne de télévision satellite Toute L’Histoire à l’occasion des fêtes de Noël 2003. Chaque émission traite d’un des grands faits divers marquant une supposée et anachronique Belle Epoque. Il revient à l’historien Jean-Marc Berlière d’orchestrer le tout d’opérer un choix forcément subjectif. Ce dernier apporte sa caution scientifique à l’évocation du crime de Soleilland ou encore de ceux de Le Vacher.
Il intervient aussi pour l’émission consacrée à Alexandre Jacob et, dans ce cadre, relate les exploits de l’anarchiste jusqu’à son envoi au bagne. Le téléspectateur doit ainsi être subjugué par les fameux cambriolages des Travailleurs de la Nuit ; il doit sourire devant l’audace de Jacob face à ses juges. Si le contrôleur général de la police, Charles Diaz, affirme dans le reportage une filiation entre un homme considéré comme un exceptionnel bandit (mais « sans classe » !!!) et le personnage inventé par Maurice Leblanc, notre intervention vise à sortir Alexandre Jacob du cadre réducteur du droit commun pour le replacer dans le contexte plus politique de l’anarchie. Il n’est pas sûr que nous y soyons parvenus.
Le 30 janvier 2005, la chaîne de télévision de service public, France 2, diffuse pour la première fois le téléfilm de Thierry Binisti. Les amants du bagne s’inspire librement des vies d’Albert Londres et d’Eugène Dieudonné, respectivement campés par les comédiens Antoine de Caunes et Laurent Malet. Alexandre Jacob n’apparaît pas dans cette fiction d’environ deux heures. Mais ce sont bien ses paroles et celles de son compagnon Jules Clarenson que l’on peut entendre à deux reprises.
Le téléfilm commence par une vue du cachot où est enfermé l’anarchiste Camille Desfeuilles, condamné au bagne pour avoir jeté un produit incendiaire contre une préfecture. Nous nous éloignons donc volontairement dans ce cas du personnage de Dieudonné pour nous rapprocher de celui de Charles Gallo. Réveillé par la brutalité d’un surveillant militaire, Desfeuilles que l’on peut assimiler aisément à celui « qui s’évada » clame hautement les paroles de la chanson La cellule de Clarenson, publiée une première fois par le journal libertaire amiénois Germinal en 1905, à l’occasion du procès des Travailleurs de la Nuit :
De quels cerveaux féroces
Affolés par la rage,
De quels esprits sadiques,
Affreux, dénaturés,
Naquit l’intention
Terrible de la cage,
Où l’homme enferme l’homme
Et le tient emmuré ?
Dans une autre scène du téléfilm, Albert Londres rencontre la femme de Desfeuilles qui lui explique en une phrase les raisons politiques des actes délictueux de son mari : « Le droit de vivre ne se mendie pas ». Nous ignorons pourquoi le réalisateur de cette fiction n’a pas donné l’intégralité de la réplique d’Alexandre Jacob. Il est vrai qu’à une heure de grande écoute, rajouter « il se prend » devient une justification politique, prosélyte et « mal venue » du vol. Peut-être y a-t-il autocensure de la part de Monsieur Binisti ?
Contacté par téléphone, ce dernier nous a déclaré n’avoir pu pour des raisons techniques signaler l’origine des dialogues de ses personnages. Toujours est-il que le générique de fin mentionne Lucienne Boyer interprétant la chanson d’Albert Londres « La Belle ». Ce fait nous parait quelque peu contradictoire avec le propos avancé par le réalisateur. Il n’en demeure pas moins que cette production, somme toute assez lente et ennuyeuse, bénéficie d’un gros financement autorisant le tournage de scènes en Guyane.
La question des moyens parait une fois de plus déterminante pour qui veut adapter une fiction, réaliser un reportage sur Alexandre Jacob.
Le cinéaste Bertrand Tavernier avait imaginé en son temps pouvoir filmer la vie de Jacob. Le projet a-t-il sombré dans les eaux sombres du Maroni ? Est-il encore d’actualité ? Nous n’en savons rien. Mais c’est d’abord cette raison pécuniaire qui pousse le cinéaste Hubert Brunou de Paris à abandonner en 2005 son projet de documentaire sur Jacob alors que, depuis plus de deux ans, il multipliait les prises de vue et les interviews[3]. De la même manière, la réalisatrice Karen Bruère, dont nous avions réalisé l’interview il y a quelques temps a laissé tomber elle aussi son projet de docu-fiction pourtant très prometteur. Pas assez de financement !
C’est encore ce motif qui justifie la lenteur de réalisation du reportage amateur de Laurent Termignon et Thomas Turner qui, en avril 2005, nous ont confié leur détermination et leur façon de travailler. Elles rejoignent notre propos en ce sens qu’ « au-delà du fabuleux technicien du vol, il y a un homme de réflexion et un théoricien dérangeant de la reprise individuelle ». Terminé en 2006, le documentaire est en ligne sur Dailymotion depuis le 6 décembre 2008 et, à ce jour, a été vu plus de 8500 fois. Il a été diffusé dans quelques festivals comme celui du court-métrage, Bobines Rebelles.
Un concert de Louanges ? C’est peu dire. La chaîne de télévision France 3 diffusait, mardi 25 octobre 2011, les Robins des pauvres, une fiction censée rompre avec la monotonie des historiettes hexagonales et rangeant, de facto, au placard tous les Louis la brocante, toutes les Joséphine ange gardien de la terre. Même Télérama, pourtant si peu prompt à saluer les productions nationales, dessert quelques lauriers au téléfilm de Frédéric Tellier, qui a réuni deux millions de téléspectateurs, soit 7,7% du public présent devant son petit écran entre 20h35 et 22h15.
Les robins des pauvres. C’est l’histoire de braqueurs ruraux et auvergnats vaguement inspiré de celle de Vassili Paléokostas, braqueur, grand cœur grec notoire, et récidiviste de l’évasion en hélicoptère. Le film est une gentille fiction avec des répliques cultes. Et qui accrochent l’oreille citoyenne. A n’en point douter, le slogan des robins des pauvres est en revanche d’un illégaliste hexagonal notoirement connu. Nos braqueurs auvergnats font irruption dans une banque, s’excusent presque du choc provoqué, s’emparent d’un conséquent butin puis, repartent non sans avoir pris le temps de faire bomber à la peinture leur signature par une des caissières : le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ! Et l’on retrouve le majestueux tag jacobien tout au long du téléfilm.
Hors les lois et les servitudes a été réalisé à partir de l’été 2011. A n’en point douter, ce n’est pas un film d’amateurs. Michel Mathurin, le cinéaste, animateur de la salle obscure de Masseube dans le Gers, dresse le portrait d’un honnête cambrioleur, ici superbement incarné par Francis Ferrié. Les moyens du bord et le nerf de la guerre peuvent justifier un rythme lent, des décors minimalistes ou bien une vision que d’aucuns pourront juger (sic) rapide ou anachronique. Pouvait-il en être autrement en 52 minutes. Il n’empêche que sous vos yeux grands ouverts apparaissent Jacob et les Travailleurs de la Nuit au plus près d’une réalité politique que d’autres ont voulu marquer du simple et réducteur sceau de l’aventure et du fait de droit commun. C’est un film politique à la Ken Loach ou encore à la Peter Watkins, où le droit de vivre ne se mendie pas … On connait la suite et on espère que Michel Mathurin trouvera très vite un distributeur pour diffuser cette vie d’anarchiste très prochainement sur les toiles de France, de Navarre et d’ailleurs.
Plus récemment encore, Olivier Durie réalise à son tour un docu-fiction sur l’honnête cambrioleur. Les films Grain de sable produisent la chose qui, si la BA est conforme, pourrait s’avérer fort intéressante. Pourtant, nous avons commencé par un bon éclat de rire en visionnant le teaser de Alexandre Marius Jacob et les Travailleurs de la Nuit : un vieux à moustache et en marinière. Une fin de vie et des flash-back en perspective.
Le papy s’affaire derrière le bureau d’un intérieur bourgeois. Pour la dernière fois peut-être, histoire de faire défiler le film (sic) de sa vie ? Gros plan sur une pile de journaux. Il y a Germinal. La feuille anarchiste a été trafiquée pour que l’on puisse y voir un beau Jacob caricaturé. Et l’honnête homme se met à déclamer devant des jurés ébahis, atterrés et scandalisés que Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ! La paupière s’ouvre en plus grand ; l’intérêt est d’autant plus capté que nous notons l’originalité de l’idée. Jacob en dessin animé : fallait y penser.
Puis on assiste à quelques minutes de démonstration théorique et pratique de l’illégalisme anarchiste. Là est l’originalité réelle. De vraies fausses images d’époque montrant des manifs et des bourgeoises se promenant sur les boulevards, des scènes où Jacob et ses complices cambriolent, fracturent une porte, un volet, celles où les voleurs courent devant un danger supposé, la contrebasse à la main ; le récit semble rythmé. Prometteur. Alléchant.
On attend d’avoir la suite si le réalisateur parvient bien sûr à boucler son budget, chose nettement moins évidente qu’il n’y parait ; la tentative de financement participatif sur le site http://www.touscoprod.com n’ayant guère abouti en 2013. Le droit de filmer ne se prend visiblement pas, il se mendie ! Le texte de présentation du projet avait de quoi, même avec l’emploi du conditionnel, nous surprendre en retombant, hélas, dans l’inénarrable cliché lupinien pour appâter le consommateur-citoyen :
« Tout le monde ou presque connait le personnage d’Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, mais combien en revanche ont déjà entendu parler d’Alexandre Marius Jacob, le personnage réel qui aurait servi de modèle à Lupin ? Armés de pinces-monseigneurs, ce cambrioleur anarchiste et sa bande se lancent à l’assaut de la société bourgeoise de la Belle Époque. Pendant plusieurs années, leur périple rocambolesque effraie les nantis de la société française et met en alerte toutes les polices de France. Mais lorsque s’ouvre enfin leur procès en mars 1905, la salle de tribunal devient le théâtre d’un spectacle inattendu. Car pour Alexandre Marius Jacob, leader charismatique à l’humour mordant, l’occasion est trop belle : du haut de cette tribune qui lui est offerte, il va pouvoir juger la société au grand jour. Entre documentaire et fiction, Alexandre Marius Jacob et les Travailleurs de la nuit revisite la France de la Belle Époque au rythme effréné de cet activiste de haut vol en forme de film documentaire d’aventure. »
Bénéfice du doute ? La Nouvelle République a régulièrement mentionné le tournage du film dans l’Orléanais et le Berry en évoquant systématiquement le gentleman-cambrioleur de Maurice Leblanc. Pour l’heure, rien n’a encore illuminé les salles obscures et les écrans plats de nos salons. Les projets autour d’Alexandre Jacob ne manquent pas. Leur réalisation se heurte finalement à deux écueils : l’argent et la recomposition lisse d’une image politiquement incorrecte. Car les vols d’Alexandre Jacob doivent d’abord se concevoir historiquement comme autant d’actes révolutionnaires à un moment aigu de paupérisation sociale.
« Vienne l’anarchie ! » conclut le peut-être futur héros de télé dans sa fameuse déclaration en 1905.
[1] Fonds Jacob, CIRA Marseille, lettre d’Etienne Serval à Robert Passas, 22 septembre 1983.
[2] Voir dans le Jacoblog les interview de Claude Nerrand, 3 avril 2001 et de Pierre Valentin Berthier 14 février 2001.
[3] Nous avons rencontré Hubert Brunou à l’occasion de l’inauguration de l’impasse Marius Jacob à Reuilly en octobre 2004.
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