Citoyenne lupinose
Citoyen Junior a cessé de paraître à l’été 2014. Quatre ans plus tôt, le numéro 1 de ce mensuel à vocation pédagogique invitait les jeunes têtes blondes de n’importe quel CDI[1] de France et des pays francophones à faire en une quarantaine de pages de facture somme toute classique « un voyage extraordinaire au cœur de notre droit ». Des reportages, des témoignages, des photos, des cartes, des caricatures, des jeux, des quiz et des bandes dessinées pour construire un honnête homme, pour édifier l’intègre enfant à notre justice de classe. Fais pas si, fais pas ça et rentre dans le rang ? Le n°41 du dit mensuel publié par les éditions Faton ne déroge pas à la règle éditoriale avec un sommaire riche et surprenant. Quoi de mieux pour interpeler l’adolescent en formation que de lui révéler la citoyenneté de l’Antiquité à nos jours ? Que de le sensibiliser aux problèmes environnementaux avec les Chinois qui polluent tout chez eux ? Que de lui faire rencontrer une jeune et forcément sympathique procureure ? Ou encore de lui montrer que voler c’est mal ? C’est mal … même si l’on s’appelle Alexandre Marius Jacob.
La bande dessinée de 4 pages, imaginée par Laurence Cornou, avait pourtant de quoi nous interpeler favorablement. Heureuse surprise d’abord en découvrant dans la première image un vendeur de rue brandissant Le Libertaire qui affiche en Une : « un honnête voleur face à l’oppression des juges ». Allusion à la biographie de l’Atelier de Création Libertaire ? Possible. Le mode opératoire des Travailleurs de la Nuit précède l’exposé des motivations politiques de l’illégaliste par le biais du procès d’Amiens. Un exposé synthétique, clair qui amène logiquement et pédagogiquement le criminel à expier ses crimes. Le verdict tombe le 22 mars 1905. Il est dur, sévère, implacable : « S’il n’a pas été condamné à mort, les bagnards vivent dans de telles conditions que le résultat est souvent le même : beaucoup meurent sur place à cause de la malnutrition, des maladies des meurtres » nous dit cette BD qui ensuite montre la vie du rebelle Jacob au bagne, sa rencontre avec le docteur Rousseau, sa libération puis sa participation à la guerre d’Espagne avant son suicide le 28 août 1954.
Le portrait, simple et réaliste, de l’honnête cambrioleur, voleur et anarchiste, peut plaire et retenir l’attention du minot, sage et obéissant. Il évite même ce désagréable manichéisme que l’on retrouve dans la littérature jeunesse et dans les manuels d’éducastration civique. Bien sûr on pourrait objecter la réduction de l’anarchie, mouvement riche et complexe, aux deux seules branches illégalistes : celle des poseurs de bombe et celle des partisans de la pince monseigneur. Cet aspect est largement modéré par le propos politique et social de Jacob montré lors du procès d’Amiens. Les cambriolages sont ainsi justifiés : « Leur but n’est pas seulement gagner de l’argent pour vivre mais de reprendre par le vol ce qui, selon eux, leur est dû. L’époque est dure pour la plupart des gens, ceux qui travaillent gagnent à peine de quoi survivre ». Nous sommes ainsi loin des clichés de la Belle Epoque.
Seulement « Je vous rappelle que voler est un délit et que la propriété est un droit » peut-on lire dans la bouche du juge Wehekind qui préside les assises d’Amiens. L’anarchie ne mènerait-elle à rien si ce n’est à l’échafaud ou au bagne ? Force doit ainsi rester à la loi, à cette loi que l’anarchiste dénonçait le 9 mars 1905 comme un rouage social aussi hypocrite qu’inefficace : « Malgré les progrès réalisés, dit-il, l’homme est toujours un loup pour l’homme. Il s’arroge le droit de juger les hommes. Mais il ne met sa justice qu’au service des riches contre les pauvres. Il y a un siècle, les pénalités étaient atroces et cependant il n’y avait pas moins de crimes que maintenant. Au contraire. Donc, ce n’est pas en punissant qu’on empêche la perpétration des crimes. Le magistrat ne punit que pour défendre ses sinécures. ».
La vie du rebelle Jacob se termine bien. Il « sait qu’il est un hors la loi » et donc le jeune lecteur doit en déduire qu’il est normal de payer pour ses crimes. Son histoire est alors accompagnée d’une page proposant de retrouver les phrases prononcées par le dynamiteur Ravachol lors de son procès en juin 1892. La comparaison est sans appel (sic) : « Alexandre Marius Jacob avait choisi le versant le moins violent de l’anarchie ». L’homme doit donc rester sympathique. Peut-être est-ce pour cela que l’avant-dernière image propose une énigme : « Alexandre Marius Jacob est l’un des personnages réels à avoir inspiré la création d’un héros de roman. Lequel selon toi ? » Lupinose quand tu nous tiens …
Présentation du magazine sur le site internet des éditions FATON
Devenir citoyen dès le collège en découvrant la présence du droit dans la vie de tous les jours et dans les événements de l’actualité.
Il n’y a pas de société sans lois. CITOYEN JUNIOR, nouveau magazine mensuel de 40 pages, révèle à ses jeunes lecteurs la présence du droit dans leur vie quotidienne, la portée juridique des actes de chacun, le rôle des institutions et des professions juridiques, les enjeux des lois en discussion et introduit des comparaisons avec les droits étrangers.
Sous une forme vivante et ludique, CITOYEN JUNIOR décrypte les mots du langage juridique, raconte les grands procès et fait revivre les personnages qui ont marqué l’histoire du droit.
Description du numéro Citoyen Junior n° 41
La citoyenneté : de l’Antiquité à aujourd’hui
En route sur les chemins de la citoyenneté. Toute l’histoire de ce lien entre un individu et un État est retracée de l’Antiquité à nos jours afin de donner au lecteur un maximum de repères et ainsi lui permettre d’être un citoyen avisé !
À découvrir également ce mois-ci : la pollution de l’air et ses conséquences, en particulier dans les grandes villes, avec l’exemple de la Chine ; l’impact des tablettes, télévisions, consoles et autres ordinateurs sur leurs utilisateurs ; le quotidien d’un procureur, bien différent de ce que l’on peut voir dans les séries policières ; l’accident de Nicolo en cours d’EPS ; et en BD, les revendications sociales du cambrioleur Alexandre Marius Jacob. Bonne lecture à tous !
Dossier
Zoom : La citoyenneté : de l’Antiquité à aujourd’hui
Articles
Société : L’impact des écrans : danger ou progrès ?
Actualité : La pollution dans les villes : l’exemple de la Chine
Acteurs du droit : Procureur
Lectures
Décryptage : Accident sportif
BD : Alexandre Marius Jacob et les Travailleurs de la nuit
[1] Centre de documentation et d’information. Les bibliothèques dans les collèges et les lycées, le genre de lieux où l’on trouve rarement de livres sur l’anarchie.
Tags: Alexandre Jacob, anarchie, bagne, bande dessinée, cambriolage, Citoyen Junior, droit, éditions Faton, éducation civique, justice, Laurence Cornou, Lupin, lupinose, lutte des classes, procès, Ravachol, rebelle, violence, vol
Imprimer cet article
Envoyer par mail