Biribi par Naudin
La première série du célèbre magazine satirique L’Assiette au Beurre parait de 1901 à 1912. Chaque numéro est consacré à un sujet unique illustré en pleine page par un seul artiste. Ils sont alors environ deux cents dessinateurs parmi les plus renommés de la Belle Epoque (Kupka, Jossot, Steinlen, Vallotton, etc.) à avoir prêté leur concours à une feuille qui, au départ, fut proche des milieux libertaires et se fit immédiatement remarquer par sa grande liberté de ton. Nous avons, il y a peu, mis en ligne le très réactionnaire numéro 340 en date du 5 octobre 1907 et consacré Au bagne. Le dessinateur Jean Plumes se chargeait des édifiantes illustrations tandis que Jacques Dhur fournissait une courte préface révélant une institution pénitentiaire coloniale à la dérive. Les bagnes de Guyane devenaient ainsi des lieux de dépravation où le fagot, comme un coq en pâte, vivait une vie paradisiaque au frais du moutonnier contribuable. C’est tout le contraire deux ans plus tôt quand Bernard Naudin (186-1946), ami de Grandjouan, dessinait Biribi et ses sinistres compagnies de discipline pour le numéro 227 en date du 5 août 1905.
L’artiste berrichon qui commence à acquérir une certaine notoriété dans la capitale révèle avec un trait féroce et précis ce qu’avait brillamment dénoncé Darien en 1890 et chanté Bruant en 1891. La mort sous le soleil attend le militaire récalcitrant, l’apache envoyé dans les Bat’ d’Af. L’excellent et éponyme ouvrage de l’historien Dominique Kalifa retraçait avec précision en 2009 ce que furent ces non lieux de mémoire, ces bagnes militaires d’Afrique du Nord, viviers des bagnes coloniaux d’Amérique du Sud et qui marquèrent l’imaginaire et la société de son temps. Biribi eut incontestablement un effet repoussoir sur la population métropolitaine. La graine de bagne y était souvent passée :
On est sauvage lâche et féroce
Quand on r’vient
Si par hasard on fait un gosse
On se souvient
On aimerait mieux quand on s’rappelle
C’qu’on subit
Voir son enfant à la Nouvelle
Qu’à Biribi
Aristide Bruant, A Biribi
N°227
5 août 1905
Biribi
Par Naudin.
Page 2 : 1er chaouch « Dis-donc, on s’embête ici … Si on faisait passer un de tes loustics au conseil ? » ; 2e chaouch « Choisis dans le tas celui que tu voudras : je te le joue en cinq sec, ce soir, à l’écarté »
Page 3 : tout de même, si on osait leur flanquer nos pelles sur la hure !
Page 4 : En route ; le premier qui lui porte son sac je lui brûle la gueule !
Page 5 : les sloughis ; Si c’était pas pour les quinze jours de prison que ça me vaudrait, c’est pas toi qui la boufferait ta soupe, sale cabot.
Page 8 et 9 : en route ; le chef du détachement ; Crève donc charogne ! Ca fera une économie de douze cartouches pour le gouvernement !
Page 10 : la carte de visite ; p.p.c. ; pour prendre congé
Page 11 : le vieux « tête de veau » ; j’ai encore cent ans de travaux publics à faire … et je t’emmerde !
Page 12 : Celui qu’on ramène ; attend un peu mon cochon, d’sidi ! Jsais c’qui m’attend en rentrant … mais si jamais j’n r’viens, d’la « disciplotte », t’avise pas d’venir à Pantruche vendre du nougat !
Page 13 : la fuite : le chaouch ; Vise la tête, chameau ! Troue pas la capote !
Page 14 : sous le « tombeau » ; Ah ! il est crevé ? Eh ! bien, c’ets parfait ! Ca ne fait jamais qu’un sale rosse de moins
Page 15 : Ménage ; Monsieur et Madame … sans bébé
Page 16 : le poteau d’exécution ; et après ? …
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