Banditisme et révolte sociale
L’article Banditisme et révolte sociale, que publie le blog Zones subversives le 28 novembre 2019, recense le très utile ouvrage d’Éric J. Hobsbawn Les bandits, paru en 1972 chez Maspero et qu’ont réédité en 2018 Les éditions de La Découverte. Mais le papier qui analyse surtout l’apport du vol et du voleur à la cause politique serait totalement pertinent s’il n’omettait point l’évocation de l’illégalisme anarchiste. Quid des Duval, Pini, Schouppe et autres Jacob que l’on peut considérer comme autant de révolutionnaires de bonne foi pour ne verser que dans l’exemple hexagonal ? « Anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma révolution ; vienne l’anarchie » (Alexandre Jacob; Amiens 1905). L’idée d’un banditisme social majoritairement rural tronque alors quelque peu l’interprétation du phénomène.
Zone subversives, article mis en ligne le 28 novembre 2019
Les bandits nourrissent l’imaginaire populaire. Les Robins des bois, les pirates ou les cow-boys incarnent l’aventure à la marge de l’ordre social. Ces figures mythiques s’inscrivent dans une réalité historique. Des bandits attaquent les seigneurs locaux pour défendre les communautés rurales.
Les bandits au grand cœur sont à l’origine de nombreux mythes à travers l’Europe. Ils s’attaquent aux puissants pour redistribuer les richesses en faveur des plus pauvres. Ce bandit social s’inscrit dans un contexte historique et politique, celui des seigneurs et des Etats, de leurs structures et de leurs stratégies propres.
Le mythe du Robin des Bois s’inscrit dans une réalité historique, qui a existé dans différents pays et à différentes époques. L’historien Eric J. Hobsbawm évoque le « bandit social » comme une des figures de ses Primitifs de la révolte. Il prolonge ses recherches dans son fameux livre Les bandits.
Bandits sociaux
Les bandits ne reconnaissent ni la loi ni l’autorité. Dans les sociétés marquées par les divisions de classe, le banditisme exprime une dimension sociale « En défiant ainsi ceux qui détiennent ou prétendent détenir le pouvoir, le droit et l’accès aux ressources, le banditisme défie l’ordre économique, social et politique », analyse Eric J. Hobsbawm. Les bandits sont souvent issus du monde rural et s’opposent à l’extension de la société de classe. Ils expriment une forme de résistance collective. Ils s’opposent à l’emprise du capital et à l’autorité imposée. Mais le banditisme prospère surtout dans des périodes d’affaiblissement de l’Etat ou lorsque son contrôle ne s’étend pas sur l’ensemble d’un territoire. Ensuite, les bandits peuvent résister à l’autorité centrale ou la rallier. Ils peuvent alors devenir des supplétifs de la police.
Le bandit social vole la récolte des seigneurs, mais pas celle des paysans. Cette figure se développe dans les sociétés qui reposent sur l’agriculture. Une majeure partie de paysans et de travailleurs sans terre sont gouvernés, opprimés et exploités pas des seigneurs, des gouvernements, des hommes de loi ou même des banques. Le banditisme prospère dans les régions reculées et inaccessibles, comme les montagnes ou les forêts. Les bandits sont particulièrement nombreux dans des périodes de guerre, de crise économique ou de transformation sociale. « Le banditisme lui-même n’est donc pas un programme pour la société paysanne, mais un moyen individuel d’y échapper dans des circonstances particulières », observe Eric J. Hobsbawm. Les bandits refusent de se soumettre en tant qu’individus.
Mais ce sont plus des activistes, et non pas des idéologues ou des prophètes avec des visions nouvelles et des propositions d’organisation sociale ou politique. Les bandits sociaux participent à des révoltes paysannes. Mais ils ne proposent pas d’occuper les terres et n’envisagent aucune réforme agraire. Les bandits sociaux ne contestent pas l’autorité du seigneur mais veulent surtout rétablir des torts et faire exiger plus de justice. Ils ne sont pas des révolutionnaires, mais des réformistes. Néanmoins, les bandits peuvent aussi rêver d’un monde sans exploitation ni oppression. Ils aspirent à une société d’égalité et de liberté. Ils développent alors une forme de messianisme révolutionnaire. Les bandoleros d’Andalousie ou les cangaçeiros du Brésil incarnent cette révolte millénariste.
Caractéristiques des bandits
Les bandits sont souvent des jeunes ou des marginaux. Les paysans doivent s’occuper de leur terre et de leur famille. Ce qui ne permet de mener une vie dans l’illégalité. Ensuite, les bandits sont des individus qui refusent de soumettre à l’autorité. Ils prennent alors le chemin de la résistance pour devenir des hors-la-loi.
La figure du bandit au grand cœur est popularisée par les légendes et les chansons. Il s’appuie sur le soutien de la communauté et lutte contre le despote local, jamais contre le roi ou l’autorité centrale. Il veut également faire triompher la morale et la justice. En revanche, il fait pas toujours le choix de prendre aux riches pour redonner aux pauvres. Mais il paye généreusement la nourriture et la protection que lui fournit la population locale. Le bandit au grand cœur fait un usage modéré de violence. Il ne tue que pour défendre son honneur. Le champion du peuple doit être honnête et respectable, mais aussi admirable. C’est souvent la trahison qui cause sa perte.
Les vengeurs inspirent davantage la terreur. Ils ne suscitent pas l’admiration du peuple, sinon pour montrer que les paysans peuvent aussi devenir puissants et redoutables. Le bandit provoque un mélange d’amour et de crainte pour être fort et respecté. L’absence de cruauté peut même apparaître comme un signe de faiblesse. Ensuite, le vengeur exprime une violence contre le monde des puissants. Il peut même aspirer à détruire l’ordre existant. « Même lorsqu’ils remportent des triomphes, la victoire n’apporte à ces rebelles que la tentation de détruire, car, dans le monde paysan, les insurgés primitifs n’ont aucun programme positif », analyse Eric J. Hobsbawm. Mais la violence peut aussi déboucher vers une banale cruauté.
Bandits et révolutionnaires
Des paysans refusent la pénibilité du travail de la terre. Des groupes et des communautés d’hommes libres, armés et combatifs se forment pour fuir le servage. Les cosaques ou les haïdoucs s’inscrivent dans cette démarche. C’est la survie économique qui les guide, davantage que la conscience de classe ou l’idéologie. Contrairement aux bandits sociaux, ils n’ont pas de famille et de rapports avec la communauté paysanne. Ils mènent une existence aventureuse et libre dans les forêts, les montagnes ou les grandes steppes.
Mais les haïdoucs représentent une menace plus sérieuse et plus constante pour les autorités que les quelques bandits sociaux et brigands rebelles. Cette forme de banditisme devient permanente et organisée. Les haïdous annoncent souvent les révoltes et sont perçus par les paysans comme des noyaux de libérateurs éventuels. Les hors-la-loi peuvent se regroupent pour insipirer et diriger les insurrections paysannes.
Les anarchistes valorisent « l’expropriation ». Le vol devient une attaque légitime contre la propriété privée. Bakounine valorise même le bandit qui incarne l’homme d’action contre les bavardages idéologiques. Le parti bolchevik, pourtant social-démocrate, doit se financer à travers des braquages. Même si cette pratique n’est pas assumée et théorisée. Les anarchistes de Barcelone incarnent cette valorisation de l’action directe et de l’illégalisme. Des groupes de jeunes libertaires « livraient des duels à la police, assassinaient des réactionnaires, délivraient des prisonniers, et expropriaient des banques pour financer un petit journal », décrit Eric J. Hobsbawm. Francisco Sabaté, dit « Quico » incarne le bandit anarchiste au grand cœur, généreux et courageux.
Cette fameuse thèse du banditisme social reste contestée dans un débat qui agite des historiens. Anton Blok estime que les bandits sociaux ne peuvent pas rester longtemps indépendants des pouvoirs locaux. Ils se soumettent progressivement à l’autorité des élites régionales. Les bandits représentent alors l’autre camp dans la lutte des classes. Ils affaiblissent les mobilisations paysannes. Surtout, Anton Blok estime que le rôle social du bandit doit être replacé dans son contexte historique spécifique. Tous les bandits ne s’inscrivent pas dans une démarche de contestation sociale.
Banditisme et critique sociale
Le livre d’Eric J. Hobsbawm évoque un imaginaire populaire. Le bandit d’honneur qui transgresse les lois au nom de la justice sociale reste une figure très présente dans la littérature ou le cinéma. Le bandit incarne le refus de la légalité. Evidemment, la gauche traditionnelle semble éloignée de la thèse du bandit social. Son imaginaire contestataire se borne dans le cadre légaliste d’une « révolution citoyenne » et d’une soumission aux institutions. Le bandit incarne au contraire le refus des autorités et de l’ordre établi. Le bandit, même lorsqu’il n’est pas révolutionnaire, incarne l’illégalisme.
Néanmoins, la criminalité ne doit pas non plus être idéalisée. Eric J. Hobsbawm précise d’ailleurs que sa figure du bandit social s’inscrit dans un contexte précis, celui des sociétés rurales. Le monde capitaliste favorise un crime organisé qui peut adopter les mêmes méthodes que les entreprises. La recherche du profit prime sur la justice sociale. Le banditisme évolue selon les contextes sociaux.
Les criminels sont souvent des pauvres qui n’ont d’autre choix que l’illégalité pour survivre. Mais le banditisme peut s’appuyer sur la prédation, ou au contraire garder un ancrage dans les classes populaires à travers une forme de solidarité. Les voleurs et les braqueurs s’inscrivent plus facilement dans cette figure du bandit social. Ils attaquent directement les banques et la propriété capitaliste. Même si la redistribution du butin n’est pas toujours dans leurs préoccupations.
Le bandit social s’inscrit facilement dans la mythologie du cinéma populaire. Un individu rebelle se dresse face au système. Le bandit se confond avec le héros du film d’action ou d’aventures. Il mène une vie de vagabond, à la marge de la société, et s’impose comme un redresseur de torts. Eric J. Hobsbawm souligne d’ailleurs que cette figure héroïque n’est pas toujours révolutionnaire. Le bandit veut réparer une injustice précise, mais sans remettre en cause l’ensemble de l’ordre social.
Le bandit reste une figure individualiste. Il est seul face au despote local. Il s’appuie sur le soutien d’une communauté paysanne qui reste dans la passivité. Le bandit renvoie à une révolte individuelle, mais pas à une lutte collective. Lorsque se forment des bandes criminelles, comme au Mexique, alors cette organisation peut appuyer une révolution paysanne. Mais le cow-boy solitaire reste condamné à l’impuissance.
En dehors des anarchistes espagnols, Eric J. Hobsbawm n’évoque pas les groupes de lutte armée. Leur aura politique semble pourtant liée à l’imaginaire du banditisme. Néanmoins, les groupes criminels ne suffisent pas à déclencher une révolution. Eric J. Hobsbawm se garde bien de voir dans ces bandits l’avant-garde de la révolution. Ce sont, au mieux, des « primitifs de la révolte ». Une révolution sociale ne peut provenir que de l’ensemble des classes populaires, et non d’un petit groupe.
Source : Eric J. Hobsbawm, Les bandits, traduit par J.-P.Rospars et N.Guilhot, La Découverte, 2018 (Maspéro, 1972)
Tags: anarchisme, banditisme social, Eric J. Hobsbawm, révolution, Zones subversives
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