Les Odyssées d’un cambrioleur justicier
Avec Les Odyssées, France Inter diffuse un programme court d’une quinzaine de minutes à destination des enfants de 7 à 12 ans pour qu’ils puissent « se plonger dans les aventures des grandes figures de l’histoire ». Quelle ne fut pas notre surprise, ce mardi 24 mars 2020, jour VII du confinement général pour des raisons d’épidémie de Corona machin 19, de découvrir qu’Alexandre Marius Jacob avait intégré le panthéon des personnages remarquables de la Nation apprenante, la radio nationale publique étant labellisée de la sorte ? Serait-ce possible d’ouïr que l’illégalisme anarchiste puisse avoir une valeur pédagogique auprès de nos têtes blondes ? Rassurez-vous, il n’en est rien et à aucun moment vous n’entendrez parler de l’idée libertaire dans l’émission. Alexandre Jacob revêt alors les habits flamboyant du « rebelle ».
Contactée par nos soins, Laure Grandbesançon nous a pourtant avoué avoir préparé le numéro sur Jacob à l’aide de la biographie rééditée par l’Atelier de Création Libertaire l’année dernière. C’est certainement pour cela que cette grande figure de l’histoire est donc malicieusement qualifiée d’« honnête cambrioleur » à environ 13mn et 25 secondes. Mais la productrice des Odyssées justifie aussi le choix de l’aventurier par une prise de contact où les hauts faits du voleur-justicier permettrait d’aborder « la dimension de son combat anarchiste » dans un second temps : « L’idée, avec le podcast, c’est que les enfants rencontrent le personnage une première fois et qu’ils s’y attachent et rêvent avec lui …Tout en se posant des questions ».
Effectivement, Jacob ne vole que les riches et le minot, le gone ou le pitchoun doit pouvoir poser avec ses propres mots la question de la paupérisation sociale consécutive à l’exploitation capitaliste. L’émission les aide à comprendre l’illégalisme anarchiste sans en prononcer le nom ; ainsi Jacob et sa bande d’amis, « veulent changer le monde » (5mn12). Rien que cela ! On apprend alors, 5 secondes plus tard, qu’Alexandre « est fauché, il n’a pas le sou comme on dit. Mais, il possède quelque chose de bien plus précieux à ses yeux : la liberté. Aux billets de banque et aux beaux vêtements, il préfère l’indépendance. Ne pas avoir de patrons, n’obéir qu’à lui-même, et puis penser aux autres, aider ceux qui n’ont pas assez… voilà son ambition ! C’est comme ça qu’il veut vivre sa vie. » Voilà qui est délicieusement subversif. Alexandre Jacob sera voleur et montera une entreprise de démolition publique et sociale : les Travailleurs de la nuit.
Pour autant nous pourrions regretter – comme tout bon enfant que nous sommes restés – que l’histoire, la belle histoire, l’incroyable histoire se finisse mal… ou bien selon que la morale réprouve ou non le vol et l’assassinat, même pour défendre sa liberté. Jacob est donc arrêté mais contrairement à ce qui est radiophoniquement dit, ce n’est pas lui qui a tiré sur l’agent Pruvost à Pont-Rémy. Au mieux, ou au pire c’est selon, il ne l’a lardé que de quelques coups de surins pour sauver sa liberté et son indépendance, c’est-à-dire pour fuir. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité : « Cayenne c’est très loin et le bagne, oh !, c’est affreux »(13mn22). C’est même plus que cela. Le juvénile auditeur doit frémir pour son héros qui « s’accroche à la vie comme un chapeau chinois sur un rocher balayé par les vagues » (13mn36). Cela est fort bien dit pour résumer les dix-neuf ans ans passés aux îles du Salut et non à Cayenne. Il en revient pourtant et les petites oreilles devraient s’en réjouir si elles ont rêvé de se faire justicières à l’écoute des hauts faits de l’honnête homme.
Elles – les enfantines esgourdes – n’ont pas dû pourtant repérer les quelques erreurs que nous avons relevées. Il est peu probable que Joseph Jacob, par exemple, ait emmené son rejeton rêver sur la ligne d’horizon depuis les calanques marseillaises. Jacob a vu le monde sur les vapeurs des Messageries Maritimes et il n’était pas beau. C’est justement raconté dans l’émission mais c’est surtout la pression policière à la suite de son arrestation en 1897 qui le pousse vers des pratiques politiques délictueuses. C’est en tout cas ce qu’il écrit à l’historien Jean Maitron en 1948. Notre cambrioleur à principes ne laisse pas non plus d’argent en dédommagement chez le « grand » écrivain Pierre Loti. Ça, c’est une invention du journaliste Bernard Thomas en 1970. Etc.
Si nous pouvons admettre que le documentaliste de France Inter ait pu concocter un dossier préparatoire « avec de nombreuses fautes », force est de reconnaitre que l’émission parvient à son but : susciter l’intérêt du jeune public. Le pari était osé. Mais pourquoi la promouvoir en tombant dans la lupinose comme le fait le site internet de la radio publique (ou encore l’animateur Nicolas Demorand le lendemain matin) pour annoncer la diffusion de ce joli et intéressant numéro des Odyssées ?
« Dans la vie, il y a des hommes et des femmes qui n’aiment pas le monde tel qu’il est. Ils le trouvent injuste et franchement mal organisé. Alors à leur manière, ils inventent des moyens de lutter, ce sont des rebelles. Alexandre Jacob est de ceux-là. Et ce n’est pas pour rien qu’il a inspiré le personnage d’Arsène lupin ».
Ce n’est qu’une annonce, c’est vrai. Mais, reprenez l’émission et ouvrez bien vos oreilles à 0 mn 38. Vous l’entendez la petite musique de fond ? Elle ne vous rappelle rien ? Ecoutez plus attentivement. Vous y êtes ? Oui, oui, vous y êtes. Non plus à la radio mais devant un vieux poste de télévision en train de regarder le générique de début de la série Arsène Lupin avec Georges Descrières dans les années 1970 ! No comment. On se tient bien évidemment à la disposition de la Nation apprenante pour lui révéler qu’il est autrement plus passionnant et instructif d’envisager un homme ou une femme doué(-e) de raison et de conscience sociale, d’expliquer encore que l’on peut être honnête en étant voleur, ou bien enfin de prouver qu’Alexandre Jacob n’a pas suscité le gentleman cambrioleur.
Les Odyssées
Alexandre Jacob, cambrioleur et justicier
France Inter, mardi 24 mars 2020
https://www.franceinter.fr/emissions/les-odyssees/alexandre-marius-jacob-cambrioleur-et-justicier
Tags: ACL, Alexandre Jacob, anarchiste, Arsène Lupin, continuité pédagogique, enfant, épidémie, France Inter, honnête cambrioleur, justicier, Laure Grandbesançon, Les Odyssées, lupinose, Nation apprenante, Nicolas Demorand, pandémie, pédagogie, podcast, rebelle, voleur
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