Georges
Le voyage de Georges est sans retour. C’est du moins ce qu’il y a d’écrit sur la 1e de couverture du beau livre de Solveig Josset qui sortira officiellement en juin 2022 au Verger des Hespérides. Il est d’ores et déjà disponible sur le site internet de la chouette maison d’édition nancéenne, spécialisée dans le livre jeunesse. Elle vient de frapper un grand coup dans l’historiographie des bagnes guyanais en offrant à ses jeunes lecteurs la connaissance des camps de travaux forcés de la colonie française d’Amérique du Sud. Georges Bienvenu a réellement existé. Il portait le matricule 38523. Il est décédé aux camps des Hattes (aujourd’hui la commune d’Awala-Yalimapo) le 8 décembre 1912. Un parfait inconnu, un anonyme parmi les quelques 100 000 hommes et femmes punis, envoyés loin de la métropole (Nouvelle-Calédonie comprise) entre 1852 et 1938. Son arrière-arrière-petite-fille a décidé de réinventer son histoire. Elle n’est pas jolie mais c’est un pavé, une brique frappée du sceau de l’Administration pénitentiaire, que le môme va manger dans sa face.
Nul doute que l’alchimie puisse pourtant opérer et, sous couvert de la traditionnelle aventure exotique, ton minot va apprendre à aimer Georges, va pleurer ses échecs, va frémir lors de ses deux évasions, va souffrir et rager face à l’inhumanité de l’A.P. et à la violence de ses chaouchs. Car Georges est humain quoi qu’en dise une « Belle Époque » qui porte si mal son nom et qui considère le criminel, le délinquant comme une cellule infectée du corps social. D’où son élimination en vertu de l’eugéniste loi de 1854 ! Georges a détourné du fric en profitant de son travail de serrurier. Georges en avait besoin pour étancher sa soif du jeu. Georges a tout perdu, sa femme, ses enfants, sa vie. Le bagne l’a mangé. Condamné à cinq ans de travaux forcés le 23 mars 1910 par la cour d’assises de la Seine pour vols, faux et usage de faux. Il a 48 ans. George Bienvenu ne portait pas vraiment bien son nom. Mort impotent.
Solveig Josset a imaginé, a dessiné une autre fin pour son trisaïeul. Elle connait son sujet, sa plume est irrésistible. Son dessin fait mouche en révélant ce « paradis dont les hommes ont fait un enfer » (Mireille Maroger, Bagne, 1937). Elle nous montre un autre Georges. Un Georges humain. Pas un numéro de matricule. Un homme dont les horreurs vues et subies, du camp de la transportation de Saint-Laurent-du-Maroni au chantier forestier de Charvein, ont tôt fait de réveiller en lui l’instinct de survie. On ne vit pas au bagne, on y crève. Georges a décidé de partir dès qu’il entre dans les cages de La Loire, le vapeur de la Société nantaise de navigation chargé d’emmener les fagots en terre d’expiation.
L’enfant qui lira cette histoire si richement illustrée, si bien documentée, la suivra dans ses moindres rebondissements, tournera les pages cachettes – c’est presque un livre pop-up – pour connaître l’emploi du temps du bagnard ou encore son paquetage à l’embarquement à Saint-Martin-de-Ré, pour repérer les mortelles petites bêtes amazoniennes, pour découvrir les stupides mais réelles punitions qui ont fait classer Georges aux Incorrigibles, pour deviner le fagot comme un lion dans sa cage, dans les sinistres cellules de la réclusion. Car c’est bien là la terrible efficacité de ce beau et sensationnel livre illustré pour enfants « à partir de neuf ans » : mêler le vrai (l’horreur carcérale et coloniale) au faux (Georges retrouve sa liberté). Les dossiers de bagnard de Georges René Bienvenu sont conservés aux Archives Nationales de l’Outre-Mer d’Aix-en-Provence aux côtes H665 et H4173. Ils disent le vrai et on a aimé le faux comme ta gamine et ton minot l’aimeront. On aimerait tant que le faux fût vrai pour Georges Bienvenu. Bienvenue chez les morts. Bienvenue chez les hommes punis. Bienvenue en enfer les enfants. Vive les enfants d’Cayenne ! On ne revient pas indemne d’un tel bouquin.
Solveig Josset, Georges, le voyage sans retour, Le Verger des Hespérides, juin 2022
15×21 cm, 80 p., 30€
Isbn : 978-2-36587-450-2
Tags: ANOM, AP, Awala-Yalimapo, bagne, Belle, camp des Hattes, chaouch, Charvein, évasion, Georges, Georges Bienvenu, Guyane, la Loire, Mireille Maroger, Saint Laurent du Maroni, Solveig Josset, Verger des Hespérides
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