Mes tombeaux 30


Les Allobroges

7ème année, n° 1303,

mercredi 3 mars 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXIX

Aujourd’hui… l’archaïque réglementation des prisons demeure ce qu’elle était au siècle dernier

La loi de 1854, qui a décrété la transportation hors du territoire métropolitain, était un progrès certain sur l’organisation des bagnes maritimes.

A leur tour, les décrets du 4 septembre 1891 constituaient un nouveau pas en avant, par l’adoucissement du régime imposé.

Enfin, les décrets de 1925, dont nous avons montré la haute portée humanitaire, venaient couronner cette succession de mesures d’adoucissement.

Et le Bagne ne faisait plus parler de lui; tels les peuples heureux.

La mariée était trop belle. Il fallait saboter le nouvel état de choses. Et c’est ce qu’on a fait.

Avant que de supprimer le Bagne, il fallait d’abord créer autre chose pour le remplacer. Et ce faisant, on devait s’attacher à ne pas porter atteinte aux mesures d’adoucissement survenues. On devait ne pas oublier qu’en matière de répression, il était contre-indiqué de commettre des innovations rétrogrades. Autant en emporte le vent !

Il n’y avait rien pour remplacer le Bagne supprimé, mais on a séquestré les condamnés au Bagne et les relégués, dans les prisons, dans les maisons centrales, un peu partout. Alors qu’à la Guyane ils seraient au grand air, ils sont entre quatre murs ; alors qu’ils y auraient toute latitude de causer et de fumer, ils restent soumis à la règle du silence et le tabac leur est interdit.

Et tant d’autres choses dont ils sont lésés, et cette promiscuité écœurante dans des prisons surpeuplées, souvent infestées de vermine…

C’est pour cela, pour en arriver là que vous avez supprimé le Bagne, vous les responsables et les anonymes ! Sachez que vous n’avez pas le droit de faire subir un régime aussi révoltant à des condamnés, dont la plupart sont voués à la mort dans vos ignobles casemates.

Vous n’avez pas le droit d’appliquer ce régime des courtes peines à des hommes condamnés à des peines perpétuelles. Non seulement c’est immoral mais encore c’est odieux.

Si le grand Albert Londres était encore de ce monde, certainement qu’il s’élèverait avec véhémence contre une telle iniquité, et nul ne se dresse pour la combattre.

PRISONS FRANÇAISES

La réglementation des prisons françaises, archaïque et surannée, demeure ce qu’elle était à peu près au temps de Louis-Philippe.

J’ai eu l’occasion, à maintes reprises, de me rendre compte des inégalités de régime, d’une prison à une autre.

A mon retour en France, l’interdiction de séjour, dont m’avait gratifié le Conseil de guerre, ne me fut pas signifiée. On répara cette omission deux ans plus tard. Cela me valut trois condamnations pour infractions à interdiction de séjour : un mois, deux mois et un mois de prison.

Le gouvernement de Vichy m’interna pendant deux ans au camp de Sisteron. Libéré au début de 1943, avec obligation de résidence en un lieu désigné, je rompis par deux fois le contrat : deux mois et huit jours de prison.

La perte de mon portefeuille me valut finalement quinze jours de détection à Grenoble.

Au cours de ces différents séjours, non seulement j’ai pu me rendre compte par moi-même, là où je me trouvais mais encore j’ai pu avoir des renseignements concordants et de différentes sources sur les prisons en général – de la part de chevaux de retour.

En premier lieu, les prisons sont surpeuplées, dans la proportion de 400 pour 100 de l’effectif d’avant-guerre. Cela est surtout flagrant dans les prisons cellulaires de la Santé, Fresnes, Lyon, St-Etienne, Nice et autres lieux.

Les cellules ont été construites et aménagées pour un seul individu – on ne peut le nier. Or, on, y entasse cinq, six, sept détenus ! Le jour, ils ne peuvent y faire trois pas sans se bousculer ; la nuit, ils sont serrés les uns contre les autres sur d’immondes paillasses. Que devient le cubage d’air prévu réglementairement et médicalement ?

Les couvertures, ce sont de minables couvre-pieds pleins de crasse – ni draps, ni sac de couchage, ni oreillers. Il s’agit des maisons d’arrêt.

Avec, la poudre D.T.T., la vermine a à peu près disparu, mais pas partout. Avant la guerre, la nourriture consistait en une gamelle contenant un demi-litre de bouillon avec des légumes verts, le matin. Le soir, même gamelle plus vingt-cinq centilitres de légumes secs, de pommes de terre ou de riz. Avec cela, 750 grammes de pain.

(A suivre)

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