Graine de bagne
Si M. Collin Philippe ne nous a pas autorisé à reproduire la partie qu’il a écrite sur l’enfance et l’adolescence de Paul Roussenq, nous conservons en revanche le titre de cette partie du fait qu’il n’en est pas l’auteur. Initialement, cela devait être : Une enfance à St Gilles… Quoi qu’il en soit et au-delà d’un texte remarquable tant par ses qualités que par ses défauts, nous reproduisons, en attendant d’avoir réécrit cette partie fondamentale dans la vie de L’Inco, un extrait du texte que nous avions imaginé pour la préface de L’enfer du bagne, la réédition de Libertalia en 2009. Forcément incomplet et trop rapide, il contient quelques erreurs. Henri Roussenq, le père, n’est pas par exemple manouvrier mais appariteur de mairie à Saint-Gilles-du-Gard. Paul Roussenq n’est pas fils unique et le lien avec sa soeur Jeanne ne se casse qu’avec la mort de cette dernière en 1919. Quoi qu’il en soit, l’histoire du jeune Paul Roussenq est révélatrice du systémisme d’une époque, pas forcément belle, qui traite la question de la jeunesse délinquante par l’enfermement et l’éloignement : prison, maison de redressement, bagne d’enfant, bataillon disciplinaire, bagne. Une histoire de dominos ou un effet papillon.
Gare aux faux pas ! Effet papillon ou théorie des dominos peu importe. Un fatal battement d’ailes ou un malencontreux écart qui fait basculer une des pièces du jeu. L’effet papillon à la mode Roussenq, c’est un quignon de pain. Oui, un simple bout de pain dur peut vous pourrir la vie ! Le jeune plouc du Midi aurait du le savoir. Foutu caractère ! L’Inco est né le 18 septembre 1885. La vigne a ses prolos à Saint Gilles du Gard. Les Roussenq en font partie. Henri, le père, manouvrier de son état, est rarement à la maison. C’est Madeleine, la mère, qui s’occupe de l’éducation du rejeton chéri. Fils unique. Le petit ne peut être que chéri. Normal. Logique aussi, le gamin lit et se politise très tôt dans une terre de conflits et d’activisme anarchiste. Paul Roussenq, remuant sur les bancs de la toute aussi jeune Ecole républicaine, retient facilement en revanche les leçons des journaux libertaires. Il lit la Géographie Universelle de Reclus. Paul Roussenq n’aime pas, ne supporte pas, refuse l’Injustice. Viscéral comportement qui ne le quittera jamais. Rapports houleux, tendus avec le Père. Brouille. Claquement de porte. Une seule fois suffit.
1901 : il quitte le foyer familial et s’en va sur les chemins comme dans les chansons de Gaston Couté. Le domino est prêt à tomber. Roussenq suggère le fait en 1923 à Albert Londres venu le visiter dans son cachot de l’île Saint Joseph : « Je ne puis pas croire que j’ai été un petit enfant. Il doit se passer des choses extraordinaires qui vous échappent. Un bagnard ne peut pas avoir été un petit enfant ». Bonheur perdu et oublié de la culotte courte. Et pourtant c’est encore un gamin de 16 ans que la justice d’Aix condamne pour la première fois à six mois de prison avec sursis le 6 septembre 1901. Ce n’est qu’un début. Le domino vacille. De plus en plus. La fiche du libéré Roussenq, astreint à la résidence perpétuelle en Guyane, établie en 1930 pour la commission des recours en grâce, met à jour l’enchaînement des passages devant les tribunaux : « En 1901 et 1903, 3 condamnations civiles pour vol, vagabondage, infraction à la police des chemins de fer et violence à agent et magistrat à l’audience ». C’est là qu’intervient le jet de pain dur à la face d’un ministère public encore plus dur. La vengeresse réplique ne se fait pas attendre. Fatal ! L’engrenage est enclenché. Le domino vient de tomber. La face rougeaude de colère de l’avocat général Orsat, du tribunal de Chambéry réclame justice. Justice est rendue le 5 mars 1903. Cinq ans de prison ferme. Logique et infernale progression.
Prison – Bat’ d’Af’ – Bagne. Temps mauvais pour un pauvre hère de dix-huit ans. Cinq années d’enfermement à Clairvaux avant d’aller cramer au soleil de Biribi. Roussenq est incorporé le 8 octobre 1907 dans le cinquième bataillon d’Afrique. Il est à Gabès en Tunisie et, pendant cinq mois, il donne la mesure d’un comportement totalement rétif à l’autorité militaire. Les coups, les brimades, les ordres, les punitions. Il n’y a que la pluie qui ne tombe pas sur Roussenq qui multiplie les provocations. C’est ce que nous montre encore la fiche de la commission des recours en grâce de 1930 :
« Exposé des faits. Le 20 février 1908, à Gabès, Roussenq refusa de se mettre en tenue pour partir avec un convoi. Il avait détruit une partie de ses effets de campement qui lui avaient été remis. Le 23 du même mois, il outragea un sergent de garde en l’appelant : « espèce de c… ». le 13 mars 1908, il tenta de mettre le feu à sa cellule et pour ce fait brûla une partie de ses effets. Le 15 mars, il recommença, brûlant encore ses effets ; le 19 mars, il arracha la médaille militaire d’un sous-officier de ronde, cracha dessus, la piétina en disant « vous n’êtes pas honteux de porter ça : c’est l’insigne de l’ignominie ». Le 20 mars, il tenta de nouveau d’incendier sa cellule ».
5 mai 1908. Le conseil de guerre de Tunis condamne le soldat Roussenq à vingt ans de travaux forcés, à la dégradation militaire et à quinze ans d’interdiction de séjour. Le bagne attend son homme. Un de plus parmi les 1000 à 1200 transportés que la métropole lui envoie annuellement. Cela permet de maintenir les effectifs du bagne à environ 5000 fagots. Sur ces 5000 déclassés, environ 1000 bagnards disparaissent tous les ans. Soit parce que les bagnards meurent. De maladie, de faim, de fatigue ou encore de mort violente (assassinat par un bagnard, meurtre par un chaouch, suicide). Quelque soit la raison, le dossier du bagnard passé de vie à trépas porte bien souvent la mention « épuisement physiologique ». Ils disparaissent encore des livres de compte parce qu’ils se sont évadés ou parce qu’ils ont été libérés. C’est ce qui fait dire au journaliste Alexis Danan en 1934 dans son livre Cayenne qu’ « un convoi mange l’autre ». Le bagne est anthropophage. Il y a deux convois par an. Un au début de l’été et un au début de l’hiver, les condamnés partent de Saint Martin de Ré avant de gagner Alger où sont embarqués les détenus des colonies française d’Afrique.
Paul Henri Roussenq monte le 30 décembre sur le bâtiment la Loire de la Société nantaise de navigation, spécialement affecté à ce type de transport. La marchandise voyage entassée dans des cages appelées bagnes. La marchandise doit supporter l’odeur des vomissures, la chaleur sous les tropiques, les coups, les viols, la mort. Une petite demie heure à l’air libre par jour, fixe, en rang et gare au premier qui ose bouger. On appelle cela promenade. Le voyage dure trois semaines à partir de l’île de Ré. Le 13 janvier 1909, Paul Henri Roussenq pose le pied aux îles du Salut. La statistique ne donne que 5 ans à vivre au réprouvé débarquant en Guyane. Paul Henri Roussenq y est resté plus de 24 !
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