Prolégomènes de la redécouverte des écrits d’un homme devenu bagne 2e partie
L’Enfer manuscrit 1942-2018
25 ans de bagne, éditions de La Défense, 1933 | « Le visage du bagne », La Bourgogne Républicaine, du 28 juin au 12 juillet 1937 | Le Visage du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1941 | L’Enfer du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1942 | « Mes tombeaux », Les Allobroges, du 29 janvier au 11 mars 1948 | L’enfer du bagne, Pucheu Éditeur, 1957 |
L’Enfer du bagne, souvenirs vécus est déposé en 2018 aux Archives des Alpes de Hautes Provence par M. Michel Henry. Un autre carnet, manuscrit lui-aussi, l’accompagne. Il s’agit d’un poème de 72 alexandrins intitulé Les internés de Sisteron[1]. Roussenq évoque les dures conditions de vie dans la citadelle où il est enfermé. Le parallèle avec son existence passée aux îles du Salut parait évidente tant les thèmes de la fatalité, de la violence, de la faim, de la promiscuité et de l’homosexualité aboutissent comme au bagne au rêve de liberté qui ici ne peut s’imposer dans le cadre du conflit mondial que par une paix retrouvée :
« Mais dans ce désarroi de la misère humaine,
Apparait quelquefois une vision sereine :
La Paix, venant enfin mettre un terme à leurs maux,
Promettant de beaux jours et des plaisirs nouveaux.
Alors la liberté, désirée et chérie
À tous les internés redonnera la vie. »[2]
L’abbé Pucheu s’est-t ’il servi du manuscrit déposé par Michel Henry pour l’édition post-mortem à Vichy des écrits de Roussenq en 1957 ? Bien évidemment, on ne retrouve pas dans le carnet la messianique conclusion imaginée par l’homme d’église[3] et L’enfer du bagne – souvenirs vécus est devenu quinze ans plus tard L’enfer du bagne – souvenirs vécus inédits. Les deux textes portent le même titre. Roussenq en serait donc l’auteur et non Pucheu comme nous l’évoquions en préface de la réédition de Libertalia en 2009. L’origine de ce titre est à rechercher en Guyane où le matricule 37664, puis le libéré 4e 1e 16185, taquine la muse pour témoigner et briser l’ennui de l’enfermement :
« La composition de mon « Enfer du Bagne » a été faite par étapes, de 1913 à 1927. Je l’ai remaniée à maintes reprises. Les nouveaux règlements de 1925 ont rendu caducs certains passages (pain sec, cachots, etc), qui n’en ont pas moins leur valeur documentaire. Cette étude, plutôt psychologique que descriptive, met à nu un état de choses dont la pérennité est incontestable. »[4]
Infatigable écrivant, Roussenq rappelle à la fin de ce long poème de quelques 500 alexandrins qu’il a été « composé aux îles du Salut. Relevé à Saint-Laurent-du Maroni le 26 décembre 1929 »[5]. Le cahier de 36 pages a été offert à Albert Ubaud (1888-1964). Fonctionnaire civil de l’Administration pénitentiaire dans la commune depuis l927, il officie comme maire de 1930 à 1932. Il reste en Guyane jusqu’en 1943[6]. L’homme est donc amené à s’intéresser au cas largement médiatisé de Roussenq tout comme il s’est intéressé et a accumulé souvenirs et documents sur les personnalités marquantes du bagne à son époque[7]. Le 6 août 1929, une grâce présidentielle avait mis fin à la transportation de cette vedette du bagne[8] arrivée en outre premier du concours du forçat méritant lancé par le tout jeune magazine Détective le 4 avril[9]. Roussenq débarque à Saint-Laurent-du-Maroni au début du mois d’octobre. Soutenu par le SRI et le parti communiste, il est d’autant plus l’objet d’une attention toute particulière qu’il est inquiété en juin 1930 dans le cadre de l’affaire Burkowski. Cet autre libéré, ayant cherché à s’évader, est retrouvé mort, délesté d’une cagnotte de 1400 francs. Retour derrière les barreaux, même cette fois-ci à la prison civile de Cayenne, pour Roussenq jusqu’à la fin de l’année 1931 date à laquelle une ordonnance de non-lieu met fin à l’accusation de complicité d’assassinat et de tentative d’évasion[10]. Roussenq retrouve vite les rues de Saint Laurent du Maroni où sa plume d’écrivain public officie. Nous ne savons pas quels ont été les contacts entre Roussenq et Ubaud mais ce dernier lui a bien consacré quelques pages dans ses carnets de souvenirs et l’a même photographié :
« Lors de mon passage à Saint Laurent, je le rencontrai un matin dans la véranda des Bureaux de l’Administration où il errait quelques livres sous les bras :
– Bonjour Monsieur, me dit-il.
– Bonjour Roussenq. Que devenez-vous ?
Pendant la saison des pluies, il bricolait, par-ci, par-là, pour gagner son pain dur. En été, il se livrait à la chasse aux papillons, dans la forêt, aux alentours de la crique Sainte-Marguerite où il avait installé des « miradors » de piégeage et de capture. C’est dans cette tenue de chasseur de papillons que je le photographiai dans la véranda de mon habitation. La lecture avait meublé et enrichi son cerveau. Et il se piquait de poésie. Un jour, il m’apporta son œuvre maîtresse « L’Enfer du Bagne » où il peint avec assez de couleur et de vérité un milieu qu’il connaissait bien pour y avoir vécu près de trente années. Il m’offrit son poème manuscrit avec une courtoisie toute académique. C’était en 1929. »[11]
Notons enfin que le docteur Henri Huchon reprend de larges extraits de ce poème dans son livre de souvenirs Quand j’étais au bagne en 1933. Curieusement le médecin qui officia à la fin des années 1920 mentionne que ces « fragments » sont issus « d’un transportés mort aujourd’hui »[12]. Huchon était en fonction au même moment qu’Ubaud et nous pouvons en conclure que ce dernier lui a donné le poème de Roussenq à lire. Il existe d’autres versions de L’Enfer du Bagne. Franck Sénateur serait l’heureux propriétaire d’un tapuscrit dactylographié de onze pages de L’Enfer du bagne qu’il inclut en Annexe de la réédition des souvenirs de Roussenq remaniés par le parti communiste et le SRI[13]. Nous ne savons pas dans quelle condition l’historien a pu acquérir le précieux document qui présente quelques couplets de plus que le poème conservé par Ubaud. En 1928, l’écrivaine étasunienne Blair Niles (1880-1959) publie Condemned to Devil’s Island[14], roman[15] centré sur le bagnard fictif Michel largement inspiré par René Belbenoit[16] qu’elle rencontre l’année précédente lors de son séjour en Guyane[17]. Le livre, qui connait un réel succès et une adaptation cinématographique aux USA[18], cite abondamment le cas d’un des « as » du « château » qui « avait obtenu le titre de roi de Roi de la cellule noire », ayant acquis sa célébrité par son opposition à l’AP, par son comportement pour le moins outrancier et surtout par le grand nombre de jour passés à la réclusion :
« Qui pourrait croire qu’un homme est assez désespéré pour risquer le tétanos, la mort, la cécité, afin de sortir d’une cellule de réclusion ? Qui ? C’est la grande différence entre Roussenq et les tous les autres bagnards. Nous tolérons le châtiment parce que nous n’avons pas le choix. Lui le cherche et le supporte. Et que penses-tu qu’il fait dans sa cellule ? Il écrit un poème. Il l’a intitulé « L’enfer ». Il l’a débité en 1913 et l’a modifié en 1915. Deux cents vers dans la première version, et il en ajoute depuis… La version finale en contiendra cinq cents. Voilà comment il passe son temps. C’est mieux que de s’infecter. »[19]
Paul Roussenq a donc repris le titre de son poème pour coucher en prose ses souvenirs bagnards à la citadelle de Sisteron en juin 1942. En 1957, la version éditée à Vichy présente des similitudes si apparentes que l’on pourrait croire que Pucheu a recopié presque mot à mot le cahier de Sisteron, usant çà et là de synonymes, inversant quelques expressions, rajoutant – nous l’avons vu – tout un évangélique discours. Si le manuscrit comporte vingt-trois courts chapitres nous n’en retrouvons plus que vingt-deux dans le livre. L’atypique homme d’Église a-t-il enlevé l’adresse Au lecteur dans lequel Roussenq justifie son manuscrit par son expérience au regard d’un Albert Londres qui n’a passé qu’à peine un mois en Guyane ? Toujours est-il que treize chapitres portent le même titre et que huit des neuf restants sont particulièrement proches et traitent des mêmes sujets : le régime du bagne remplace le mécanisme du bagne ; le systême D se substitue à la « débrouille » ; les médecins du bagne deviennent les médecins militaires ; les libérés font enfin place au bagne n°2.
Un seul chapitre du livre parait nouveau. Bagnards notoires[20], où Roussenq évoque Soleilland, Ullmo, Dieudonné et Seznec, n’existe en effet pas dans le document conservé aux Archives des Alpes de Haute Provence qui, en outre et comme dans les Vingt-cinq ans de bagne des éditions de la Défense, cite Le pot au noir, roman du poète Louis Chadourne (1890-1925) et mentionne le Dr Louis Rousseau. Dreyfus, Ullmo, Hespel et Albert Londres se retrouvent dans les deux textes. Comme le livre, le manuscrit, signé par Roussenq, fait mention d’une date et d’un lieu : Sisteron, juin 1942.
Pucheu a tenu le manuscrit entre ses mains. Comme Roussenq, nous l’avons vu, il est interné à Sisteron. Michel Henry tient le précieux document de son père Léonce Henry qui fut, selon ses dires et ses souvenirs, menuisier dans la citadelle en 1940-1941[21] ! Pour Laure Franek, directrice adjointe des Archives départementales de Haute Provence, qui a organisé la publication en mai 2019 du cahier de Sisteron sous forme d’un fichier numérique au format pdf richement illustré[22] : « La proximité des deux textes tant dans leur structure que leur propos est manifeste. Le manuscrit évoque cependant des sujets non abordés dans le livre réédité par Libertalia : le camp des impotents, les évasions … »[23] La lecture du cahier de Sisteron permet donc d’apporter quelques éclairages et soulève de multiples questions.
Quel fut le parcours des Souvenirs vécus du bagne ? Qui, de Roussenq ou de Pucheu, a été en contact avec Léonce Henry ? Pucheu, dont on ne sait presque rien du cheminement après sa libération de la maison de repos de Saint-Jean de Dieu de Lyon, a-t-il retrouvé l’un ou l’autre et, à l’occasion, pris connaissance du manuscrit ? Y-eu-t-il une quatrième version ou bien est-ce celle-ci qui a été remaniée pour en faire des Souvenirs vécus inédits ?
Le visage bourguignon du bagne 1937
25 ans de bagne, éditions de La Défense, 1933 | « Le visage du bagne », La Bourgogne Républicaine, du 28 juin au 12 juillet 1937 | Le Visage du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1941 | L’Enfer du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1942 | « Mes tombeaux », Les Allobroges, du 29 janvier au 11 mars 1948 | L’enfer du bagne, Pucheu Éditeur, 1957 |
Roussenq réécrit ses souvenirs pour au moins trois raisons. Cette activité vient briser l’oisiveté, l’apathie et le désœuvrement consécutifs à la claustration. Éternel insatisfait, l’homme éprouve en outre le besoin continuel de corriger ses écrits, de reprendre et de rectifier ses souvenirs, de rajouter et de préciser des faits. L’ensemble de ses récits et poèmes peuvent enfin et à l’occasion constituer une source de revenus d’autant plus appréciable que, depuis sa rupture avec le parti communiste en 1935, le colporteur – vagabond Roussenq vit dans l’indigence, alternant les périodes d’hospitalisation et d’emprisonnement quand il n’est pas sur les routes de France et de Navarre :
« La route est longue d’ici à ailleurs, d’ailleurs à nulle part. Quand on va sans savoir où aller, le vent devant, le vent derrière et que les bornes kilométriques sont vos seules patries. Nous l’avons rencontré, affalé dans un fossé, près de Grenoble. Ç’aurait pu aussi bien être près d’Épinal. Il avait faim, il avait froid, il avait mal. Toutes les douleurs s’abattaient sur lui comme la misère sur les miséreux. Ses pauvres jambes l’avaient trahi. Il gisait là, sans force inutile, arbre mort ou tas de ferraille. Près de lui, sa musette laissait aller sur l’herbe toute sa fortune : deux douzaines d’épingles, quelques feuilles de papier à lettres, trois ou quatre francs. Colporteur du hasard, cheminot éreinté, l’homme s’avouait vaincu. »[24]
Lancée en 2016, la plateforme Retronews de la Bibliothèque Nationale de France permet d’accéder, sur internet et moyennant un abonnement payant, à quelques trois siècles d’archives de presse française. En tapant l’occurrence Roussenq en 2019, l’efficace moteur de recherche du site nous procure une série de 15 articles parus dans le quotidien La Bourgogne Républicaine entre le 28 juin et le 12 juillet 1937. Elle est intitulée Le visage du bagne. Paul Roussenq en est l’auteur. Le quotidien régional bourguignon est fondé en janvier de cette année par le député SFIO Jean Bouhey[25], accessoirement membre de la Libre-Pensée et aussi militant à la Ligue des Droits de l’Homme.
La feuille, proche du Front Populaire, dispose d’environ 13000 abonnés et s’écoule facilement dans toute la région[26]. Nous ne savons pas dans quelles conditions ce journal fut amené à publier le propos de Roussenq, presque trois mois après la pleine page que lui consacre Paris-Soir le 28 mars 1937 : « Enterré vivant pendant 4000 jours ! Roussenq l’Inco avait brûlé 40 francs d’effet militaire. Ce fut le bagne ! »[27] La Bourgogne Républicaine cherche-t-elle un scoop à la suite de celui publié par le quotidien que dirige Pierre Lazareff[28] depuis 1930 ?
Comme nous le verrons plus loin, nous pouvons aussi avancer que la Ligue des Droits de l’Homme fut partie prenante dans la campagne de libération de Roussenq s’opposant parfois violemment au parti communiste français. En 1937, l’anarchiste qu’il demeure est libre de toute attache. Le miséreux a quitté en mai 1935 Aimargues dans le Gard où il résidait depuis son retour d’URSS. Le 16 juin, le tribunal de Dijon le condamne à 100 francs d’amende pour infraction à la police des chemins de fers. Qu’allait-il faire en Côte-d’Or ? A-t-il confié – vendu ses souvenirs, ceux publiés deux ans plus tard par la Bourgogne Républicaine ? Et surtout, la triste et édifiante vie de Roussenq s’inscrit-elle dans la chronique nationale d’une mort lente annoncée, celle du bagne ?
17 juin 1938, le président de la République Albert Lebrun signe le décret-loi qui met fin à la transportation, c’est-à-dire à l’envoi outre-Atlantique des condamnés aux travaux forcés. Le texte fait suite au rapport du président du conseil Edouard Daladier qui, le même jour, souligne l’échec latent de l’institution pénitentiaire et surtout l’image négative de la Guyane qui en découle.
On ne compte plus, en effet, depuis le reportage d’Albert Londres en 1923, journalistes ou autres venus chercher le scoop, l’émotion et la sensation dans la colonie[29]. Le bagne est pourtant, dès sa création, l’objet de critiques féroces, même si aucun article, aucun rapport d’état, aucun livre de souvenirs n’avaient réussi, jusqu’à présent, à émousser « le système éliminatoire à la française » pour reprendre l’expression chère au cambrioleur anarchiste Alexandre Jacob[30]. L’utilisation politique et médiatique du climat d’insécurité dans l’hexagone assurait finalement la pérennité d’une machine à broyer les « vaincus de guerre sociale »[31] que sont les criminels, récidivistes ou non. Mais, comme l’affirme l’historien Michel Pierre en 2000 « jamais, après la première guerre mondiale, l’administration pénitentiaire ne put susciter en France de campagne de presse en sa faveur »[32].
La réforme Sibille, loi votée par le parlement le 15 décembre 1931, donnait aux cours d’assises le pouvoir de transporter un condamné non reléguable en fonction de l’estimation de sa dangerosité sociale. Elle supprimait aussi le doublage – c’est-à-dire l’article 6 de la loi du 30 mai 1854 – en vertu duquel le condamné devait résider en Guyane pendant un temps égal à celui de sa peine. Le temps de résidence devenait perpétuel au-delà d’une condamnation à huit ans de travaux forcés. Mais cette réforme n’organisait pas le retour des libérés, condamnés de fait à pourrir sur place[33].
S’il est faux d’envisager une mort violente depuis le reportage d’Albert Londres[34], les beaux jours du bagne, véritable gouffre financier pour la métropole, sont en revanche bel et bien passés[35]. Il « ne se réforme pas, il se supprime », écrit en 1926 l’anarchiste Jacob Law revenu de l’enfer guyanais[36]. Onze ans après le livre de Law, six ans après la loi Sibille et un an avant le décret du 17 juin 1938, nous pouvons inscrire Le visage du bagne dans la longue liste d’articles et de livres – celui de Mireille Maroger parait la même année[37] – venant porter l’estocade à l’institution pénitentiaire coloniale.
Nous disposons donc en 2019 de quatre versions de la narration carcérale et guyanaise de Roussenq. Comme les trois autres (1934 – 1942 – 1957), Le visage du bagne se structure autour de 21 courts chapitres et le style si didactique de l’Inco, qui rarement se met en valeur en utilisant la 1e personne du singulier, demeure une constante. L’utilisation du JE chez Roussenq n’est pas une question d’ego mais de témoignage. Ainsi quand transparait la troisième personne du singulier le propos de l’ancien forçat se fait rapporteur d’un fait ou d’une anecdote que lui-même n’a pas vu ou vécu : « J’en ai connu davantage de bons que de mauvais » lorsqu’il introduit son chapitre sur les surveillants militaires[38] tandis que celui sur les camps des incorrigibles de Charvein[39] est entièrement à la troisième personne du singulier. Roussenq n’y est paradoxalement jamais allé[40].
Nous ne pensons pas que La Bourgogne Républicaine ait remanié le texte de Roussenq en profondeur ; nous y retrouvons sa griffe partout. Il est à peu près sûr qu’elle cherche le coup éditorial, un brin voyeuriste et misérabiliste, en offrant à ses lecteurs de l’exotisme, de l’aventure, du fait divers et un inventaire de vies brisées dans « le bas-fond des bas-fonds »[41]. C’est ce que suggère, le 28 juin 1937, la note signée A.H.[42] présentant le propos de Paul Roussenq :
« On a beaucoup écrit sur le bagne qui va mourir. Mais on a rarement publié, sur cet enfer, de témoignages directs, c’est-à-dire de témoignages de forçats.
En voici un.
L’homme qui l’a écrit n’est ni un assassin, ni un malfaiteur professionnel. Son histoire est connue, son nom a défrayé pendant un certain temps la chronique. Il s’appelle Paul Roussenq. Il fut condamné au bagne pour avoir brûlé ses effets militaires.
C’est toute sa faute.
Il a expié par vingt ans de bagne.
Des campagnes de presse, des interventions généreuses l’ont sauvé de l’enfer il y a un peu plus d’un an[43]. Mais il avait accompli sa peine. Mais il avait touché le fond de la détresse.
Il a consigné dans un manuscrit de deux cents pages d’une écriture régulière et volontaire, les scènes atroces dont il a été le témoin, les souffrances qu’il a endurées, le spectacle de misère, de haine, de désolation auquel il a assisté – figurant numéroté – pendant vingt ans.
Pas une plainte, pas un cri de révolte contre l’injustice des hommes, mais un témoignage précis, impartial sur la vie des hommes punis.
La peine qu’il a subie a marqué Roussenq, l’a vieilli, a creusé ses rides profondes sur son front, autour de sa bouche.
Il aurait pu crier son désespoir, exhaler sa rancœur. Nul ne l’en aurait blâmé. Mais il s’est borné à dire : « Voilà ce que j’ai vu ».
Ce récit dépouillé, impartial, sans artifice, est le plus terrible réquisitoire contre le bagne. »[44]
Il convient de noter que, trois ans après les 25 ans du bagne des Éditions de la Défense, cette série d’articles perd toute dialectique communiste et, s’il n’est plus question de lutte des classes, force est de constater que Roussenq rend aussi à Albert Londres les honneurs que le parti des travailleurs avait enlevé au reporter bourgeois :
« Je n’oublie pas, cependant, qu’Albert Londres, ce grand découvreur, cet homme de bien qui s’est penché sur tant de misères humaines, a fait connaître mon cas extraordinaire au monde civilisé, en même temps qu’il a dénoncé vigoureusement et avec une maîtrise inégalée, les incroyables horreurs du bagne. Et c’est grâce à lui, initialement, que j’ai recouvré la liberté. »[45]
Le Visage sisteronais du Bagne 1941
25 ans de bagne, éditions de La Défense, 1933 | « Le visage du bagne », La Bourgogne Républicaine, du 28 juin au 12 juillet 1937 | Le Visage du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1941 | L’Enfer du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1942 | « Mes tombeaux », Les Allobroges, du 29 janvier au 11 mars 1948 | L’enfer du bagne, Pucheu Éditeur, 1957 |
Quatre ans plus tard, Paul Roussenq se trouve à la citadelle de Sisteron. Il vient de terminer un nouveau récit de souvenirs qui porte le même titre que celui publié par La Bourgogne Républicaine. Le Visage du Bagne est daté de juin 1941. Cette cinquième version a refait surface après avoir en vain été mise aux enchères à l’Hôtel des ventes Drouot le 7 novembre 2012. La présentation du lot n°98 faite sous la houlette de Christian Galantaris avait pourtant de quoi attirer l’œil de n’importe quel collectionneur passionné par l’histoire du bagne. La mise a prix était fixée à 1000€ :
« 98 BAGNE – PAUL ROUSSENQ Le visage du bagne. Souvenirs vécus. Précédé du Poème de la géhenne[46]. Composé aux Iles du Salut en 1912 Transcrit au camp de Sisteron en 1941. Manuscrit sur papier quadrillé d’un cahier d’écolier in-4 (220 x 170 mm) de [6] 156 pp., broché, couverture à dos de percaline noire. 1 000€
Témoignage autographe direct, terrible et sans concession, sur la condition des bagnards déportés en Guyane dans le premier tiers du XXe siècle. L’auteur avait été condamné en 1908 à vingt ans de travaux forcés et à quinze ans d’interdiction de séjour pour avoir détruit par le feu des vêtements militaires dans un camp disciplinaire où il était détenu. Le bagne se situait aux îles du Salut, à quatorze kilomètres au large de la Guyane, face aux rochers de Kourou, à 100 km au N.E. de Cayenne.
Dans ce manuscrit très dense, l’auteur ne néglige aucun détail sur les épreuves qui attendaient les condamnés depuis leur départ de la métropole pour la Guyane, à commencer par la traversée dans des conditions effroyables au cours de laquelle beaucoup mouraient et étaient jetés dans la mer. Roussenq écrit dans un style correct et alerte ; ses observations le plus souvent cruelles peuvent devenir piquantes et pittoresques. Il s’efforce d’offrir un tableau complet du détenu : règlement disciplinaire, surveillance, régime, mutinerie, répression, nourriture, occupations, distractions et mœurs intérieures, petit commerce inter-pénal, etc. etc. On y trouve des portraits de bagnards célèbres ou hauts en couleurs dont Seznec.
La table des chapitres rend compte du souci de l’auteur d’être complet : L’antichambre du bagne, La traversée, Aux îles du Salut, Organisation et structure du bagne, mentalité pénale, Les mœurs homosexuelles, Sous le casque blanc, Le service de santé, Dans la case, Le système D, Au cachot, Le pot de terre contre le pot de fer, Les incorrigible, La répression judiciaire, La réclusion cellulaire, Les évasions, La poubelle du Bagne, Diversité, Albert Londres au bagne, Vedettes du Bagne, La vie des libérés… Ce manuscrit ne semble pas avoir été publié. »[47]
Le visage du Bagne est remis en vente du 22 janvier au 5 février 2014 chez Autographe Enchères à Genève. Jérôme Pittet et Alexandra Saggiori, les experts chargés de l’opération, estiment à 9.000€ le lot n°155, « exceptionnel manuscrit original » qui, à nouveau, ne trouvera pas preneur. La présentation du texte, « explicatif et exhaustif », « étonnamment précis et organisé par thèmes », pouvait susciter l’intérêt du potentiel acquéreur. Roussenq est même qualifié de journaliste et de sociologue du bagne, disposant de plus « d’un grand talent d’écriture ».
La note ose une comparaison avec Henri Charrière, l’auteur, lui, « ne faisant pas de sa vie un roman ». Elle reprend à grands traits l’histoire de l’ancien bagnard et donne à lire le sommaire du manuscrit. Elle établit même la liste des « Vedettes du Bagne » citées par Roussenq : « … Pleigneur dit Manda… Soleilland … Duez … Jacob … Brengues … Ullmo … Albinet … Dieudonné … Metge de la bande à Bonno … Seznec… »[48] Les deux experts mentionnent d’une manière dépréciative l’édition de Pucheu et sa reprise en 2009 par Libertalia pour mieux mettre en valeur l’incroyable objet mis aux enchères[49]. L’éditeur catholique et quelque peu déséquilibré a, nous l’avons vu, gommé certains aspects estimés par lui polémiques quand il ne réécrit pas le texte de Roussenq. Jérôme Pittet et Alexandra Saggiori n’ont de toute évidence pas connaissance de la série d’articles publiés par La Bourgogne Républicaine et dont le manuscrit qu’ils cherchent à vendre reprend le titre. Ils ignorent aussi la version publiée par les Éditions de la Défense en 1934 et ne peuvent bien évidemment connaître celle mise en ligne par les Archives des Alpes de Haute Provence en 2018.
Mais le manuscrit ne rencontre donc pas de repreneur le 5 février 2014 ; il est cédé un an et demi plus tard par Monsieur Maxime Portal pour 5000€ à la commune de Saint-Laurent-du-Maroni[50]. Nous ne savons pas actuellement comment Maxime Portal a pu détenir le Visage du Bagne. Toujours est-il que la municipalité dirigée à l’époque par Léon Bertrand, maire depuis 1983 et ancien ministre de Jacques Chirac, met le manuscrit en dépôt au CIAP nouvellement créé sur le camp de la Transportation, après plusieurs années d’abandon. Le CIAP a pour vocation de raconter et de mettre en valeur l’histoire du bagne, de la ville, de ses habitants et de ses bâtiments remarquables. En peu de temps, il est devenu un acteur majeur et incontournable de la vie culturelle de Saint-Laurent-du-Maroni. Le service patrimoine de la commune envisage dès cette date de publier le manuscrit de Roussenq par le biais des conservatrices Léa Castieau et Emma Lozano après la retranscription effectuée par l’archiviste Vanessa Van de Walle. Le CIAP nous a autorisé à prendre connaissance du document et à travailler sur celui-ci en vue d’une reprise de ce projet.
Qui a déposé Le Visage du Bagne chez Drouot puis chez Autographe Enchères ? Nous pouvons grâce à sa lecture préciser son origine et l’insérer dans le processus d’écriture de l’indésirable Paul Roussenq qui dédie en troisième page ses mémoires et son poème
« à Monsieur le Docteur Niel, Médecin-Chef du CSS de Sisteron, où il représente la science et l’humanité. » L’hommage est paraphé des initiales P.R. qui, fort probablement, a noté légèrement au crayon de papier en bas de la page la date de février 1942. Les deux écritures présentent de nombreuses similitudes. Toujours est-il que le cahier achevé en juin 1941, alors que Roussenq est interné à Sisteron depuis le 10 février, est offert six mois plus tard.
Le volumineux dossier du matricule 37664 révèle un bagnard au comportement emporté et irascible. Les humeurs de l’atrabilaire Roussenq manquent souvent de le faire interner aux aliénés sur l’île Saint-Joseph. Elles justifient pour une grande part les plus de 4000 jours de cachot subis. Pour autant, il sait faire preuve d’une infinie douceur et se montrer reconnaissant dès lors que l’on daigne lui prêter une oreille compréhensive et adopter une attitude indulgente et empathique. L’homme bourru marche à l’affect et le lien avec le docteur Niel pourrait se comprendre de la sorte.
Si Roussenq écrit en effet dans ce manuscrit qu’au bagne, « certains médecins, reniant leur caractère traditionnel, n’étaient pas à la hauteur de leur tâche », les sept pages qu’il consacre au « Service de Santé » révèlent que ceux-là furent une minorité. Le 2 mai 1917, le Tribunal Maritime Spécial de Saint-Laurent-du-Maroni condamne, par exemple, le matricule 37664 à cinq ans de réclusion pour voie de fait sur la personne du médecin-major de 2e classe Eugène Guillen qui avait dans un premier temps refusé de l’examiner. La visite médicale a finalement lieu le 12 octobre 1916 ; Roussenq laisse alors éclater sa colère en lui crachant dessus[51]. Nous y reviendrons. Par opposition, le docteur Louis Rousseau, dans le manuscrit de Sisteron, « savait se pencher sur les misères des condamnés, avec toute la sollicitude et toute la ferveur d’un apôtre. » et, d’une manière générale, « les médecins du bagne remplissent une mission sacrée, avec une ferveur, un dévouement et une abnégation de tous les instants. »
Le 7 juillet 1942, le préfet, inspecteur général des camps et centres d’internement du territoire, signale que l’insuffisance alimentaire altère l’état de santé, déjà précaire à l’arrivée dans le centre de surveillance, des internés de Sisteron. Roussenq fait partie de la liste des prisonniers « gravement atteints » par la cachexie[52]. Le jeune docteur Jean-Charles Niel[53] (1912-1975) a dû faire face à la sous-alimentation chronique des prisonniers qui n’ont perçu en février 1942 que l’équivalent d’un plat de légumes par semaine[54] ! Il a dû également porter attention au cas de Roussenq et lui prodiguer les soins nécessaires avant son transfert le 19 novembre 1942 sur le CSS de Fort-Barraux mais aussi et surtout faire preuve de cette bienveillante humanité que Roussenq recherche à travers la fonction médicale depuis son envoi en Guyane.
Le cahier d’écolier, dédié au docteur Niel, débute par un poème de 128 alexandrins réunis en 13 couplets : Poème de la géhenne. Roussenq mentionne à la fin l’avoir composé aux îles du Salut en 1912 et transcrit à Sisteron. C’est donc une autre et plus courte version de celle offerte au fonctionnaire Ubaud en 1929 et de celle figurant en annexe dans la réédition en 2016 des Vingt-ans de bagne par Franck Sénateur. Comme une introduction à sa description en prose, Roussenq divulgâche en vers la trame de sa démonstration en rappelant le lot commun d’une vie de bagnard marquée par la faim, la promiscuité, l’injustice et surtout la violence des rapports humains.
« Pour tout observateur qui le scrute et le sonde,
Le Bagne est en petit ce qu’en grand est le monde,
Mais la honte n’est point, en ce milieu pervers
Où se montrent à nu le vice et les travers. »
Comme dans les deux précédentes versions et les trois qui suivront, Roussenq se fait le témoin d’un microcosme particulier. Il ne cherche pas à se mettre en valeur quand bien même il s’appuie grandement sur sa propre expérience. Il n’entend aucunement faire pleurer son lecteur sur son propre sort, sur son infortune. Son écriture dépasse largement le cadre de la mise en avant d’un ego frustré à la manière d’un Jacob Law[55], d’un Antoine Mesclon[56], d’un Charles Hut[57], d’un Raymond Vaudé[58] ou, mieux, d’un Henri Charrière[59] dit Papillon, et l’ancien bagnard, en conclusion, se fait le rapporteur de l’échec d’un système dont l’origine positiviste et hygiéniste organisait le fonctionnement autour d’un triple but : expier, amender et coloniser :
« Nous avons vu que le législateur avait voulu, à côté du Châtiment, susciter l’amendement et le relèvement du condamné. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi. Une répression brutale, des excès de toutes sortes, une méconnaissance absolue de la psychologie humaine, ont enlisé plus profondément encore dans le bourbier ces hommes que la Société avait frappés. »
Contrairement au docteur Rousseau qui écrit en 1930, Roussenq couche onze ans plus tard son analyse sur son cahier d’écolier alors que la transportation est supprimée depuis 1938. Il peut ainsi prendre un recul de trois ans et faire un bilan du système pénitentiaire français. Comme le docteur Rousseau, il se gausse de la suppression du doublage qui oblige le libéré à s’étioler en Guyane, faute de moyens financiers. Comme lui, il conclut, en mentionnant les exemples belges, suisses et étasuniens, à l’échec du bagne et de n’importe quel postulat d’organisation pénitentiaire tant que celui-ci ne prendra pas en compte le rapport humain et la réinsertion sociale du condamné. Il en est, en 1941, la preuve vivante et n’a de cesse de décrire jusqu’à son dernier souffle ce tableau systémique de l’élimination des parias. Comment interpréter autrement la série de trente-six articles parus au début de l’année 1948 dans le quotidien grenoblois Les Allobroges et que nous avons exhumé de manière tout à fait inopinée en avril 2022 ? Car, s’il est possible d’avancer pour Roussenq, rendu à la vie libre et errante depuis 1944, la nécessité pécuniaire ; c’est encore l’homme devenu bagne qui parle au soir de sa vie. Le titre de ces « nouveaux » souvenirs parle d’ailleurs de lui-même : « Mes tombeaux » !
[1] « En 2018, Monsieur Michel Henry donne aux Archives départementales deux carnets manuscrits :
Les Internés de Sisteron et L’Enfer du Bagne (souvenirs vécus). Ces documents sont désormais
conservés sous la cote FR_AD004_1 J 569. », livret pdf Les carnets de Paul Roussenq, Sisteron, juin 1942, AD Alpes de Haute Provence, mai 2019, p.1.
[2] AD Alpes de Haute Provence FR_AD004_1 J 569.
[3] Pour Pucheu, le salut du bagnard passe par la foi ; c’est ce qu’il fait dire à Roussenq dans le dernier paragraphe de son livre : « Pour changer les hommes, il faut changer les cœurs. Pour changer les cœurs il faut se changer soi-même et pour se changer soi-même il faut demander le secours d’en-Haut, l’amour d’en-Haut par la prière. » Paul Roussenq, op. cit., Pucheu éditeur, 1957,p.102.
[4] Paul Roussenq, Préface du poème L’Enfer du Bagne, fond Ubaud, musée Ernest Cognacq, Saint-Martin-de-Ré.
[5] Idem.
[6] Danielle Donet-Vincent, Il était une fois le bagne colonial… Vie d’un fonctionnaire civil de l’administration pénitentiaire entre Nouvelle-Calédonie, Guyane et Afrique (1890-1945), Ibis Rouge Éditions, 2012.
[7] Et pas uniquement, le volumineux fonds Ubaud confié par sa fille, Jacqueline Anjot, à Danielle Donet-Vincent qui l’a déposé dans les années 2000 au musée Ernest Cognacq de Saint-Martin-de-Ré montre que l’ancien fonctionnaire a recueilli jusqu’à sa mort en 1964 de nombreux document sur Dreyfus, Dieudonné ou encore Alexandre Jacob qu’il n’a pu rencontrer en Guyane alors qu’il a croisé la route de Roussenq, Barataud, Belbenoit ou encore Francis Lagrange.
[8] ANOM H5259 ; notification faite le 30 septembre aux îles du Salut, soit environ deux mois après la grâce présidentielle.
[9] « Si vous aviez le droit de grâce, auquel entre ces dix forçats l’octroyeriez-vous ? » était la question posée par Détective à ses lecteurs. Dix numéros ont présenté les cas de Roussenq, Seznec, Vial, Blengino, Ullmo, Bougrat, Amour Lakdar, Duez et Gruault entre le 13 décembre 1928 et le 4 avril 1929. Nous y revenons plus loin.
[10] Voir chapitre « Quatrième première 1929-1932 ».
[11] Carnet feuilles dactylographiées Choses du bagne, fond Ubaud, musée Ernest Cognacq, Saint-Martin-de-Ré.
[12] Henri Huchon, Quand j’étais au bagne, Librairie Delmas, Bordeaux, 1933, p.102-104.
[13] Paul Roussenq, op. cit., La Manufacture des Livres, p.121-139. On peut lire aussi ce poème sur le site de Criminocorpus : https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/doc/2322/.
[14] Le livre, traduit et annoté par Vanessa Van de Walle est publié pour la première fois en France en 2021 aux éditions Plume Verte sous le titre Condamné, histoire d’un bagnard inconnu.
[15] Blair Niles explique en présentation de son livre avoir fait le choix d’un roman plutôt que d’un récit pour mieux exprimer de manière empathique le ressenti des bagnards.
[16] René Belbenoit (1899-1959), multirécidiviste du vol, est condamné le 22 mai 1922 à huit ans de travaux forcés. Le matricule 46635 tente de s’évader deux mois après son arrivée. Il échoue encore en 1924 et en 1930. « La Belle » (l’évasion) finit par lui sourire en 1935. Et, après une cavale de 22 mois à travers l’Amérique Centrale, Belbenoit parvient à rejoindre les USA. C’est là qu’en 1938 il fait publier Dry guillotine. Le succès de ce livre de souvenirs est immédiat. L’ouvrage, paru en France la même année sous le titre Les Compagnons de la Belle par Les éditions de France, s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires.
[17] Le séjour des époux Niles a lieu de la fin de 1926 à avril-mai 1927. D’après un rapport du délégué Toubland fait pour le gouverneur Siadous (AT Guyane, Dossier affaires politiques diverses, 1929-1946, SN932).
[18] Alexander Miles, « Le bagne vu des États-Unis » in La Grande Encyclopédie de la Caraïbe, tome 7 : Histoire de la Guyane, Sanoli, 1990, p.172 : « En 1929, le roman de Niles Condamned to Devil’s Island était porté à l’écran. Avec en vedette Ronald Colman, Condamned, un des premiers films parlants, trace un portrait réaliste du bagne. » Hollywood s’est emparé alors d’une thématique suscitant un réel intérêt auprès du public étasunien. En 1940, deux films sortent sur le sujet : Devil’s Island de William Clemens avec Boris Karloff fait scandale auprès des autorités françaises ; Strange cargo de Frank Borzage avec Clark Gable et Joan Crawford provoque, du fait de scènes à connotation sexuelle, l’ire de la Légion pour la décence (organisation puritaine étasunienne). En 1944, Passage to Marseille de Michael Curtiz met en scène Humphrey Bogart sous les traits de Jean Matrac évadé des îles du Salut. Le film Papillon de Franklin Schaffner avec Steve Mac Queen et Dustin Hoffman d’après le livre d’Henri Charrière connait un succès planétaire en 1971.
[19] Blair Niles, Condamné, histoire d’un bagnard inconnu, Plume Verte, 2021, traduction Vanessa Van de Walle, p.232.
[20] Ce chapitre ne fait que quatre pages.
[21] Livret PDF Les carnets de Paul Roussenq, Sisteron, juin 1942, AD Alpes de Haute Provence, mai 2019, p.13.
[22] http://www.archives04.fr/depot_ad04v3/articles/1368/idr-roussenc-paul-_doc.pdf. Outre Laure Franek, ont contribué à l’élaboration du livret, Pascal Boucard, Jean-Christophe Labadie et Sophie Chouial des Archives des Alpes de Haute Provence ainsi que Gilles Poizat des ANOM.
[23] Livret PDF Les carnets de Paul Roussenq, Sisteron, juin 1942, Alpes de Haute Provence, mai 2019, p.15.
[24] Georges Salonic, article « Roussenq l’Inco » dans Paris-Soir, 28 mars 1937. Nous évoquons plus longuement cet article dans le chapitre Les beaux voyages.
[25] Vice-président de la Fédération départementale des élus socialistes de la Section Française de l’Internationale Ouvrière en juillet 1935, Jean Bouhey (1898-1963), devient en 1936 député de Beaune avec le soutien des radicaux-socialistes. La Bourgogne Républicaine est créée avec son frère Charles, Robert Jardillier, Eugène Marlot, Marius Bongrand et Georges Vandeschrick.
[26] Le journal tire à plus de 20000 exemplaires à la fin des années 1930.
[27] Georges Salonic, article « Roussenq l’Inco » dans Paris-Soir, 28 mars 1937. Nous évoquons plus longuement cet article dans le chapitre Les beaux voyages.
[28] Pierre Lazareff (1907-1972) dirige Paris-Soir de 1931 à 1940. C’est lui qui, le 7 novembre 1944, lance le 1er numéro de France-Soir, issu de la feuille clandestine de la Résistance Défense de la France et qui devient dans les années 1950 le journal le plus vendu de France. Le 9 janvier 1959 est diffusé la première émission télévisée d’informations et de reportages française Cinq colonnes à la Une dont il est le concepteur et le producteur avec Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barrère.
[29] De Louis Roubaud en 1926 à Mireille Maroger en 1937, en passant par Alexis Danan, Georges Le Fèvre, Marius Larique ou encore par les articles des magazines Détective, Voilà ou Police Magazine… Voir bibliographie.
[30] C’est ainsi que l’ancien bagnard intitule le dessin réalisé pour le livre du Dr Rousseau Un médecin au bagne, éditions Fleury 1930.
[31] L’expression est encore d’Alexandre Jacob lorsque le bagnard matricule 34777 écrit à sa mère le 23 septembre 1914 après que celle-ci ait imaginé possible l’envoi de forçats sur le front. La réponse de l’ancien cambrioleur, condamné aux travaux forcés à perpétuité le 22 mars 1905, est cinglante : « Prisonnier de guerre sociale, je suis au bagne et j’y reste. » (fonds Alexandre Jacob, CIRA Marseille).
[32] Michel Pierre, La terre de grande punition, coll. Mémoires, Autrement, 2000, p.227.
[33] On trouvera une analyse complète des deux propositions de loi Sibille chez Jean Bouchard, De la réforme de la peine des travaux forcés, Bosc Frères, Lyon, 1932, p.123-127.
[34] Il s’écoule en effet quinze ans entre le reportage publié dans Le Petit Parisien (1923) et la suppression de la transportation (1938). Notons encore que c’est en 1953 que le dernier bagnard guyanais est rapatrié en métropole !
[35] Voir Danielle Donet-Vincent, La fin du bagne, Ouest-France, 1992.
[36] Jacob Law, Dix-huit ans de bagne, réédition La Pigne, 2013, p.46. Condamné à 1907 à quinze ans de travaux forcés pour avoir fait feu le 1er mai de cette année sur la troupe qui chargeait les manifestants parisiens, il est libéré le 10 mai 1924 et a tout juste le temps de faire publier ses souvenirs avant de tomber sous le coup d’un arrêté d’expulsion du territoire français.
[37] Mireille Maroger, Bagne, Denoël, 1937.
[38] La Bourgogne Républicaine, 2 juillet 1937.
[39] Idem, 9 juillet 1937.
[40] Son classement aux internés A le voue à la résidence perpétuelle aux îles du Salut.
[41] L’expression est de Dominique Kalifa dans Les bas-fonds, Seuil, 2013.
[42] Nous n’avons pas réussi à déterminer qui se cachait derrière ces initiales.
[43] La note introductive signée A.H. commet une évidente erreur chronologique : Roussenq est libéré en 1929 et voit son doublage levé en 1932.
[44] La Bourgogne Républicaine, 28 juin 1937.
[45] Idem, 11 juillet 1937.
[46] Dans la Bible, la géhenne désigne l’enfer ; par extension, il désigne les lieux de tortures et de souffrances donc la prison et le bagne.
[47] Catalogue des ventes Audap et Mirabaud, Paris Drouot Richelieu – Mercredi 7 Novembre 2012.
[48] Catalogue des ventes, Autographes-enchères, 22 janvier – 5 février 2014. La faute sur Bonnot, écrit dans le catalogue sans le T, est révélatrice. Les deux experts ne semblent pas très au fait de l’histoire française de l’anarchie.
[49] Idem.
[50] Conseil municipal de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni du 11 août 2015, 32 voix pour, 0 Contre, 0 abstention.
[51] ANOM, H5026. Condamnation à cinq ans de réclusion cellulaire.
[52] Rapport d’André Jean-Faure (IGC) sur la situation des cachectiques du camp de Sisteron, 7 juillet 1942, AN F7 15093 (Basses-Alpes).
[53] Il a 28 ans lorsque la citadelle est réquisitionné pour devenir un centre d’internement. Nous ne savons pas à partir de quand Jean-Charles Niel travaille à Sisteron et dans la citadelle. Sa femme, Madeleine, de deux ans son aînée, est infirmière. Elle meurt lors du bombardements de la ville par les Alliés du 15 au 19 août 1944. Jean-Charles Niel se remarie et exerce à Sisteron jusqu’à sa retraite. Il s’implique dans la vie politique locale mais échoue à prendre la mairie en 1953 avec la liste de l’Union Républicaine pour la Défense des Intérêts de Sisteron face à Émile Paret de la SFIO. Il ne parvient pas non plus à se faire élire conseiller départemental. Une rue du Docteur Niel porte son nom à Sisteron.
[54] Denis Peschanski, Les camps français d’internement (1938-1946), thèse de doctorat d’état, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2000, p.205.
[55] Jacob Law, op. cit.
[56] Antoine Mesclon, Comment j’ai subi quinze ans de bagne, Librairie de l’humanité, 1924.
[57] René Delpêche, Parmi les fauves et les requins, ou la Confession de M. Charles Hut, ancien forçat, Paris, Éditions du Scorpion, 1955.
[58] Raymond Vaudé, Matricule 52306, Les Débats de l’Histoire, 1971 ; Passeport pour le bagne, Henri Veyrier, 1977.
[59] Henri Charrière, Papillon, Robert Laffont, Paris, 1969.
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