Le Visage du Bagne : chapitre 15 La Réclusion cellulaire


Sur le plateau dénudé de l’ile Saint-Joseph, dressant sur le même plan leurs masses austères, se profilent les trois bâtiments de la Réclusion cellulaire.

Ce sont de vastes hangars, recouverts de tôles ondulées peintes au minium[1].

Que l’on se figure deux rangées de dés placées dos à dos, et d’une façon longitudinale dans l’enceinte de ses hangars, et l’on aura une idée générale du dispositif d’ensemble de cet établissement.

La hauteur des rangées cellulaires, arrive à peine à la moitié de la hauteur totale de la base jusqu’au toit. Les murs des cellules sont constitués par des grillages du côté de la porte, ainsi que le plafond.

D’un bout à l’autre, et à cheval sur les rangées de cellules, est installée une passerelle que les surveillants parcouraient fréquemment, chaussés d’espadrilles, pour épier les réclusionnaires.

À chaque porte, un guichet est pratiqué, par où l’on distribuait notamment le pain et les gamelles.

L’ensemble des trois bâtiments contenait cent-cinquante cellules et douze cachots[2].

Un surveillant-chef, assisté d’une dizaine de surveillants subalternes, dirigeait le service intérieur de l’établissement.

Chaque cellule était munie d’un lit de camp, qui était rabattu contre le mur dans la journée ; un baquet à vidange et un baquet à eau, complétaient l’ameublement. Le silence le plus absolu était de rigueur et le tabac sévèrement prohibé. Divers travaux d’ordre sédentaire étaient imposés – notamment l’effilochage des enveloppes fibreuses de cocos, la confection de nattes de jardins ou de balais.

La nourriture était la même que celle allouée à l’ensemble de l’élément pénal, à l’exception du café matinal qui n’était pas perçu. En outre, les réclusionnaires ne pouvaient prétendre à aucune gratification ; ils n’avaient pas la possibilité de pouvoir améliorer leur ordinaire.

Ils avaient droit, chaque jour, à une demi-heure de promenade – dans un préau également cellulaire.

L’air des cellules que respiraient constamment ces hommes, n’était pour ainsi dire jamais renouvelé ; il provenait de hautes fenêtres pratiquées aux murs d’enceinte extérieurs. Cet air, chargé de poussières que dégageaient les matières premières destinées aux travaux à effectuer, était encore vicié par les relents de cinquante tinettes à vidange et les exhalaisons respiratoires de chacun.

Si l’on ajoute à tout cela le manque de mouvement, une nourriture insuffisante et échauffante, ainsi que la dépression morale qui ne pouvait manquer de s’exercer sur ces hommes ensevelis vivants dans un tombeau, on comprendra que l’état sanitaire de ce lieu d’expiation fut particulièrement mauvais.

Le terrible scorbut y régnait à l’état endémique ; le caractère contagieux[3] de cette affection, augmentait encore ses ravages, qui se chiffraient par une moyenne de cinquante à soixante décès par an. Le béribéri[4], l’ankylostomiase, sévissaient également en ces lieux.

De subir pendant des années une telle claustration dans de telles conditions, occasionnait aussi des germes de folie et une propension au suicide. En général, les médecins faisaient leur possible pour apporter des palliatifs à l’ensemble de tous ces maux, mais ils avaient le sentiment de leur impuissance.

Et puis, il n’y avait pas toujours un papa Rousseau pour faire l’impossible en faveur des malheureux réclusionnaires. Ils avaient affaire, parfois, à des médecins administratifs qui les laissaient mourir dans leur cellule ou ne les envoyaient que mourants à l’hôpital.

La Réclusion cellulaire était la guillotine sèche du Bagne ; les réclusionnaires étaient reconnaissables à leur démarche hésitante, à la pâleur cadavérique de leur teint ; on aurait dit des fantômes ambulants[5].

Pour la moindre infraction à la règle, pour un mot prononcé et surpris, ils étaient jetés au cachot.

Il appartenait à Albert Londres et au docteur Rousseau de s’élever avec véhémence contre ce régime inhumain, d’en mettre en relief les modalités caduques, ainsi que nous le verrons plus loin, et de provoquer ainsi de salutaires modifications qui ont changé du tout au tout la face des choses.

A la suite de ces modifications, dont l’une des conséquences fut la libération anticipée de nombreux réclusionnaires, le troisième bâtiment, que l’on avait construit par nécessité devant le nombre croissant des condamnés, devint désormais inoccupé.

Albert Londres ayant, d’autre part, fait un tableau assez sombre de l’asile des fous qui se trouvait alors à l’ile Royale[6], on résolut de transférer les aliénés dans ce bâtiment demeuré vacant.

De tout temps, les pensionnaires de l’asile pouvaient se diviser en trois catégories : les fous, les demi-fous et les simulateurs. Ces derniers avaient eu des raisons pour se faire interner dans ce triste lieu ; la plupart du temps, ils avaient échappé ainsi à un châtiment que leur réservait le Tribunal Spécial, ou bien encore c’étaient des réclusionnaires qui échappaient ainsi au subissement de leur peine.

De tout temps, également, les aliénés ou pseudo-aliénés ont été maltraités, privés d’une partie de leur ration. En pleine nuit, on leur jetait des seaux d’eau froide qui les trempaient jusqu’aux os. Quelques-uns furent révolvérisés.

Leur transfert à l’annexe de la Réclusion cellulaire, a marqué un adoucissement dans leurs conditions de vie et de traitement.


[1] Minium (n.m) 1) Pigment rouge-orangé obtenu par oxydation du plomb fondu. 2) Peinture antirouille au minium.

[2] Note de Roussenq : Je parle au passé quand il y a lieu : le décrets de 1925 – dont il sera parlé par ailleurs – ont, en effet, profondément modifié le régime de la Réclusion cellulaire.

[3] Le scorbut n’est pas contagieux.

[4] Le manque de vitamine B1 provoque le béribéri qui se caractérise par une atrophie des nerfs et des muscles, des œdèmes et une insuffisance cardiaque.

[5] « Au bout de quelques semaines de ce régime les réclusionnaires présentent tous une pâleur livide caractéristique. », Louis Rousseau, op. cit., réédition Nada, 2020, p.181.

[6] Albert Londres, article « Les fous du bagne » dans Le Petit Parisien, 20 août 1923.

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