Léon le paparazzi


Quelles ont été les motivations du Dr Léon Collin lorsque, en 1907, il embarque avec son carnet et son appareil photo comme médecin en second à bord de La Loire ? Ses clichés sont-ils de simples souvenirs ? Il n’est pas certain qu’il ait été poussé par la seule curiosité. Comme tout homme de son temps, il lit une presse nationale si friande de faits divers. L’homme, quelque peu âpre au gain, se trouve au bon endroit et au bon moment ; il ne peut manquer de voir passer les vedettes des cours d’assises qui, pendant quelque temps, ont défrayé la chronique judiciaire. Il prend des notes sur Manda, sur Jacob Law, sur Brierre ; il les photographie aussi. Ses clichés peuvent ainsi se monnayer.

Nous avons participé en 2015 à la publication de Des hommes et des bagnes chez Libertalia et présenté Léon Collin comme un homme plutôt réactionnaire prenant conscience, au fur et à mesure de ses pérégrinations bagnardes de 1907 à 1913, de l’horreur carcérale. Nous ignorions à l’époque l’origine de l’intérêt de Léon Collin pour les camps de travaux forcés. À la différence de son confrère Louis Rousseau, auteur d’Un médecin au bagne (1930), on ne trouve pas chez Léon Collin la volonté d’écrire un livre sur le moment ; son témoignage n’en prend que plus de valeur.

Mais, si son poste peut lui permettre d’arrondir ses fins de mois, le médecin de La Loire n’hésite visiblement pas longtemps à négocier les informations qu’il a pu recueillir. Ses notes paraissent de temps à autre, sous couvert de pseudonyme, dans Le Monde illustré ou bien dans le magazine Je sais tout qui publie, en date du 15 septembre 1909, l’article « Au pays du crime ». Synthèse particulièrement éclairante des conceptions phrénologiques et physiognomoniques de son temps, ce long papier porte la signature du docteur Jacques Bertillon. C’est en réalité le docteur Léon Collin. En octobre et novembre 1937, l’hebdomadaire Le Miroir du monde lance une série d’articles intitulés « Bagnards d’autrefois »en y insérant de très nombreux clichés pris au début du siècle. Le magazine évoque « le médecin qui soigna et côtoya ces forçats, qui recueillit leurs confidences [et qui] relate avec une nette simplicité ce qu’il a vu et entendu ». C’est encore Léon Collin.

L’article « Les bagnards » paru dans Le Matin le 8 février 1909 n’est pas signé ; il pose en sous-titre la question : « Comment vivent à la Guyane les anciens premiers rôles du crime » ? Soleilland, Brierre, Manda et Vere Goold servent d’exemple pour édifier le lecteur sur le supposé triste sort du bagnard qui expie ses fautes. L’article est accompagné d’une vue de la rade de l’île Royale, d’un portrait de Manda et Brierre à l’infirmerie de l’hôpital de cet île ainsi que d’un portrait dessiné de Verre Goold. Les trois illustrations proviennent de l’objectif de l’appareil photographique de Léon Collin. La photographie de Brierre est reprise (mais coupée) dans le même journal le 14 mai de l’année suivante.

Le 26 févier 1909, Jacques Dhur signe l’article « Les satyres au bagne – Soleilland » paru dans Le Journal. Les portraits de Vilars, Assem, Vougier, Cambrai accompagne celui de l’assassin de la petit Marthe Erbelding. Les photographies ont été prise par Léon Collin. Elles ont été retouchées. Le cliché présentant Soleilland a été pris à bord de La Loire. Le pédophile faisait partie du convoi du 20 décembre 1907. Léon Collin est à bord. Mais Le Journal ne publie que la tête du condamné alors que le cliché du médecin photographe le présentait en plein. On aperçoit aussi un surveillant et des élément de structure nautique qui montrent que l’on est bien sur un bateau. C’est pourquoi cette photographie a été retravaillé par L’Illustration la même année ; l’on aperçoit désormais Soleilland surveillé par le même gardien mais dans un décor terrestre suggérant les locaux d’un camp ! De la sorte, on ne peut deviner qui est l’auteur de l’image puisque rien ne laisse supposer qu’elle a été produite à bord du vapeur de la Société Nantaise de Navigation. Léon Collin ne peut donc être l’objet d’une sanction disciplinaire.

Le 17 juillet 1908, La Loire quitte le port de La Pallice. À son bord, Léon Collin remarque la présence du traitre Ullmo qui avait tenté de faire chanter l’Etat français en le menaçant de livrer des secrets militaires à l’Allemagne. L’affaire avait fait grand bruit et ce détenu retient particulièrement son attention. Débarqué début août, Ullmo se retrouve sur l’île du Diable ; il est le déporté n°2 et la presse s’est d’autant plus emparée de son cas qu’à la différence de Dreyfus – déporté n°1 – il est coupable. La Loire stationne quelques temps aux îles du Salut et Léon Collin en profite pour visiter la Guyane. Au programme : Charvein, Cayenne etc. Il va même se rendre sur l’île du Diable pour accompagner la visite médicale que le médecin de l’île Royale doit effectuer à la fin du mois de janvier. Ullmo n’a guère apprécié. C’est ce que révèle le rapport du commandant des îles en date du 28 de ce mois et que l’on peut lire dans les dossiers du déporté conservés aux ANOM d’Aix-en-Provence (H2065 et H3284). Léon Collin, contraint et forcé, a respecté sa « promesse » :

Îles du Salut,

28 janvier 1909

Monsieur le Directeur

J’ai l’honneur de vous faire connaitre que le jour où le Chef du service de santé s’est rendu à l’île du Diable, il avait pris avec lui en dehors des médecins des Îles, non seulement le Capitaine commandant les troupes, ainsi que l’a relevé Mr l’Inspecteur, mais encore le médecin en second de La Loire.

Le déporté m’a appris que durant la visite de ces officiers il avait surpris Mr Colin photographiant l’intérieur de sa chambre et que, peu satisfait de l’indiscrétion, il n’avait pas pu s’empêcher de dire à son auteur qu’il espérait que cette photographie ne serait pas publiée. Promesse lui en a été faite.

Le Commandant Supérieur

2e bureau

À classer au dossier du déporté

Le Directeur

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