Douze mois pour honorer la mémoire des vaincus ? « Prisonnier de guerre sociale, je suis au bagne et j’y reste » écrivait Alexandre Jacob à sa mère en septembre 1914. Comme des centaines d’autres anarchistes entre 1880 et 1930, il est passé devant les tribunaux. Leur crime à tous ? Incitation au meurtre, à l’incendie et au pillage, outrages à agents, brigandage, cambriolage, fabrication de fausse monnaie, assassinat, attentats, désertion… Certains ont embrassé la Veuve ; d’autres ont été enchristés ; beaucoup furent envoyés loin de la métropole, avec les îles du Salut en Guyane et la Nouvelle-Calédonie comme seul horizon expiatoire à leurs atteintes à l’État, aux personnes et à la propriété. Force est de constater que, la peur du drapeau noir aidant, ils sont attendus de pied ferme ! Ils sont craints aussi.
Une lampe torche qui éclaire anachroniquement dans la nuit la main s’emparant d’une liasse de billets ? Assurément c’est un roman policier ! L’homme a la posture de Fantômas, chapeau haut de forme sur la tête, une canne ou un trousseau de clés dans la main ? C’est bien sûr l’autre cambrioleur, celui de papier, que l’on voit. Et quand le couvre-chef devient chapeau melon, nous nous plongeons aussitôt dans cette si « Belle Époque ». Une chaîne ? Celle de l’oppression, celle du forçat dans son cachot ! Une scène de vol, des souris et un parapluie renversé (brochure de l’office du tourisme de Reuilly, 1993). Une incroyable histoire paradoxalement évoquée par le visage paisible de cet honorable vieillard ? Suggérer et donner l’envie de lecture dès le premier regard. Le choix de l’image, celui de son fond sont primordiaux. Consumérisme oblige, l’éditeur pratique le plus souvent un facile stéréotype et joue avec les lieux communs. Le livre doit se vendre et le contenu de l’ouvrage finit par être révélé à la lumière d’une première de couverture que l’on complète par un titre et un sous-titre pour le moins évocateurs. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’Alexandre Jacob. Lire le reste de cet article »
Une grande majorité persiste à croire – pour le besoin de la cause publicitaire, ou parce qu’il est intellectuellement plus facile d’intégrer le fait divers extraordinaire qu’une démarche politisée – à l’image du formidable aventurier, héros mythique des temps modernes doté d’un sens aigu de l’humour, volant le riche pour donner au pauvre et sans verser aucune gougoutte de sang.
Blablabla que tout cela. Mais intéressante et saisissante dialectique. Involontairement drôle et caustique aussi, ce qui ne gâche en rien l’intérêt de démonter les mécanismes de la perception déformée du réel et de la recomposition étroite de l’image d’un personnage historique. Telle est cette maladie virale, particulièrement aiguë chez ceux et celles qui s’essaient à discourir sur l’honnête cambrioleur, et que l’on peut nommer lupinose. Lire le reste de cet article »
Église de Châtillon-Saint-Jean, Drôme, lundi 21 janvier 2019. Il est 16 heures. René se lève, caresse tendrement le cercueil. Il s’approche du micro que lui tend le curé de la paroisse. Les yeux gonflés de son amour brisé, René parle et c’est juste beau. Il lit lentement, sa voix se casse par endroit. Il s’arrête, souffle un peu, puis reprend. Ce n’est pas un panégyrique, ce n’est pas une oraison funèbre. C’est un dernier salut, un si beau salut. Onze ans se sont écoulés depuis leur première rencontre. Onze années d’un bonheur parfait bouffées, laminées par ce méchant crabe qui ne lui a laissé que si peu d’alternative. Josette Duc est morte et son René, son beau René, « son prince charmant en or massif » l’a accompagnée jusqu’au bout de la vie. Lire le reste de cet article »
« Assagi » ? Rien n’est moins faux. Le bagne ne l’a pas cassé et, même s’il semble avoir abandonné ses prétentions illégalistes, nous pouvons retrouver Alexandre Jacob à Paris aux côtés de Léo Malet dans une organisation pacifiste, ou encore chez Jeanne et Eugène Humbert contractant un mariage blanc avec une antifasciste italienne réfugiée en France. La participation active au livre du docteur Rousseau en 1930, la tenue d’une conférence avec Antoine Mesclon un an plus tôt, des articles et des témoignages pour faire libérer Paul Roussenq et Paul Vial de l’enfer guyanais, montrent qu’il n’a de cesse de dénoncer l’horreur carcérale. « À bas les prisons, toutes les prisons ! » lance-t-il encore en conclusion de sa « Lettre ouverte à Georges Arnaud » en avril 1954 dans Défense de l’homme, le mensuel de Louis Lecoin. Lire le reste de cet article »
1925. Depuis le reportage d’Albert Londres, deux ans plus tôt, l’époque est à une critique généralisée du bagne. Plus de dix-neuf ans que Jacob moisit en Guyane. Plus de dix-neuf ans que Marie Jacob remue ciel et terre pour revoir un jour son fils. Par tous les moyens. Même les plus illégaux.
Marie continue le combat entamé dès son acquittement au procès de Laon le 1er octobre 1905. Elle envoie des livres, du papier, des plumes, des médicaments, du linge et de la nourriture… Des boîtes de sardines avec un revolver en pièces détachées à l’intérieur aussi, comme en 1910 ! Elle écrit, beaucoup. Au ministre des Colonies, au gouverneur de la Guyane, au président. Pas une, mais des dizaines de lettres. Lire le reste de cet article »
Rien ne prédestinait Louis Rousseau, médecin de la coloniale, qui débarque aux îles du Salut le 1er septembre 1920 à la dénonciation de l’univers carcéral.
L’homme, né en 1879, doit redoubler d’activité dans des locaux insalubres où le matériel manque et où la nourriture, insuffisante en quantité, est le plus souvent détournée. Quitte à bousculer l’ordre naturel du bagne. Belbenoît, dans ses souvenirs, rapporte qu’il arrive fréquemment au docteur de faire un tour dans la basse-cour des gardiens pour tirer avec son fusil une vingtaine de poulets et d’en faire préparer un repas pour ses patients. Le médecin dépasse son simple rôle de soignant ; c’est ce qui justifie son opposition à l’AP… et aussi son départ de Guyane deux ans après y avoir posé les pieds. Lire le reste de cet article »
Interné B depuis la tentative avortée de mariage blanc orchestré en métropole par Charles Malato en 1908 et qui aurait pu donner lieu à une évasion à partir du continent sud-américain, Alexandre Jacob ne peut espérer recouvrer la liberté, ni même sortir un jour des îles.
Il ne voit pratiquement qu’elles (l’île Royale et, de 1909 à 1912, les cachots de la réclusion sur l’île Saint-Joseph), effectuant 7 passages à Saint-Laurent-du-Maroni, entre 1910 et 1919, où se tient le tribunal maritime spécial chargé de punir les crimes perpétrés par les forçats. Lire le reste de cet article »
Le bagne, créé 1854, est un système éliminatoire. Pour plus de 100 000 hommes jusqu’en 1938. Élimination par l’éloignement : la Guyane à plus de 7 000 km de la métropole, la Nouvelle Calédonie – entre 1867 et 1893 – à plus de 12 000. Élimination par le travail, la faim, l’épuisement, les maladies et les coups.
Jacob pose le pied sur l’île Royale en janvier 1906. La statistique ne donne qu’à peine 5 ans de vie au transporté débarquant en Guyane. Être anarchiste peut vous raccourcir ce délai. Les révoltés de l’île Saint-Joseph ont été tirés comme des lapins les 21 et 22 octobre 1894. 16 morts dont 14 forçats et, parmi eux, 5 anarchistes. Le matricule 34777, classé aux internés A – comme anarchiste, est pourtant resté 19 ans aux îles du Salut ! Être anarchiste peut rallonger votre espérance de vie ! Lire le reste de cet article »
Le 21 avril 1903, le cambriolage mené à Abbeville chez Mme Tilloloy tourne mal. Un pandore est abattu, un autre sérieusement amoché à la gare de Pont-Rémy, quelques kilomètres plus loin, le lendemain matin. Jacob est pris à Airaines après une chasse à l’homme dans la campagne picarde : « Airaines !… Pour le plus grand nombre de bipèdes parleurs qui peuplent la terre, ce mot ne signifie pas grand-chose. Si vous laissiez tomber ce mot de vos lèvres, les uns vous demanderaient si c’est un animal exotique, les autres, si c’est une plante ; certains, enfin, vous demanderaient sérieusement si c’est le nom du nouveau moutardier du pape. Mais pour moi, ce mot, c’est toute une catastrophe. C’est mon Waterloo. Mes cent jours n’ont duré que cinq heures ! » (Souvenirs d’un révolté, 1905). Fin des Travailleurs de la nuit. Deux ans d’instruction ! Une organisation de malfaiteurs aux ramifications internationales. Lire le reste de cet article »
Depuis Clément Duval en 1886, le vol est l’objet de tous les débats dans les milieux anarchistes. Pour certains, comme Jean Grave, le voleur ne serait qu’un parasite, vivant comme le bourgeois sur le dos du travailleur. Jacob dans ses Souvenirs d’un révolté (1905) renvoie le « Pape de la rue Mouffetard » à ses études théoriques : « Le bourgeois est un parasite conservateur ; tous ses soins, ses désirs, ses aspirations tendent à un même but : la conservation de l’édifice social qui le fait vivre ; alors que le cambrioleur est un parasite démolisseur. Il ne s’adapte pas à la société ; il vit sur son balcon et ne descend dans son sein que pour y livrer des assauts ». Lire le reste de cet article »
…nourrit forcément un imaginaire qui peut rendre l’individu attachant du fait de la truculence de l’acte délictueux commis par l’audacieux personnage. Et pour cause, commis le 31 mars 1899, il est mis à jour le lendemain, 1er avril.
L’incroyable histoire pose pour autant un réel problème de sources. Quelques notes de police, conservées aux Archives contemporaines de Fontainebleau attestent néanmoins de la véracité des dires de Jacob à Danan en 1935, à Maitron en 1948, puis à Alain Sergent en 1950 : quatre hommes habillés en policiers, une perquisition en bonne et due forme au mont-de-piété de la rue du Petit-Saint-Jean, les objets du commissionnaire Gil réquisitionnés et le dit Gil emmené au palais de justice pour y être entendu… Les voleurs loin quand on découvre, le lendemain, qu’ils ne furent point de la rousse et le sieur Gil qui passe pour le dindon de la farce. Lire le reste de cet article »
Jacob, malade, abandonne sa vocation maritime et finit d’être convaincu par le prosélytisme du fils d’un voisin. Nous sommes vers 1893, soit en pleine période des attentats qui frappent la France. L’effervescence séduit un jeune garçon qui, fort de son expérience au long cours, peut ainsi concrétiser ses colères et théoriser ses observations : « J’allais aux soirées familiales, aux conférences avec l’âme d’un croyant » écrit-il à Jean Maitron en 1948. Lire le reste de cet article »
« J’ai vu le monde et il n’était pas beau ». Pour apocryphe qu’elle puisse être, la phrase que le voleur anarchiste prononcerait lors du procès d’Amiens le 8 mars 1905 n’en évoque pas moins l’idée d’une enfance particulièrement formatrice pour un esprit rebelle et rétif à l’autorité : les années de navigation sur les vapeurs des Messageries maritimes (après le certif obtenu en 1891) auraient ainsi façonné Alexandre Jacob, né le 29 septembre 1879 au n° 29 de la rue Navarin à Marseille. Il est le fils de Joseph Léon Jacob et de Marie Berthou. Lire le reste de cet article »
Depuis une dizaine d’années, les copains du Centre international de recherches sur l’anarchisme de Marseille sortent un calendrier à thème pour financer leurs activités de collecte, de classement et d’archivage de tout ce qui a un rapport de près ou de loin avec le mouvement libertaire. Il y eut Les anarchistes et le théâtre en 2017, L’anarchisme autour du monde en 2018, des dessins d’artistes anarchistes en 2019… Celui de l’année 2020 est entièrement consacré à l’honnête cambrioleur. Tiré à 350 puis à 50 exemplaires, il a très vite été épuisé. C’est pourquoi nous vous le proposons ici en téléchargement et en treize articles. Douze mois plus un pour vous édifier sur l’illégalisme, le bagne ou encore les procès de Jacob. Douze mois plus un pour organiser votre temps sans lupinose. Douze mois plus un enfin pour un droit de vivre qui ne se mendie pas mais qui se prend ! Lire le reste de cet article »