Quelles ont été les motivations du Dr Léon Collin lorsque, en 1907, il embarque avec son carnet et son appareil photo comme médecin en second à bord de La Loire ? Ses clichés sont-ils de simples souvenirs ? Il n’est pas certain qu’il ait été poussé par la seule curiosité. Comme tout homme de son temps, il lit une presse nationale si friande de faits divers. L’homme, quelque peu âpre au gain, se trouve au bon endroit et au bon moment ; il ne peut manquer de voir passer les vedettes des cours d’assises qui, pendant quelque temps, ont défrayé la chronique judiciaire. Il prend des notes sur Manda, sur Jacob Law, sur Brierre ; il les photographie aussi. Ses clichés peuvent ainsi se monnayer.
Les systèmes totalitaires ont par essence une logique comptable. Il en va ainsi pour n’importe quelle administration dans quelque régime que ce soit. Le classement de l’information réduit l’homme à un simple numéro et il ne constitue alors plus qu’un rouage interchangeable autorisant le fonctionnement de la matrice. L’homme n’existe plus. Sa vie, sa personnalité, importent peu ou plutôt doivent être niés, détruites, éliminées pour que le principe puisse être efficient et pérenne. Elles sont appelées à sombrer dans les limbes d’un oubli bureaucratique tout kafkaïen. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit du traitement de la question pénale en milieu concentrationnaire. Lire le reste de cet article »
Les magazines spécialisés, revues, gazettes et autres cahiers d’associations, aussi multiples et diverses soient-ils, disposent d’un lectorat particulièrement ciblé. Il est alors rare d’y dénicher un intérêt certain quand on n’est pas de « la maison » ou quand on ne cultive pas le même jardin. En 1981 le recueil de textes écrits par des médecins de marine, la plupart anciens élèves de l’École de Santé Navale de Bordeaux avait de quoi éveiller notre curiosité bien des années plus tard. La plupart des auteurs que l’on peut lire dans Sillages et feux de brousse ne sont pas des écrivains au sens propre mais ils rapportent leurs témoignages d’une vie hors du commun. Et celle du médecin Edmond Georges nous apparait alors éclairante à plusieurs titres. Lire le reste de cet article »
Les clichés de bagnards sont rares. C’est aussi ce qui donne son caractère exceptionnel à la publication des souvenirs écrits et photographiques du Dr Léon Collin visitant la Guyane et la Nouvelle Calédonie entre 1907 et 1913[1]. S’il y avait bien un passage devant le service anthropométrique au débarquement du forçat, nombre de portraits se sont abimés avec le temps et sous le climat équatorial. Quelques-uns, officiels, administratifs ou non, subsistent néanmoins aux Archives Nationales de l’Outre-Mer ou dans les collections privées. Jacob Law apparait ainsi en bagnard dans son livre en 1925 ; Roussenq est photographié par Détective en 1929, d’autres encore ont vu leur portrait tiré à l’occasion. Mais, pour la plupart des hommes punis, le visage de leur expiation demeure à jamais effacé. Nous ne connaissions jusqu’à présent aucune image révélant le matricule 34777, dit Barrabas, dans sa résidence guyanaise forcée. De temps à autres, les souvenirs remontent à la surface. Lire le reste de cet article »
Pas vraiment. Embarquement lundi pour l’enfer vert guyanais. Ce n’est pas La Loire qui nous y emmène. Hommage rendu aux hommes punis du système éliminatoire français. Mardi 24 octobre 2017 : îles du Salut. Jeudi 26 octobre : conférence présentation des livres Des Hommes et des Bagnes de Léon Collin et d’Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur au musée de la transportation de Saint Laurent du Maroni. 18h30. Vendredi 27 octobre : même chose au musée de Cayenne. La tête dans les étoiles à Kourou mais point de conquête spatiale. Juste le souvenir du matricule 34777 et de ses compagnons, vaincus de guerre sociale. On vous promet un photo-reportage de derrière les fagots. Et, on ne sait jamais, si vous êtes dans le coin, venez nous voir.
Avec le chapitre 9 sur « l’esprit pénitentiaire », le docteur Louis Rousseau en vient à décrire et à expliquer comment, dans un système pyramidal de type quasi féodal, les agents de l’AP peuvent à loisir s’entraîner à la méchanceté. Si tout au long de son ouvrage il n’a de cesse de dénoncer le sadisme, la férocité, la brutalité, la perversité, la veulerie, la lâcheté, l’alcoolisme du chaouch qui, pour se couvrir, pour bénéficier d’un avancement, pour punir plus sévèrement un condamné ou encore pour profiter d’un trafic, n’hésite pas à dénoncer ou à produire de faux témoignages ; cela peut se justifier par la haine sociale du criminel. Mais le rapport fort-faible autorise surtout pour le surveillant l’oubli et le refoulement de sa propre condition sociale. De la sorte et en jouant sur le sentiment raciste, les porte-clés, ces supplétifs de la surveillance majoritairement choisis dans la population pénale arabe, reproduisent le même schéma de domination et de violence exercée sur les hommes punis. Lire le reste de cet article »
Naît-on délinquant ou le devient-on ? Le bagne offre aux savants et aux criminalistes du XIXe siècle un lieu d’observation privilégié.
Par Marc Renneville et Jean-Lucien Sanchez
Spécialiste de la criminalité et de la justice, Marc Renneville est directeur de recherches au CNRS. Directeur de Criminocorpus, il a notamment publié Le Langage des crânes. Une histoire de la phrénologie (Institut Édition Synthelabo, 2000).
Chargé d’études historiques à la direction de l’Administration pénitentiaire, Jean-Lucien Sanchez a notamment publié A perpétuité. Relégués au bagne de Guyane (Vendémiaire, 2013). Lire le reste de cet article »
Avril 1901. Cinq gamins assassinés, un père accusé qui n’a de cesse de clamer son innocence, Alain Denizet ne nous raconte pas simplement et seulement un fait divers rarissime dans les annales judiciaires ; il fait bien plus que cela. Ce n’est pas un polar. L’affaire Brierre, livre paru aux Editions de la Bisquine en mars dernier, est un de ces ouvrages d’histoire que l’on a du mal à refermer tant le plaisir de la lecture vous prend dès les premières lignes. Vous allez plonger dans cette France de la Belle Epoque qui s’industrialise et s’urbanise et qui surtout, à peu de frais, va chercher l’exotisme et le frisson dans les feuilles à cinq sous.
Corancez est un petit village d’Eure et Loir ; l’horreur du crime qui y est commis, parait pourtant si lointaine et si proche à la fois. Il soulève l’opinion publique et emballe la machine médiatique. Alors, sources à l’appui, patiemment, Alain Denizet démêle les fils d’une histoire complexe aux multiples rebondissements, met en relief les enjeux et l’écho d’un évènement qui dépasse largement la cadre bucolique troublé d’un coin de campagne. Comme Dreyfus – certains ont pu faire le rapprochement – Brierre est envoyé au bagne mais, contrairement au capitaine, il y finira sa triste vie, espérant en vain la révision de son procès. Lire le reste de cet article »
Alors que vont s’ouvrir les 18e Rendez-Vous de l’Histoire de Blois sur le thème des empires, le Jacoblog rappelle qu’au mois d’avril dernier est sorti aux éditions Libertalia un document totalement inédit sur les colonies pénitentiaires françaises. Des hommes et des bagnes rassemble les deux carnets de notes et les photographies du docteur Léon Collin. Direction la Guyane et la Nouvelle Calédonie. Rappelons alors que depuis la création officielle du bagne en 1854 jusqu’au dernier convoi de condamnés en 1938, ils furent plus de 100000 à venir s’échouer en terre de grande punition. Il y a plus d’un an, les historiens Michel Pierre et Jean-Lucien Sanchez relevaient dans le n°64 des Collections de L’Histoire (juillet-septembre 2014) l’aspect exceptionnel de ce « rare » témoignage qui est un des seuls à révéler l’échec des camps à la française sur deux espaces particuliers : la Guyane et la Nouvelle Calédonie. Lire le reste de cet article »
Huit ans. Huit ans que le drapeau rouge et noir de la flibuste livresque flotte au vent de l’édition indépendante. Huit ans et quelque soixante-dix bouquins de derrière les fagots de l’alternative culture libertaire, antiautoritaire et anticarcérale. Car publier un livre n’est ni une chose aisée, ni même une entreprise neutre. Il faut souquer, aimer le texte, tirer des bords, corriger le texte, ça gîte sec aussi parfois, souvent niveau finance mais les 40e rugissants en valent le coup, et c’est toujours une aventure de pirates où l’on va à l’abordage du lecteur. Dis-moi ce que tu publies et je te dirai qui tu es … et tu nous diras qui tu es plutôt. Libertalia est une maison d’édition qui nous montre que l’engagement c’est la vie et qui, en huit années d’un dur, laborieux, artisanal mais aussi jouissif labeur a su distiller dans son catalogue un fameux arsenal dialectique de critique sociale. La crique du capitaine mais sans capitaine, ni dieu, ni maître. Lire le reste de cet article »
Alors que les éditions Libertalia s’apprêtent à Publier Des hommes et des bagnes du docteur Léon Collin, nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce médecin militaire dont le témoignage, rare et formidable, vient confirmer si besoin est l’horreur de l’enfer carcéral guyanais et calédonien. Le livre devrait faire date et, comme le souligne Michel Pierre dans le numéro spécial du magazine L’Histoire en juillet-septembre 2014, il y a encore des découvertes à faire sur le sujet. Philippe a bien voulu évoquer pour nous son grand-père, le récit de ce dernier ainsi que le grand nombre de photographies qu’il a pu prendre à bord de La Loire ou encore sur ces terres de punition. Dix questions pour aborder un homme, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, marqué à vie par son expérience. Les souvenirs de Léon Collin dormaient paisiblement dans la maison familiale de Crèches sur Saône ; Philippe les a exhumés et s’est mis à fouiller, à chercher, à fréquenter les services d’archives et en particulier ceux de l’Outre-Mer à Aix en Provence. Une volonté de comprendre l’aïeul, de saisir ce que ce dernier a pu ressentir. Un travail énorme d’historien. Il est des voyages dont on ne revient pas totalement indemne … Une interview à lire sans modération, sans précaution et sans avis médical. Lire le reste de cet article »
Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a vu la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il s’occupe du transport sur le vapeur le Loire des condamnés aux travaux forcés. Chargé de mission pour les services épidémiologiques, il passe ensuite trois ans en Nouvelle Calédonie de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin bourguignon serait marqué à vie par son expérience ? Les éditions Libertalia ont eu la bonne, la très bonne idée de publier ses carnets de notes. Lire le reste de cet article »
Sabine Barbier est une des animatrices du site web Paroles d’artistes. Nous l’avons rencontrée à l’occasion d’une séance de dédicaces des livres des éditions de La Pigne à la librairie Le Neuf de Saint Dié des Vosges au début du mois de juillet dernier et nous avons pu constater son enthousiasme pour la réédition des Dix-huit ans de bagne de Jacob Law. L’interview qu’elle a proposé et qu’elle a mis en ligne le 05 octobre 2013 a permis d’évoquer l’enfer carcéral guyanais mais aussi de présenter cette micro-production voulant sortir du carde institué. Et, pour une fois, aucune question sur un très hypothétique rapprochement entre un cambrioleur réel et un autre nettement plus littéraire. Quand la lupinose n’est pas là, La Pigne fait sa promo en attendant de montrer sa production et de faire votre connaissance dans les salons du livre de France, de Navarre et d’au-delà les frontières. Mais, amis jacoblogueurs, vous pouvez aussi commander LES MEGOUSTASTOUX DE Steve Golden et Quercus Robur, le BOCALBLUES de Gil ou encore les souvenirs carcéraux de Jacob Law. Cela aidera à sortir le quatrième pignolesque opus de cette toute toute petite maison d’édition vosgienne : FELICE ET MANETTE LES OIES DU CAPITAL. Lire le reste de cet article »
1907. L’homme qui a fait feu sur la soldatesque chargeant la foule parisienne du 1er mai, cumule les aprioris d’une époque marquée du sceau de l’insécurité. Il est Juif. Il est Russe. Pire, il est anarchiste et, un peu plus de dix ans auparavant, les bombes de Ravachol, Vaillant, Henry terrorisaient l’hexagone. Il s’appelle Jacob Law. Il est né à Balta, en Bessarabie (aujourd’hui Moldavie) en 1885. C’est un étranger, maitrisant mal la langue de Voltaire et revendiquant hautement son acte de propagande par le fait. La cour d’assises de la Seine le condamne le 9 octobre à quinze ans de travaux forcés. L’espérance de vie du bagnard, à son arrivée en Guyane, ne dépasse guère cinq ans. Pendant dix-huit années Law survit à l’enfer pénitentiaire et colonial. Revenu en France en 1925, il a juste le temps d’écrire ses douloureux souvenirs avant de disparaitre. Il était sous le coup d’un arrêté d’expulsion faisant suite à une interdiction de séjour. Lire le reste de cet article »