Douze mois pour honorer la mémoire des vaincus ? « Prisonnier de guerre sociale, je suis au bagne et j’y reste » écrivait Alexandre Jacob à sa mère en septembre 1914. Comme des centaines d’autres anarchistes entre 1880 et 1930, il est passé devant les tribunaux. Leur crime à tous ? Incitation au meurtre, à l’incendie et au pillage, outrages à agents, brigandage, cambriolage, fabrication de fausse monnaie, assassinat, attentats, désertion… Certains ont embrassé la Veuve ; d’autres ont été enchristés ; beaucoup furent envoyés loin de la métropole, avec les îles du Salut en Guyane et la Nouvelle-Calédonie comme seul horizon expiatoire à leurs atteintes à l’État, aux personnes et à la propriété. Force est de constater que, la peur du drapeau noir aidant, ils sont attendus de pied ferme ! Ils sont craints aussi.
En juin 1895, le Tribunal Maritime Spécial de Saint-Laurent-du-Maroni acquitte les transportés Lepiez, Foret, Hincelin, Bonacorsi, Bérard et Flamens et condamne deux autres prévenus à la peine capitale. Mais Bernard Mamert meurt avant l’exécution de sa peine le 11 octobre tandis que Jean-Baptiste Girier voit sa condamnation commuée en cinq années de réclusion en février 1896. L’innocent ne survit pas à plus de trente deux mois de ce régime. Les huit bagnards étaient accusés d’avoir peu ou prou participé quelques mois plus tôt à la tentative de soulèvement de l’île Saint Joseph qui fit grand bruit à l’époque et qui, depuis, marque l’histoire des bagnes guyanais d’une empreinte sanglante. Seize morts dont deux chaouchs, lardés de coups de couteau et deux porte-clés. Une répression d’une extrême violence qui révèle que la peur des anarchistes s’est largement véhiculée à plus de 7 000 km de la métropole. Lire le reste de cet article »
« Donc camarades, si vous agissez, faîtes-vous tuer, couper la tête. Mais n’allez jamais au bagne »
Ainsi se concluent les mémoires de Clément Duval et cette phrase, lancée comme un avertissement, justifie à elle seule l’importance du témoignage de l’enfermé à ciel ouvert que fut cet anarchiste. Espérance de vie du transporté à l’arrivée en Guyane ? À peine cinq ans ! Duval y est resté presque quinze ! C’est dire combien résonne lourdement cette conclusion et combien elle illustre à merveille ce système éliminatoire, cette véritable extermination programmée depuis le décret-loi impérial du 30 mai 1854 et renforcée par la sinistre loi républicaine de 1885 instituant la relégation. Aux condamnés aux travaux forcés à temps ou à perpétuité viennent ainsi s’ajouter – époque hygiéniste et climat médiatique d’insécurité obligent – les multirécidivistes de la petite et moyenne délinquance que l’on expurge à plus de 7000 km de la métropole. Le robinet d’eau sale coule à flot et le bagne a vécu presque centenaire. De sa création jusqu’à l’arrêt de la transportation en 1938, ce furent près de 75000 « vaincus de guerre sociale », comme les appelait l’honnête bagnard Jacob en 1914, qui ont fini leur vie dans le ventre d’un requin ou bien enfouis anonymes dans les limbes de la tourbe amazonienne. Et, comme il est écrit sur la quatrième de couverture du livre que les éditions Nada viennent fort à propos de rééditer : « rares sont ceux qui ont survécu à l’enfer du bagne, plus rares encore ceux qui ont pu le raconter ». Lire le reste de cet article »
Charles Diaz n’est pas un inconnu du Jacoblog ; l’auteur de la préface de la réédition des mémoires de l’ex-inspecteur principal de la Sûreté Rossignol intervient à plusieurs reprise dans l’historiographie de l’honnête cambrioleur Jacob (un documentaire en 2003, une intervention radiophonique sur RTL en 2015 …). Mais savait-il en relevant le texte du fin limier qui arrêta Clément Duval en 1886 que le rossignol désigne dans le vocable argotique un objet de peu de valeur ? Une recension par Marianne Enckell. Une histoire de poulaga et une vision a priori de la Rousse et des anarchistes. A lire … ou pas
Mémoires de Rossignol, ex-inspecteur principal de la Sûreté ,
Le récent ouvrage de Michel Pierre, Le Dernier Exil, histoire des bagnes et des forçats (Découvertes Gallimard, 1989) est une compilation large, et largement illustrée, de la mince littérature existant sur les bagnes français. On peut s’étonner de la désorganisation et de l’approximation de la bibliographie (ordre, dates et lieux d’édition fantaisistes, absence de quelques «classiques») et de la chronologie. C’est notamment à partir d’avril 1887, et non de 1888, que les transportés reprennent le chemin de Cayenne, partant de Toulon avant de s’embarquer à Saint-Martin-de-Ré.
Hommage soit rendu à Albert Londres pour avoir dénoncé l’infamie de la Guyane. Mais on oublie trop souvent, même en une année de commémorations, Joseph Reinach et la Ligue des droits de l’homme. Dans le cadre de la campagne en faveur de Dreyfus, ils prirent la défense de cinq anarchistes condamnés injustement à leurs yeux: des « condamnés de droits commun, qui sont, en réalité, des condamnés politiques; qui ont été frappés par la justice, non pour des faits précis, mais en raison de leurs opinions : qui sont au bagne et n’y devraient pas être » (Rapport sur les cas de cinq détenus des Iles du Salut (île Royale) : présenté au Comité de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen par M. Joseph Reinach et adopté à l’unanimité par le Comité ; Paris : P- V. Stock, éditeur, 1899). On attirait ainsi pour une des premières fois l’attention sur la « guillotine sèche ». Lire le reste de cet article »
Vol, incendie, tentative d’assassinat : voilà de quoi envoyer son quidam tout droit à la guillotine ! Clément Duval, serrurier de son état, né le 11 mars 1850 à Cérans Foulletourte dans la Sarthe, en fait la douloureuse expérience. Il justifie ses actes par le droit naturel à l’existence mais aussi pour les besoins de la propagande. Le 05 octobre 1886, le membre du groupe de la Panthère des Batignolles cambriole, rue Montceau à Paris, l’hôtel particulier que Mme Herbelin occupe d’ordinaire avec sa nièce, artiste peintre, Madeleine Lemaire. La riche demeure, inoccupée, est incendiée. Le larcin est évalué à environ 15000 francs. Cherchant à écouler les bijoux et l’argenterie dérobés, Duval se fait pincer alors qu’il s’apprêtait à entrer chez le receleur Didier. L’agent Rossignol, qui l’interpelle « au nom de la loi » est lardé de coups de couteau « au nom de la liberté ». Lire le reste de cet article »
Propagande par le fait. Le débat pourrait se lancer à la suite de l’article narratif de Patrick Schindler, paru dans les colonnes du Monde Libertaire au mois de mars de cette année. L’historiographie des poseurs de bombes anarchistes porte en elle la question forcément déformante de l’approbation ou plutôt de la condamnation quasi-systématique du recours à la violence politique. Le champ lexical de l’étude du terrorisme pratiqué, en son temps, par les sectateurs de la marmite à renversement utilise le plus souvent le vocabulaire médical. Parler d’épidémie d’attentats, évoquer le dérangement psychiatrique ou bien la maladie infantile de l’anarchisme conduit inévitablement à occulter ou à nier de réelles et profondes motivations dans un contexte particulier. Lire le reste de cet article »
Des poseurs de bombes ? Une internationale noire de la pince monseigneur ? Bien loin de renouveler le genre, comme peut l’affirmer Jean-Marc Berlière dans une communication faites aux Amis de la police en mars 2009, la thèse de Vivien Bouhey, soutenue en 2006, n’en constitue pas moins un élément important et significatif de l’historiographie officielle et universitaire du mouvement libertaire français. L’auteur des Anarchistes contre la République entend démontrer, comme l’indique le titre de son étude parue aux Presses Universitaires de Rennes en 2008, l’existence de réseaux agissants. Agissants et … malfaisants. Sources policières à l’appui, le volumineux ouvrage, parce qu’il ne fournit pas d’appareil critique vis-à-vis de ces sources même, finit par véhiculer, donc par certifier, tout une imagerie d’Epinal sur l’anarchisme hexagonal durant la Troisième République. Force est alors de constater que, plutôt que d’alimenter un débat historique et constructif sur les questions de la propagande par le fait ou encore de l’illégalisme, le livre qui bénéficie de la caution de l’Université suscite nombre de critiques. Haro sur le Bouhey ? Lire le reste de cet article »
Personnage haut en couleur – le noir et le rouge bien évidemment – et figure incontournable du mouvement libertaire contemporain, Marianne Enckell n’a ni sa langue, ni sa plume dans sa poche. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages (sur la fédération jurassienne, sur Clément Duval, etc.) et participe à de non moins nombreuses revues. Historienne, archiviste, elle est aussi traductrice. L’animatrice du Centre International de Recherches sur l’Anarchisme de Lausanne nous livre ici sa verve et son savoir sur les bagnards libertaires. Elle revient aussi sur le débat historiographique autour des pratiques illégalistes et terroristes, débat que l’on peut encore entrevoir dans le numéro 22 de Réfractions (printemps 2009). Lire le reste de cet article »
Le capitalisme tangue. Les dominants s’affolent. La répression s’étend. Les lois d’exception reviennent. Le fichage de la population se veut exhaustif. Le Régime craque, qu’il crève ! Lire le reste de cet article »
Même spontanée, la mythique révolte des 21/22 octobre 1894 doit être considérée comme un indicateur d’une résistance anarchiste à cette institution totale qu’est le bagne. Résistance qui peut aller jusqu’à la mort. C’est d’ailleurs le seul mouvement d’opposition violente et collective que connaît la colonie pénitentiaire durant toute son existence. Liard-Courtois arrive aux îles du Salut après ces évènements qui voient le décès de 4 surveillants et de 12 forçats, parmi lesquels 10 anarchistes. Clément Duval, lui, se trouve sur l’île Royale lorsque, sur l’île Saint Joseph, l’émeute éclate.
La maison d’édition associative de Toulouse les Passés Simples cesse son activité. Existant depuis 2003, elle s’était donnée comme but de transmettre la mémoire de personnes ayant vécu, traversé ou influé sur les événements sociaux, politiques et historiques et de faire connaître les mouvements ou idées intervenant aujourd’hui dans le champ social. A son catalogue, Souvenirs du bagne (2005, 24€) et Après le bagne (2006, 18€) d’Auguste Liard-Courtois. Lire le reste de cet article »