« Depuis mai dernier, il n’a plus reparu ni à Saint Gilles, ni à Aymargues et, selon les renseignements qui m’ont été fournis, il serait actuellement poursuivi par les parquets de Dijon et de Belfort pour infraction à la police des chemins de fer. »[1]
La police gardoise a perdu de vue l’Inco en 1935. Retour aux vaches maigres et à l’errance de son adolescence vagabonde. Les chansons de Gaston Couté collent encore à la peau ou plutôt à ce qu’il reste de la peau du grand gaillard qu’il fut. Roussenq parcourt à nouveaux les chemins. Ou plutôt les voies de chemins de fer.
« J’avais recours aux bons offices de la SNCF. À titre onéreux, pour elle. Ma foi ! le déficit chronique de cette société n’en était pas aggravé pour cela. Et puis, l’Etat est là pour combler ce déficit. En payant mes impôts indirects, à défaut d’autres je participe donc au renflouement de la caisse dans une certaine mesure et bien malgré moi du reste… »[2]
Et c’est le colporteur Roussenq que la main de la justice condamne à deux mois de prison le 25 mai à Belfort pour infraction à l’interdiction de séjour[3] ; c’est encore le colporteur Roussenq que le parquet de Dijon condamne le 15 juin par défaut à 100 francs d’amende pour n’avoir pas payé son titre de transport le 9 mai précédent[4]. C’est toujours le colporteur Roussenq qui est arrêté en 1936 à Montpellier[5] et à Toulouse où il écope de six mois de prison pour outrage public à la pudeur[6]. Nous ne savons pas ce qui a motivé l’acte délictueux. Acte de protestation après un quelconque refus ? Nous avons vu comment, lorsqu’il est au bagne, Roussenq laisse éclater sa colère sur les surveillants, détruit ce qu’il peut dans sa cellule. Nous pouvons ici imaginer aisément l’indigent et souffreteux colporteur dans une théâtrale mise en scène de son exaspération qui lui vaut ce démêlé avec la justice.
« Le visage du bagne », La Bourgogne Républicaine, du 28 juin au 12 juillet 1937
Le Visage du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1941
L’Enfer du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1942
« Mes tombeaux », Les Allobroges, du 29 janvier au 11 mars 1948
L’enfer du bagne, Pucheu Éditeur, 1957
L’Enfer du bagne, souvenirs vécus est déposé en 2018 aux Archives des Alpes de Hautes Provence par M. Michel Henry. Un autre carnet, manuscrit lui-aussi, l’accompagne. Il s’agit d’un poème de 72 alexandrins intitulé Les internés de Sisteron[1]. Roussenq évoque les dures conditions de vie dans la citadelle où il est enfermé. Le parallèle avec son existence passée aux îles du Salut parait évidente tant les thèmes de la fatalité, de la violence, de la faim, de la promiscuité et de l’homosexualité aboutissent comme au bagne au rêve de liberté qui ici ne peut s’imposer dans le cadre du conflit mondial que par une paix retrouvée :
Une chronologie pour se repérer. Une chronologie pour comprendre. Une chronologie pour établir un lien, pour suivre un fil. Parfois épais. Parfois ténu. Le fil d’une vie. Celui que l’infatigable réfractaire Paul Roussenq coupe le 3 août 1949. Une chronologie à caractère historiographique aussi. A lire, à commenter, à compléter éventuellement, à imprimer, etc… La chronologie est accessible dans la colonne du milieu, rubrique Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur, ou en cliquant sur le mot chronologie.
L’Hôpital avec ses insuffisances reste le dernier refuge des parias de la société
Dans une autre circonstance, un homme fut tué d’un coup de mousqueton – Ces gens-là étant armés jusqu’aux dents. Comme au Bagne. Mais le Bagne n’était qu’un vulgaire pensionnat à côté de ça. Et l’on envoyait là, pour y souffrir et pour y mourir misérablement, des hommes qui ne savaient même pas pourquoi on les y détenait. Quelle honte ! Puis de Gaulle est venu. Comme Daladier, qui les avait instaurés, comme Pétain, qui les avait renforcés, il les a maintenus comme l’ont fait, après lui, les divers gouvernements qui se sont succédé. Et pourtant, rien n’est plus odieux que de vouer ainsi à la mort des hommes contre lesquels ne prévalait aucune suspicion légale. Lire le reste de cet article »
A Sisteron, à Fort Barraux les internés se disputaient les épluchures et le pou était roi
A SISTERON
Je fus d’abord envoyé dans un camp de la Haute-Vienne. Huit jours après, je fus transféré à Sisteron. C’est à la citadelle de la patrie de Paul Arène qu’était Situé le camp. Les anciennes casemates étaient bondées d’internés famé-Piques, au nombre de 250 environ. Il y avait là un peu de tout, militants politiques et syndicalistes, récidivistes, souteneurs, patrons de maisons, commerçants qui avaient enfreint les prescriptions du ravitaillement. Lire le reste de cet article »
Aujourd’hui… l’archaïque réglementation des prisons demeure ce qu’elle était au siècle dernier
La loi de 1854, qui a décrété la transportation hors du territoire métropolitain, était un progrès certain sur l’organisation des bagnes maritimes.
A leur tour, les décrets du 4 septembre 1891 constituaient un nouveau pas en avant, par l’adoucissement du régime imposé.
Enfin, les décrets de 1925, dont nous avons montré la haute portée humanitaire, venaient couronner cette succession de mesures d’adoucissement. Lire le reste de cet article »
S’il arrive parfois que des archives privées refassent surface[1] tels les cahiers et les photographies du Docteur Léon Colin en 2015[2] ou encore la correspondance du bagnard Arthur Roques en 2021[3], il est nettement plus rare d’exhumer et de redécouvrir de précieux documents dans les fonds d’archives publics. Cela n’est pourtant pas impossible et c’est une ultime version des souvenirs de l’ancien bagnard Paul Roussenq que l’archiviste guyanaise Vanessa Van de Walle[4] et les historiens Philippe Collin[5] et Jean-Marc Delpech[6] ont retrouvé en croisant les informations données par le dossier que les époux Beaumier avaient constitué dans les années 1980. Un peu moins d’un an et demi avant le suicide de Paul Roussenq à Bayonne, parait le dernier des trente-six articles de « Mes tombeaux – souvenirs du bagne » dans le quotidien grenoblois Les Allobroges le 11 mars 1948 : Lire le reste de cet article »
Sisteron, juin 1942. Les écrits de Roussenq (1885-1949) ressemblent à cette vie houleuse et souffrante que le réfractaire a pu endurer. Mais là où on aurait pu le croire, fini, cassé, brisé, il n’en fut rien. Celui qui n’était plus un homme mais un bagne, comme il a pu le dire à Albert Londres en 1923, a su rebondir, retrouver vitalité et énergie ; il a repris une plume que le glorieux parti des travailleurs lui avait confisquée en le faisant revenir de Guyane en décembre 1932. C’est donc à la citadelle de Sisteron que l’Inco, une nouvelle fois prisonnier, donne une autre version de son enfer carcéral et colonial. Lire le reste de cet article »