Le 14 janvier 1933, l’homme puni vient se recueillir sur sa tombe au cimetière de Saint-Gilles-du-Gard. Roussenq est libre. Roussenq est en France depuis moins de trois semaines. Le Pellerin de Latouche l’a débarqué à Saint Nazaire le 28 décembre 1932. Le retour en fanfare du « damné sortant de l’enfer »[2] est savamment orchestré par le SRI et le Parti Communiste.
« Qu’a donc cet homme, accompagné d’ouvriers, qui s’avance en hésitant au bord des trottoirs, reculant devant les camions qui roulent en grondant, les tramways qui sonnent, les autos de luxes qui passent en trombe ? D’où lui vient ce teint cuivré ? Pourquoi ces yeux un peu clignotants, cette face amaigrie, ces vêtements flottants sur des membres que l’on devine grêles ? Pourquoi ces longues mains sèches aux doigts gris et noueux ? Qu’a donc cet homme dont on ne saurait dire l’âge ?
Cet homme, c’est un revenant. C’est Paul Roussenq, Roussenq l’inco, recordman du cachot, comme l’appelait Albert Londres dans son livre Au bagne, dont les vérités firent abolir quelques trop criantes infamies. 24 ans de bagne, dont 20 de travaux forcés, dont 10 ans de cachot ! Tel, à 47 ans, dont la moitié passée dans l’enfer de Cayenne, il revient arraché à la mort par l’action vigoureuse des prolétaires, avec à leur tête la section française du S.R.I.. Le voici devant nous. Nous serrons sa main fiévreuse et sèche. »[3]
« Le visage du bagne », La Bourgogne Républicaine, du 28 juin au 12 juillet 1937
Le Visage du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1941
L’Enfer du Bagne, manuscrit, C.S.S. de Sisteron, juin 1942
« Mes tombeaux », Les Allobroges, du 29 janvier au 11 mars 1948
L’enfer du bagne, Pucheu Éditeur, 1957
L’Enfer du bagne, souvenirs vécus est déposé en 2018 aux Archives des Alpes de Hautes Provence par M. Michel Henry. Un autre carnet, manuscrit lui-aussi, l’accompagne. Il s’agit d’un poème de 72 alexandrins intitulé Les internés de Sisteron[1]. Roussenq évoque les dures conditions de vie dans la citadelle où il est enfermé. Le parallèle avec son existence passée aux îles du Salut parait évidente tant les thèmes de la fatalité, de la violence, de la faim, de la promiscuité et de l’homosexualité aboutissent comme au bagne au rêve de liberté qui ici ne peut s’imposer dans le cadre du conflit mondial que par une paix retrouvée :
Quand le poids d’un passé qu’on croyait révolu s’attache à nos pas les prisons s’ouvrent seules
Chacun de nous s’était assis à l’une d’elles, dans les deux vastes salles où se prenaient les repas. Les assiettes blanches à fleurs, les couverts récurés à neuf, le menu bien ordonné, tout cela nous fit la meilleure impression. De jeunes éducateurs choyaient ce petit monde.
Les dortoirs aux petits lits blancs, recevaient le soleil par de larges fenêtres, lorsque nous les visitâmes, de même que l’infirmerie où se trouvaient quelques petits malades – qui eurent leur part de nos largesses… Là aussi, il y avait cinéma, terrain de jeux, etc… Lire le reste de cet article »
L’expérience de l’U.R.S.S. : Plus de gardes chiourme mais des éducateurs
A la fin du mois de décembre 1932, à bord du « Pellerin-de-La-touche », je faisais le voyage de retour.
Avec le Secours Rouge International, je fis un peu partout une série de conférences. Ma pauvre mère était morte au début de 1930. Cela m’avait beaucoup affecté, car je me retrouvais seul dans la vie. Ma jeunesse perdue était une chose que rien ne pouvait compenser.
Au mois d’août 1933, je fis partie d’une délégation ayant pour objectif un voyage d’études en Russie Soviétique. En ce qui me concerne, ce voyage dura trois mois. Quinze ans se sont écoulés depuis. Je pense qu’une relation compète de mes impressions, dans le cadre spécialisé de ces pages, ne saurait être opportune. Je tiens, cependant, à signaler les belles réalisations opérées là-bas dans l’ordre pénitenciaire. Lire le reste de cet article »
Sisteron, juin 1942. Les écrits de Roussenq (1885-1949) ressemblent à cette vie houleuse et souffrante que le réfractaire a pu endurer. Mais là où on aurait pu le croire, fini, cassé, brisé, il n’en fut rien. Celui qui n’était plus un homme mais un bagne, comme il a pu le dire à Albert Londres en 1923, a su rebondir, retrouver vitalité et énergie ; il a repris une plume que le glorieux parti des travailleurs lui avait confisquée en le faisant revenir de Guyane en décembre 1932. C’est donc à la citadelle de Sisteron que l’Inco, une nouvelle fois prisonnier, donne une autre version de son enfer carcéral et colonial. Lire le reste de cet article »
« Exagérer en bien, comme les organes communistes de chez nous, et cacher le pire ainsi qu’ils le font, cela n’est pas révolutionnaire. Il faut voir les choses telles qu’elles sont, sans plus. »
Heureux qui comme Paul Roussenq (1885-1949) a fait un beau voyage … C’est peu dire que, durant l’entre-deux guerres, l’URSS fascine et interpelle tous les imaginaires politiques, chacun y trouvant son compte, y puisant un argumentaire partisan ou critique. Quoi de mieux alors pour se rendre à l’évidence que d’aller y faire un tour ? Le périple de Roussenq en 1933, à l’initiative du Secours Rouge International, a duré presque quatre mois. Son récit, publié deux ans plus tard aux éditions de La Défense, doit édifier le prolétariat français sur la grandeur de l’œuvre accomplie au pays des soviets ; il doit révéler que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Un monde dirigé par le meilleur des camarades qui soit et où le culte de la personnalité coïncide depuis 1929 avec le lancement du premier plan quinquennal. Mais on ne dupe pas une œil qui a vu l’horreur carcérale et coloniale. Le parti communiste réécrit Roussenq ? Mais l’ancien bagnard Roussenq est tenace, incorrigible, réfractaire à tous les totalitarismes. Roussenq l’anarchiste réécrit ses souvenirs du beau voyage à sa façon ! Cette seconde version, publiée dans le journal Terre Libre diffère quelque peu du dogme officiel en vigueur en URSS. Pour la première fois, les éditions de LA PIGNE proposent la réunion des deux textes du périple. Vous allez voir la construction du socialisme dans un seul pays. Vous allez voir aussi ses errements dont on sait aujourd’hui combien ils furent tragiques. très prochainement chez vous. Lire le reste de cet article »
Rénovation pénitentiaire ? Parce qu’il est le dernier maillon d’une longue chaîne répressive qui a pour but l’éloignement, l’éviction ou plutôt l’élimination du criminel, le bagne ne pouvait aboutir qu’à un échec patent. Et si, dès sa création en 1854, il a su résister aux nombreuses critiques, c’est bien qu’il correspond parfaitement aux principes de préservation sociale et d’exemplarité qui fondent le système pénal français. Louis Rousseau s’attache alors à montrer dans le dernier chapitre de son ouvrage une organisation d’ensemble régie par la loi du talion. Le délinquant doit alors souffrir et faire repentance. Lire le reste de cet article »
Gare aux faux pas ! Effet papillon ou théorie des dominos peu importe. Un fatal battement d’ailes ou un malencontreux écart qui fait basculer une des pièces du jeu. L’effet papillon à la mode Roussenq, c’est un quignon de pain. Oui, un simple bout de pain dur peut vous pourrir la vie ! Le jeune plouc du Midi aurait du le savoir. Foutu caractère ! L’Inco est né le 18 septembre 1885. La vigne a ses prolos à Saint Gilles du Gard. Les Roussenq en font partie. Lire le reste de cet article »