1987 – « À Montrochet, les schismes passent, les anars restent »

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Roger Chambard, trente-huit ans, postier, est anarcho-syndicaliste. Au terme d’une longue (et mouvementée) histoire syndicale, il a fondé la section CNT (Confédération nationale des travailleurs) du centre Montrochet. C’était en 1985.
– Vingt ans avant, il rentre aux Chèques postaux et à la CGT. « J’avais dix- sept ans, mon père était cégétiste critique. Toutes les semaines, à la maison, on lisait la Vie ouvrière. Dans mon service, 95 des 100 agents adhéraient à la CGT. Alors… »
«En 1968, je n’ai eu que le temps de participer à l’occupation avant de filer au service militaire. Retour aux PTT, dans le syndicat, c’était l’épuration. Les camarades qui avaient fait partie des comités d’action étaient dénoncés, exclus. Je suis parti.»

Roger Chambard n’est pas resté longtemps dans la nature. En 1971 il rejoint la CFDT, à l’époque où, dit-il, « Edmond Maire ressemblait à un anarcho-syndicaliste et où l’autogestion n’était pas, chez les cédétistes, un slogan bidon ». La CFDT de Lyon-gare se fait remarquer par ses prises de position « contre la bureaucratie syndicale » aussi bien que sur les problèmes plus directement politiques (les comités de soldats, l’opposition à la centrale de Malville) où elle dénonce la tiédeur de la Confédération. Le conflit culmine à l’automne 1977. La direction du syndicat exclura Roger Chambard avec toute la commission exécutive de la section PTT Lyon-gare par un vote ric- rac (48 % des postiers se prononçant contre).
Octobre 1978. le tri, pour l’essentiel, déménage à Montrochet. En même temps, une trentaine d’ex-cédétistes portent le SAT (Syndicat autogestionnaire des travailleurs) sur les fonts baptismaux. Pendant sept ans et demi. Chambard et sa cinquantaine de camarades seront dans tous les coups. Au transbordement principalement, qui « diffère d’autres services : on est tout le temps dehors, sur les quais, en groupe, avec un chef pour une équipe de six ou sept gars. On est réfractaire à la hiérarchie. Nous on ne copine pas avec les chefs. Les luttes sont très spontanées : quand y’en a marre, on monte sur un chariot, on gueule et on arrête le travail ». Le libertaire qu’est Chambard se fait un malin plaisir à citer la Croix qui écrivait : « L ‘encadrement dans les centres de tri est souvent digne de l’armée de terre. » Ces sept ans auront été durs : Chambard parle de «chasse aux militants », les sanctions pleuvent. Sans le parapluie d’un syndicat, reconnu représentatif, sans heures de délégation, sans autorisation officielle de négocier, ils se maintiennent, poursuivis pour diffusion de tracts, connaissent les mutations d’office. Sept ans de guérilla, qui usent les militants. « La SAT, c’était pas un syndicat comme les autres, c’était pas l’assurance », commente Roger Chambard. En mars 1985, à l’unanimité, les adhérents décident de son autodissolution. Le groupe se scinde en deux. Un tiers de ses membres, ceux qui font référence à l’anarcho-syndicalisme, lancent en juin suivant la CNT. Chambard, bien sûr, est de ceux là.
A côté de ses activités syndicales, il s’occupe en bénévole du rayon enfants de la librairie La Gryffe. « Les livres, c’est important, il faut leur en donner le goût quand ils sont petits. » L’entretien se termine. Roger Chambard doit amener sa fille au cours de danse. Les anarchistes, il n’y en a pas un sur cent, mais pourtant ils existent, encore.
Gérard MILHES

Libération, 12 janvier 1987

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