Hasta siempre mi hermano ! José Germinal Sanchez (Baza, Andalousie 1936 – Lyon 2000)

Germinal Sanchez nous a quitté, en juillet 2000, vaincu par un cancer. Fils de la révolution espagnole, comme il aimait le dire, Germinal était né en 1936. Il a suivi son père en adhérant à la CNT et il était un des animateurs de la CNT espagnole, à Lyon. Il a accompagné le mouvement libertaire lyonnais pendant tout ce temps et a fait le lien avec les « vieux » de la CNT espagnole.Germinal n’était pas un théoricien, non, simplement un militant qui avait la CNT dans ces tripes. Germinal nous manquera. Hasta siempre mi hermano !

1997-03-Germinal-et-Suzanna

J’ai connu Germinal quelques semaines après mon arrivée en France, c’est-à-dire fin 1975.

J’avais alors 21 ans. J’avais lu déjà une quantité d’articles et quelques livres sur l’histoire de la  » révolution espagnole de 1936-1939  » mais n’avais jamais encore eu la possibilité de rencontrer quelques-uns des acteurs de cet événement emblématique pour l’histoire de l’anarchisme. Lors de mon arrivée en France, les cénétistes lyonnais étaient encore assez actifs, et la mort de Franco survenu à la fin de cette année-là, allait leur donner un nouveau souffle et énormément d’espoirs quant à l’avenir de l’Espagne et de l’anarchisme dans ce pays.

Ce fut avec un grand enthousiasme que je me rendis dès que possible à une des réunions qui tenaient les militants de la CNT espagnole dans une salle du Palais de travail à Villeurbanne. C’est là, que parmi les autres compagnons (il n’y avait pas de femmes) je rencontrais Germinal pour la première fois. Il était le plus jeune de ces anarquistas ibéricos dont certains avaient participé à la révolution. Les approcher ce fut extraordinaire pour le jeune anarchiste que j’étais puisque je pouvais finalement m’adresser à des personnes ayant participé à une histoire que je considérais (alors) comme étant le chemin à suivre…

Germinal était né le 2 juillet 1936 à Baza en Andalousie, d’une famille paysanne très pauvre. Son père devenu maçon était l’aîné de dix-huit enfants… celui-ci commence à fréquenter les jeunesses libertaires très tôt, et devient un activiste. Il passe déjà quelque temps en prison en 1933 suite à une dure grève paysanne. Il joue ensuite un rôle important dans son village les premiers jours après le 19 juillet 1939. Puis, il s’enrôla dans l’armée républicaine et sa rend au front ou un éclat de grenade le blesse gravement. Suite à cette blessure reste hospitalisé un an et une cicatrice profonde reste à jamais gravée sur son front.

Á la fin de la guerre civile, il tente de quitter l’Espagne mais il est arrêté et condamné à deux fois la peine de mort, commué finalement à dix-huit ans. Il appelle Germinal son troisième enfant, mais sur le registre de naissance il est marqué José sur une tâche couvrant le nome Germinal… L’histoire de Germinal est celle d’un de ces fils de militants dévoué corps et âme à la révolution rédemptrice. Avec l’instauration de la dictature militaire et l’arrestation de son père sa famille va vivre dans le dénouement. Il ne fréquente pas d’écoles, et tout petit se rend avec se frères et sœurs à la gare de Madrid où la famille s’est transférée pour être plus près de la prison où est incarcéré leur père, pour ramasser les restes de fruits abandonnés. Á dix ans il commence à travailler dans un salon de coiffure en faisant des petits boulots et rapporte à sa mère les quelques centimes reçus en échange. Vers ses douze ans il est enfin embauché chez un poissonnier où il apprend ce métier.

Lorsque son père sort de prison se rend au Maroc où la famille va le suivre. C’est ici que Germinal en 1956 va connaître pour la première foi l’existence de la CNT espagnole et que son père est anarchiste. Jusqu’à ce moment-là il savait seulement que son père avait été en prison à cause de la  » guerre civile « . C’est un des militants de la CNT-E, un certain Salsedo qui signait Quisquiglia des papiers dans le journal CNT, qui lui apprend à lire et écrire. C’est donc depuis l’âge de vingt ans que Germinal suit les activités de celle qui devient sa  » famille « : la CNT. Salsedo lui apprend en même temps le travail d’horloger. Il se marie au Maroc en 1959, puis se rend chez des parents de sa femme en Algérie, de 1960 jusqu’à la libération de ce pays. Ici ne rencontre pas d’autres anarchistes. Mais lorsque de nouvelles circonstances l’obligent de partir, il choisit de venir en France. Il se rend tout d’abord dans la  » seule maison que j’avais en France, m’a-t-il dit un jour, c’est-à-dire au 4, rue de Belfort à Toulouse. Le siège de la CNT et le lieu d’où arrivaient nos journaux « . Ensuite il arrive à Villeurbanne. C’est l’année 1962. Depuis, il travaille d’abord trois ans dans deux usines différentes, ensuite vingt-deux ans , jusqu’à sa préretraite dans une troisième.

Père de quatre enfants, il divorce au milieu des années 80 et en 1986 se marie avec sa nouvelle compagne, Susanna d’origine équatorienne.

Lorsque je lui ai rendu visite une dizaine de jours avant son décès, à peine il m’a vu, il a levé le poing et s’est écrié:  » hasta la muerte! « . En arborant un sourire qui se voulait naturel je lui ai répondu  » hasta siempre! « . Lucide il savait qu’un cancer l’avait mordu jusqu’à l’os et que seulement un  » miracle  » pouvait lui permettre de continuer à rêver de faire une révolution. Plus exactement la  » révolution  » anarchiste qu’il espérait voir éclore un jour.

Il avait vécu 1936 dans les bras de sa mère et en 1968 était un peu hors course puisqu’il vivait pratiquement dans l’îlot cénétiste des  » vieux compagnons espagnols « . C’est, cette même année-là, qu’il découvre les drapeaux noirs de  » l’anarchie française « , et d’autres jeunes militants anarchistes, fils d’espagnols comme lui avec qui il va tenter de redonner vie à une CNT française.

Entre temps il s’engage syndicalement dans son lieu de travail, parce que m’avait-il précise:  » ça paraît impensable qu’un type qui se dit syndicaliste révolutionnaire, anarcho-syndicaliste et qu’il ne soit pas syndiqué  » même si les syndicats s’appellent CGT ou CFDT. En fait pendant quelque temps il a eu jusqu’à trois cartes syndicales. Celle de la CGT, de la CNT en exile et de la CNT française. Plus concrètement étant le  » rouspéteur numéro un  » dans son usine de moins de cent salarié, il va être élu régulièrement délégué du personnel pendant quatorze ans.

Il ne fréquentera les  » jeunes anarchistes  » français qu’à après que Gemma Failla et moi-même nous ne le rencontrâmes plusieurs fois chez lui au milieu des années 1970. Il vient pendant quelques années régulièrement aux réunions au local historique du renouveau anarchiste lyonnais, le fameux  » 13 rue Pierre-Blanc « . Il nous aide à le retaper, et participe à la vie du Collectif et de la coordination libertaire sans jamais oublier les compagnons de la CNT-E qu’il appelait  » mes vieux « . C’est ce dernier engagement qu’il a tenu jusqu’à ce moi de juillet 2000.

Fils d’un militant ouvrier, ouvrier lui-même, syndicaliste et porteur d’un imaginaire d’une ancienne culture prolétaire, lorsqu’on se rencontrait nos discussions s’alimentaient d’un débat généreux autour des possibilités de changer le monde, de la problématique autour de la condition ouvrière aujourd’hui et de ce qu’elle nous permettait d’espérer, à lui l’anarcho-syndicaliste par filiation et militant syndicaliste par conviction, et moi libertaire ou anarchiste fréquentant et vivant dans le monde alternatif croix-roussien. Notre culture et nos conditions étaient différentes, mais l’enthousiasme et la passion que l’un et l’autre d’entre nous exprimions vis-à-vis de l’anarchie nous faisait sentir de frères.

Germinal était donc idéalement mon frère majeur. Pour moi, et je pense que pour un certain nombre d’autres anarchistes lyonnais, représentait ce lien idéal avec l’anarcho-syndicalisme historique et le monde ouvrier d’aujourd’hui. C’était un de ces anarchistes de cœur et de passion pour qui la raison critique jouait ces tours de pessimisme le conduisant à ne plus reporter tous les espoirs sur ses  » frères de classes « , les ouvrières qui désormais ne rêvent pas ou plus de faire une révolution leur permettant de s’émanciper. Ce dont Germinal était conscient et ce pour quoi, parfois, il leur en voulait. En fait, il ne pouvait pas accepter leur passivité…

Germinal avait essayé de s’émanciper. Il l’avait fait autant qu’il l’avait pu grâce aux activités syndicales, avec ces  » vieux compagnons de l’exile « , dans son quotidien en goûtant pendant quelque temps un peu le mode de vie  » alternative « , et puis encore à travers les relations qu’il avait avec tous ses ami-e-s et Susanna qui a été pour lui, une amie, une compagne et un aide jusqu’à la fin. Susanna pour qui nous avons une pensée toute particulière.

Perdre un frère c’est très douloureux…  » hasta siempre mi hermano « !

Germinal

Mimmo Pucciarelli
septembre 2000
Article paru dans la revue la Griffe d’octobre 2000

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