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Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur
Introduction
Le genre biographique correspond au travail que nous voulions entreprendre sur Alexandre Jacob. Mais, au-delà de la simple vie d’un homme, cette étude nous conduit à l’analyse de phénomènes plus larges. Pour Sébastien Faure, dans l’Encyclopédie anarchiste, « quiconque nie l’autorité et la combat est anarchiste ». La vie d’Alexandre Jacob peut alors s’inscrire dans une tranche d’histoire sociale et politique, une vision particulière de l’anarchisme si l’on considère qu’il y a donc autant d’anarchies que d’anarchistes.
Dans la biographie qu’il écrit en 1950, Alain Sergent dresse le portrait atypique d’un homme qui défraya la chronique judiciaire en 1905 du fait d’un grand nombre de cambriolages perpétrés au nom de l’idéal libertaire, et survécut à une vingtaine d’années de bagne. Alexandre Jacob, 1879-1954, n’est ni le premier ni, comme a pu l’écrire Jean Maitron, « le dernier des grands voleurs anarchistes ». Bien avant lui, Clément Duval, en 1886, et Vittorio Pini, en 1887, ont usé de la pince monseigneur suivant les recommandations du congrès de Londres de 1881 qui affirmait qu’« en sortant du terrain légal [...] pour porter notre action sur le terrain de l’illégalité, qui est la seule voie qui mène à la révolution, il est nécessaire d’avoir des moyens qui soient en conformité avec ce but ». D’autres ont suivi l’exemple donné par Duval, Pini ou encore Jacob. Mais tous n’ont pas en revanche assumé et revendiqué leurs actes délictueux. Tous n’ont pas exposé aussi leurs principes politiques à l’occasion de leur procès respectif. Alexandre Jacob et la bande des Travailleurs de la nuit ne sont pas non plus les derniers à franchir le pas de l’illégalisme anarchiste. Jules Bonnot et les bandits tragiques ont soulevé en 1911 une vive émotion populaire, largement exploitée et mise en scène par la presse de l’époque.
Notre étude n’est pas la première à tenter d’approcher la vie de cet anarchiste illégaliste. Le journaliste Bernard Thomas, en 1970 puis en 1998, et l’avocat William Caruchet en 1993 ont commis chacun une biographie sur le personnage. Tous deux reprennent à leur compte les informations données à Sergent par Jacob lui-même. Ce dernier accepte en effet, après avoir refusé maintes propositions, dont celle de son ami Pierre Valentin Berthier, de narrer son étonnant parcours à un homme reconverti dans l’écriture après l’expérience douloureusement vécue de l’épuration. Alain Sergent, de son vrai nom André Mahé, a milité au sein du Parti populaire français de Doriot, puis dans le Mouvement social révolutionnaire de Deloncle. Or, le livre de Sergent, écrit donc du vivant de Jacob, ne constitue en rien des mémoires ; il offre une vision particulière de l’anarchiste. Ceux de Thomas et Caruchet recomposent l’image de l’homme aux cent cinquante-six cambriolages avoués. De ces trois ouvrages se dégagent au total le mythe du voleur audacieux, romantique et joyeux, de l’efficace et ingénieux chef de bande, du bagnard courageux qui expie ses crimes loin de la métropole.
Dans tous les cas, l’anarchisme de Jacob passe au second plan. Cette idée est pourtant une constante chez Alexandre Jacob, dictant les faits, les gestes et la pensée d’un homme refusant le primat d’une société fondée sur les notions de pouvoir et d’autorité. Il est vrai que ni Sergent, ni Thomas et Caruchet n’ont la prétention d’offrir une approche historique d’Alexandre Jacob. Les trois biographes n’ont pas ainsi su ou voulu profiter des renseignements mis à leur disposition (archives privées et publiques, orales et écrites) pour tenter de saisir toutes les finesses d’un acte que d’aucuns cantonnent au seul fait de droit commun : le vol. Leur apport doit donc de fait passer sous les fourches caudines de la critique. Bien plus encore, leurs démarches visent à faire d’Alexandre Jacob le personnage d’un vrai roman pour reprendre le sous-titre de la réédition de la biographie de Bernard Thomas en 1998. Jacob est certainement plus qu’un simple aventurier.
Le brigandage politique n’est pas l’apanage de l’anarchie. D’autres idées, d’autres autres mouvements, d’autres partis ont usé de cette pratique. Alain Sergent rappelle, à ce titre dans sa biographie de Jacob, le braquage de la banque de Tiflis perpétré par Staline pour financer l’activisme bolchevique en Russie. Mais les anarchistes ont théorisé l’appropriation frauduleuse des biens d’autrui, ont développé le principe d’une reprise individuelle, juste et révolutionnaire. Tous n’approuvent pas cette orientation. Loin s’en faut. Mais force est de constater que le débat est, dès l’origine, ouvert sur l’illégalisme. Il nous faut ainsi considérer Alexandre Jacob comme le fait Jean Maitron, c’est-à-dire comme le « cas témoin » d’une branche de l’anarchie qui eut, après les lois scélérates de 1893-1894, de nombreux partisans. Une approche du banditisme social, une histoire du vol politique, une analyse de la reprise individuelle ne peut alors effectivement se concevoir que d’une manière parcellaire et lacunaire. L’illégalisme s’est toujours conjugué par définition avec le principe de précaution. De là, l’absence ou l’aspect critique des sources et en particulier de celles émanant de la police. Il est vrai que le « cas Jacob » associe le fait de droit commun à l’idée politique.
La vie d’Alexandre Jacob fut en tout point particulière, originale, extraordinaire. De toute évidence, il ne laisse pas indifférent. Comment peut s’exercer cette force d’attraction, observable par exemple lors du procès d’Amiens et qui, visiblement, se poursuit après sa mort ? C’est aussi ce qui nous a conduit à nous intéresser à cet homme aux multiples facettes. Encore convient-il de le replacer dans le contexte de son époque. Encore convient-il de ne pas oublier qu’il peut nous donner un aperçu de l’évolution du mouvement anarchiste de par son parcours et de par les réseaux qu’il a pu entretenir. Nous proposons de fait une approche politique et sociale d’Alexandre Jacob, là où nos prédécesseurs ont opté pour la narration romancée d’une vie, quitte à édulcorer l’engagement et les convictions d’un homme. Tout au long de nos recherches, nous nous sommes aperçus du primat donné aux idées anarchistes par ce dernier. Jacob a toujours vécu en anarchiste, milité pour la cause, pensé et écrit en anarchiste. Comment cet idéal peut-il marquer sa vie de voleur, sa vie de bagnard, sa vie de marchand forain ? Comment Alexandre Jacob assume-t-il ses actes et en supporte-t-il les conséquences ? Quelle place doit-on finalement lui accorder dans l’histoire d’un mouvement politique, caractérisé par la multiplication des tendances et soudé par le refus de l’autorité ? Car Alexandre Marius Jacob est certainement plus que l’acteur « héroïque » d’un moment, d’une « épopée » comme a pu l’écrire Alain Sergent.
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