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Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur
Un article de Paco sur le Mague

Une imposante biographie d’Alexandre Jacob vient d’être publiée par l’Atelier de création libertaire. Pour remettre à l’heure quelques pendules.

Plusieurs biographes se sont intéressés au turbulent Alexandre Jacob (1879-1954). Citons Alain Sergent qui publia, en 1950, après une série d’entretiens avec l’intéressé, son livre Un Anarchiste de la Belle époque (réédité par les éditions Libertaires en 2005). Citons l’avocat William Caruchet qui, en 1993, publia Marius Jacob l’anarchiste-cambrioleur, préfacé par Alphonse Boudard, aux éditions Séguier. Citons enfin le journaliste Bernard Thomas qui sortit Les Vies d’Alexandre Jacob, en 1998, chez Fayard.
Aucune de ces approches ne satisfait Jean-Marc Delpech, professeur d’histoire-géo dans les Vosges. « Dans tous les cas l’anarchisme de Jacob passe au second plan. Cette idée est pourtant une constante chez Alexandre Jacob, explique l’auteur qui a par ailleurs soutenu une thèse de doctorat sur l’illégaliste en juin 2006 à l’université de Nancy. Les trois biographes n’ont pas su ou voulu profiter des renseignements mis à leur disposition pour tenter de saisir les finesses d’un acte que d’aucuns cantonnent au seul fait de droit commun : le vol. Leurs démarches visent à faire d’Alexandre Jacob le personnage d’un vrai roman. Jacob est certainement plus qu’un aventurier… »
Jean-Marc Delpech se dresse contre la légende suggérée par Alain Sergent. Elle fait de Jacob l’inspirateur de Maurice Leblanc pour la création du personnage d’Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur. Le premier épisode du feuilleton de Leblanc, L’Arrestation d’Arsène Lupin, est publiée dans Je sais tout le 6 juillet 1905. Deux jours plus tôt, Alexandre Jacob était condamné aux travaux forcés. Simple coïncidence. Le parallèle, osé, entre un adepte de la reprise individuelle et le héros d’un chroniqueur mondain fonctionne pourtant à merveille et les médias s’en emparent à chaque occasion télévisuelle ou cinématographique. Télé 7 jours, Femme actuelle, l’Humanité dimanche, Ici Paris et parfois la presse libertaire… ont colporté à l’unisson le raccourci qui unirait les deux Robin des Bois de la Belle époque.
Un détail, et pas des moindres, est à noter. Si Arsène Lupin vole bien les riches, il garde le fruit de ces larcins pour lui et vit souvent dans le luxe. Alexandre Jacob et les Travailleurs de la nuit détroussent aussi les « parasites sociaux », mais pour redistribuer les richesses et soutenir la cause libertaire. À l’évidence Lupin et Jacob ne vivent pas dans le même monde. La police fut d’ailleurs surprise de découvrir que, malgré l’ampleur de leurs butins, les bandits anarchistes vivaient chichement, mangeaient dans des gargotes à deux sous… Qui imaginerait Lupin dans une auberge minable ? Tout ceci n’est pas exposé pour dévaloriser la vie extraordinaire d’Alexandre Jacob. Bien au contraire. Son désintéressement, sa haine de l’injustice, son sens du partage nous le rendent évidemment plus que sympathique.
Méfiant à l’égard des biographies antérieures, Jean-Marc Delpech s’est abondamment nourri avec les écrits d’Alexandre Marius Jacob rassemblés par les éditions L’Insomniaque en 2004. Une belle somme de 850 pages à laquelle il avait apporté sa contribution. Lire Alexandre Jacob dans le texte est une aventure captivante. Enrichie par de multiples documents patiemment collectés dans divers lieux (archives nationales et départementales, archives privées, journaux, correspondances, rapports de police, centre de recherches anarchistes, témoignages...), la savoureuse biographie de Jean-Marc Delpech nous fournit un accompagnement fidèle .
Jacob est né à Marseille. À onze ans, il fut mousse sur un bateau qui naviguait près des cotes de l’Afrique occidentale. À treize, il était novice timonier sur les grandes lignes Marseille-Nouméa. Balayeur, il était aussi devenu le « chien-chien de ses dames » (des protestantes aisées jamais en retard pour l’office du pasteur) qui lui suçaient tellement le tricotin qu’il en était parfois « malade jusqu’au sang ». Malgré ces gâteries, la vie était rude à bord. Jacob déserta à Sydney et embarqua sur un baleinier qui était en fait aux mains de pirates sanguinaires. Nouvelle désertion. Retour à Marseille. Rencontre avec l’anarchisme.
Devenu apprenti typographe, Jacob fut piégé par un agent provocateur qui lui fournira des explosifs… pour le dénoncer. Six mois de taule à la clé. À sa sortie, la police s’amusera à distribuer le CV du jeune rebelle à tous ses patrons potentiels. À dix-sept, Jacob est totalement grillé. Ses déboires professionnels et policiers vont accroître son envie d’en découdre avec l’autorité. Il embrasse alors l’illégalisme anarchiste.
Avec trois complices, Jacob commet à Marseille un acte audacieux le 31 mars 1899. Un larcin qui aurait pu être signé Arsène Lupin… Les comparses, déguisés en policiers, se présentèrent au Mont de Piété, faux mandat en main, pour effectuer une « perquisition » dans le cadre d’une vilaine affaire. Un curieux inventaire commença sous le nez du commissionnaire abasourdi. Une fois les objets délictueux emballés, les faux agents passèrent les menottes au commissionnaire et à son employé qui montèrent en voiture avec Jacob. Direction le palais de justice où le procureur les attendait... En vérité, une fois sur place, Jacob s’éclipsa en laissant les deux hommes se morfondre sur un banc. À la fermeture du tribunal, le commissionnaire dépité s’agita tant qu’un juge pressé le fit mettre en cellule ! Cette farce a fait rire le tout Marseille jusqu’aux larmes.
Rapidement, l’illégalisme de Jacob passa au stade industriel. Il avouera cent cinquante-six actes de reprise individuelle. Un chiffre sans doute en dessous de la réalité. Ses vols, revendiqués comme des actes politiques radicaux, désolèrent donc bien des demeures bourgeoises, des manoirs, des banques et des églises de Rouen à Abbeville en passant par Soissons, Paris, Amiens, Dreux, Le Mans, Cherbourg, Bourges, Cholet, Niort, Tours... Vive la décentralisation ! Une association libre et mouvante accompagnait Jacob dans son entreprise de démolition, les Travailleurs de la Nuit. Ce que la presse nomma les quarante voleurs. Mais nous n’avons pas affaire à des voleurs ordinaires. Les « déplacements de capitaux » opérés par Jacob et ses ami-e-s profitaient notamment à la presse anarchiste, à l’entraide, au soutien des familles de militants détenus en prison ou au bagne, aux miséreux.
Arrêté le 23 avril 1903, Jacob se retrouvera devant la cour d’assises d’Amiens. Le procès se déroula du 8 au 22 mars 1905. Quinze jours de débats pour vingt-trois accusés qui attisaient la curiosité de la presse. La grande variété des pièces à conviction laissait entrevoir l’ingéniosité des artisans insomniaques. Jacob utilisait par exemple des parapluies ouverts pour percer les planchers. Ainsi, les gravas ne risquaient pas d’alerter les voisins en tombant. Jacob n’était vraiment pas un client docile. Accusé, il accusait. Ses railleries et son impertinence mettaient les rieurs de son côté. Il déployait aussi toute son éloquence pour démontrer l’innocence de ses compagnons en prenant sur lui tous leurs crimes.
Les douze jurés picards condamnèrent Jacob l’espiègle aux travaux forcés à perpétuité. Félix Bour eut le même sort. Au total, sept membres de la « bande sinistre » seront condamnés à finir leurs jours au bagne. Aucun des accusés ne fut condamné à mort, mais on sait que l’espérance de vie d’un bagnard dépassait rarement cinq ans… Dans une autre affaire jugée à Orléans, en juillet 1905, Jacob écopa en prime de vingt ans de travaux forcés. Le transporté matricule 34777 embarqua finalement le 22 décembre 1905 à Saint-Martin-de-Ré pour la Guyane où il débarqua le 13 janvier 1906.
Devenu forçat, Jacob ne désarmait pas. Il survivra pendant dix-neuf ans aux îles du Salut. Il donnera bien du fil à retordre à l’administration pénitentiaire à qui il offrira même quelques leçons de droit. Rebelle inflexible, Jacob passa au moins quatorze fois devant la commission disciplinaire et connaîtra punitions et cachots pour diverses entorses aux règlements inhumains et pour ses tentatives d’évasion. Profitant de sa connaissance des lois, il sera aussi souvent l’interprète et l’avocat de ses compagnons.
Soutenu avec ardeur par sa mère, Marie Jacob, par les défenseurs des droits de l’Homme, par Albert Londres, par Louis Rousseau (ancien médecin du bagne guyanais), par Le Peuple (organe de la CGT)... Jacob fut gracié par le président de la République Gaston Doumergue le 8 juillet 1925. Sa peine de travaux forcés à perpétuité fut commuée en une peine de cinq ans de réclusion à purger en métropole. Direction Fresnes d’où Jacob sortira finalement le 30 décembre 1927.
Libre, Jacob va régler une partie de ses comptes avec l’administration pénitentiaire en aidant son ami Louis Rousseau à publier un document accablant sur les bagnes coloniaux. L’ancien bagnard fournira au médecin retraité une multitude d’informations dramatiques pour son livre Un médecin au bagne qui sortira en 1930 aux éditions Fleury.
Devenu marchand forain, Jacob resta libertaire. Parmi ses relations et amis, on comptait d’autres forains anars, Eugène Dieudonné (ancien bagnard anarchiste défendu par Albert Londres), May Picqueray, Eugène et Jeanne Humbert, Léo Malet, Pierre-Valentin Berthier... Il correspond avec Jean Maitron, l’historien de l’anarchisme français, à qui il confie ses « souvenirs rassis ». Il devient aussi l’ami du journaliste humaniste Alexis Danan. De 1931 à 1950, Jacob promène son barnum et voyage entre foires et marchés. Montrichard, Blois, Amboise, Valençay, Romorantin, Vierzon, Issoudun... voient passer la Maison Marius qui vend lingerie, confection et bonneterie en tout genre. Lors d’une tournée à Orléans, l’ancien illégaliste croisera par hasard l’agent Couillot sur lequel il avait tiré en 1901. L’agent, monté en grade, demandera une ristourne au forain !
Voulant vivre dignement jusqu’à son dernier souffle, Jacob avait programmé sa mort. Redoutant la déchéance et la dépendance, le vieil homme au visage buriné par l’intelligence tenait à mourir comme il avait vécu, en homme libre et conscient, en anarchiste. L’amour va venir repousser ses plans. À soixante-quatorze ans, Alexandre va flasher sur Josette, une femme de vingt-six ans, épouse d’un jeune anarchiste qui avait découvert Alexandre Jacob grâce au livre d’Alain Sergent. Le mari ne connaît pas la jalousie et savait que cet amour intense, quasiment adolescent, maintenait le vieil anarchiste en vie.
Jacob l’insoumis s’était installé à Reuilly, dans l’Indre, en 1939. C’est là qu’il sera enterré le mardi 31 août 1954. Son suicide date du 28 août et colle à un scénario prévu depuis longtemps. Jacob s’est procuré de la morphine et a acheté du charbon de bois pour produire le monoxyde de carbone qui l’emportera avec Négro, son vieux chien. Avant de partir, il offrira un petit banquet d’adieu à neuf enfants pauvres du Bois-Saint-Denis. « Ils s’en sont mis plein la lampe. Trois ont même laissé du gâteau semoule nappé de crème anglaise, écrit-il dans la dernière lettre qu’il adresse à sa jeune amoureuse. Je sais que mon souvenir te sera cher, vivant. Je t’ai aimée comme je n’avais encore jamais aimé. Tu m’as donné plus que je ne t’ai offert. Ma dernière vision sera ta jolie frimousse rieuse et riante aux yeux brillant d’amour et de tendresse. »
Une note pleine d’humour (noir...) était également destinée à deux amis. Quelques conseils pratiques pour les dernières formalités. « Pour le constat de décès, faites appeler ce brave docteur Appart. N’ayant encore jamais ressuscité personne, j’aime à croire qu’il n’innovera pas avec moi. Amen. Linge lessivé, rincé, séché, pas repassé, j’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé ! » La mort d’Alexandre Jacob, bien qu’attendue par ses proches, provoqua une immense peine. Écrivant à Josette et à son mari, Louis Rousseau les invita à conserver le souvenir de ce « parfait honnête homme » qui a été honoré depuis par son village. Une voie Marius Jacob a en effet été inaugurée le 25 octobre 2004 à Reuilly. Une impasse...
Pour conclure, loin de l’anecdote, rappelons-nous une déclaration faite par Jacob devant les assises, en 1905. Face à ses juges, l’insolent cambrioleur anarchiste lança : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. » Une formule à méditer en ces temps de guerre sociale où les puissants oisifs et autres parasites sociaux s’acharnent à vampiriser chômeurs, travailleurs et retraités honnêtes.
Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur – Portrait d’un anarchiste (1879-1954) , Atelier de création libertaire, 546 pages. 24€.
Pour prolonger votre rencontre avec Alexandre Jacob, il est chaudement recommandé d’aller roder sur le blog que Jean-Marc Delpech consacre à l’honnête cambrioleur
Complément indispensable, lisez aussi Les Ecrits d’Alexandre Marius Jacob édités par L’Insomniaque, 850 pages. 25€ (CD des Travailleurs de la nuit inclus comprenant 12 chansons pour Alexandre Jacob).

L’article original se trouve ici :

http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article4979