Une heure avec Ronald

Ne manquez pas l’occasion de passer une heure avec Ronald Creagh, grâce au documentaire de Michèle Rollin, Ronald Creagh, une essence de l’utopie, diffusé par viàVosges.
Que vous ayez ou pas la chance de connaître Ronald, vous passerez un moment sympathique, enjoué, stimulant, plein de vitalité. Quelques minutes suffiront pour que vous vous demandiez si vous avez bien compté et si Ronald a vraiment l’âge que lui donne son état-civil.
De ma première rencontre avec Ronald, j’ai gardé un souvenir très précis. J’étais une jeune maman qui venait de terminer son travail de doctorat, dont la bibliographie mettait en bonne place son ouvrage sur les laboratoires de l’utopie. Contrairement à mes enfants que je n’ai pas pu empêcher de grandir, Ronald me donne le sentiment que le temps ne s’écoule pas, ou alors si lentement, car je le vois toujours identique à ce lui-même d’il y a maintenant une bonne vingtaine d’années.
C’est ce Ronald que je connais le mieux, d’autant plus que depuis dix ans j’ai la chance de le fréquenter un peu plus souvent à Montpellier où il habite. Je connais bien aussi l’histoire de son enfance à Port-Saïd. Nous avons en effet souvent parlé de cette grand-mère sicilienne, de sa formation multiculturelle en Égypte, jusqu’à ce que je parvienne à le convaincre d’en faire un texte, qu’on peut lire maintenant dans le recueil Sur Brassens et autres « enfants »d’Italiens (2017).
Le documentaire de Michèle Rollin éclaire sur la jeunesse de Ronald au séminaire. Le film s’ouvre sur son bonheur de redécouvrir cet endroit que Ronald nous ferait presque passer pour un petit paradis, avec son grand jardin et ses chambres spartiates, tant est grand son art des mots et son souci de ne pas blesser son hôte, le père supérieur de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie qui lui ouvre les portes de l’établissement. Mais on comprend qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il a eu faim et froid dans ces cellules privées du moindre confort.
C’est quasiment sous le sceau du secret, à un moment où seul son cercle d’ami.es proches connaissait cet épisode de sa vie, que, sachant que c’était ma région d’origine, Ronald m’avait parlé de sa prêtrise en Lorraine sidérurgique. Comme à Port-Saïd, il y a retrouvé l’immigration italienne. Si mes calculs sont bons, à quelques mois et kilomètres près, Ronald aurait pu présider à mon baptême. Puisque les voyages de retour de Michèle Rollin et Ronald Creagh ne passent pas par la Lorraine, il m’apparaît maintenant comme une évidence qu’il me faut demander à Ronald de témoigner sur les contacts qu’il a établis là-bas.
Grâce au vivant témoignage de son amie Marie-Jeanne Marsat et aux photographies ressorties des tiroirs, tout ce pan de la vie de Ronald apparaît dans sa logique avec sa vie d’après. Les envies d’en savoir plus se multiplient : pourquoi avoir cessé de jouer du violon ? Que diable pouvait-il interpréter en compagnie de son collègue accordéoniste en soutane ?
Michèle Rollin a bien su nous montrer Ronald sous (presque) toutes ses nombreuses facettes grâce à son jeu sur les gros plans, très gros plans, plans d’ensemble (au séminaire, sur les bords de Seine, à Palavas-les-flots), plans américains (devant le Caveau de la Huchette). Elle nous fait comprendre aussi, avec un clin d’œil de sa caméra, que Ronald a participé à la réalisation, notamment lorsqu’il propose de cacher la caméra pour pouvoir entrer dans la cour de la Sorbonne, où les images tournées sont sans doute des images « volées ». Elle nous montre aussi Ronald spécialiste de civilisation américaine et de l’anarchisme aux États-Unis. On le voit alors en plan rapproché avec fonds noir, comme dans les documentaires les plus conventionnels, parler de ses recherches et des communautés aux États-Unis.
L’insertion des images du films sur la communauté Twin oaks, même si elles illustrent bien les études menées par Ronald, ne reflète guère la façon dont il applique à son existence ses principes anarchistes. Comme le dit très bien son vieil ami Manfredonia, approuvé aussi par ses mains filmées en gros plan – encore un clin d’œil de la réalisatrice –, Ronald n’érige pas sa pensée en dogme. Il a construit sa communauté par affinités, avec ses amis du monde entier, une communauté qui continue d’évoluer et qui s’enrichit de personnes qui lui sont chères. Malgré le rythme effréné qu’il s’impose pour écrire ses textes et répondre aux sollicitations, à toutes il sait apporter soutien et conseils.
Régulièrement, Ronald affirme qu’il traverse actuellement les années les plus heureuses de son existence. Ainsi, quelle bonne idée d’avoir tourné les images parisiennes en hiver et les images languedociennes en été. Baigné par le soleil, Ronald chante de sa plus belle voix Bella ciao, sans doute pas un chant anarchiste mais tout un symbole.

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L’histoire de l’anarchisme italien est liée, par bien des aspects, à l’histoire de l’émigration italienne. Malatesta lui-même a passé une bonne partie de son existence hors d’Italie, en Amérique du Sud et à Londres (mais aussi en Égypte et ailleurs), avant son retour rocambolesque en Italie en 1919, et il était en contact avec des militants répartis aux quatre coins du monde. Le fil conducteur choisi pour ce blog offre donc un vaste champ d’investigation. Ce sera la seule contrainte que nous nous imposerons : nos « conversations » auront toutes pour point de départ les vicissitudes des anarchistes italiens dans le monde et aborderont, au fil de l’actualité, de l’humeur, peut-être aussi des réactions et des demandes des lecteurs, des sujets variés, que nous illustrerons si possible de photographies, documents d’archives, correspondances, textes traduits de l’italien…

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