La Cecilia en rouge et or

internoscalaRouge, noir et or, le décor du Teatro alla Scala de Milan. Blanches et noires, les chevelures et les barbes des personnages qui apparaissent à l’écran, l’empereur du Brésil et l’anarchiste, vétérinaire et agronome, Giovanni Rossi. On n’a pas lésiné sur la symbolique des couleurs pour cette scène d’ouverture du film de Jean-Louis Comolli, La Cecilia, 1976, une scène qui n’a jamais existé dans la réalité (et on peut maintenant reconstruire la manière dont s’est créée la légende) mais qui donne, à sa façon, la mesure de l’enthousiasme et de l’implication de Rossi pour la réalisation de son projet de communauté agricole anarchiste.
Ellipse, puis le film reprend avec l’arrivée des pionniers sur le site où va se dérouler l’expérience de « socialisme expérimental ». Commence alors réellement l’histoire de la Cecilia, certes encore un peu romancée et adaptée car, malgré les recherches effectuées par l’équipe du film, dont témoigne le dossier publié alors, certains documents ont fait défaut (par exemple le premier compte rendu publié par Rossi, sans doute moins connu car publié en dehors des circuits anarchistes, par les soins du géographe, républicain et libre penseur Arcangelo Ghisleri).
Parmi les spectateurs, ceux qui ont animé les communautés des années soixante et soixante-dix (comme Comolli lui-même qui fait le lien entre son film et son expérience au sein de la rédaction des Cahiers du cinéma) partagent généralement les émotions et les questionnements des membres de la Cecilia : les moments d’euphorie lors des réalisations collectives (par exemple lors des premières semailles), mais aussi les discussions avec ceux qui affirment que leur liberté va jusqu’à laisser aux autres le soin de s’occuper des aspects matériels et des tâches ménagères…
Les images tournées dans les environs de Rome donnent une idée très fidèle de l’ampleur de la tâche à accomplir dans un milieu vierge d’activité humaine et la représentation des péripéties vécues par la « famille polyandre » qui se crée au sein de la Cecilia vient joliment ponctuer la marche de la colonie. Là encore on observe tout un jeu sur les couleurs, le vert tendre de l’herbe ou le brun orangé des feuilles, entourant le visage des protagonistes. Les plans obliques de plus en plus rapprochés, sont habilement illustrés par les dialogues tirés de textes de Rossi. Au centre de cet « épisode d’amour », Adele, rebaptisée Olimpia et interprétée par la chanteuse Maria Carta, sensible et chaleureuse à la fois, est aussi le personnage central du film, reflet de la vision moderne qu’a Rossi de la femme.
Le scénario « rajeunit » la Cecilia de quelques années : l’expérience communautaire y prend fin suite à la chute de l’Empire au Brésil – la République est instaurée en 1889, par le coup d’Etat militaire du 15 novembre – alors que les pionniers de la Cecilia ne s’installent aux environs de Palmeira (Paraná) que dans les premiers jours d’avril 1890. La Cecilia est dissoute en avril 1894 (Rossi l’avait déjà quittée en mai 1893) pour différentes raisons de tous ordres, économique, personnel, humain, conjoncturel… À l’époque, l’expérience a été beaucoup critiquée (par Malatesta notamment), mais pour Rossi elle ne s’est pas soldée par un échec sur le plan des idées. Le film rend bien compte, là encore, de la multiplicité des difficultés à surmonter mais aussi de la vitalité de l’idéal anarchiste que la Cecilia, à travers les critiques et au-delà, continue de symboliser.

Texte pour le calendrier du CIRA de Marseille, avril 2014

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L’histoire de l’anarchisme italien est liée, par bien des aspects, à l’histoire de l’émigration italienne. Malatesta lui-même a passé une bonne partie de son existence hors d’Italie, en Amérique du Sud et à Londres (mais aussi en Égypte et ailleurs), avant son retour rocambolesque en Italie en 1919, et il était en contact avec des militants répartis aux quatre coins du monde. Le fil conducteur choisi pour ce blog offre donc un vaste champ d’investigation. Ce sera la seule contrainte que nous nous imposerons : nos « conversations » auront toutes pour point de départ les vicissitudes des anarchistes italiens dans le monde et aborderont, au fil de l’actualité, de l’humeur, peut-être aussi des réactions et des demandes des lecteurs, des sujets variés, que nous illustrerons si possible de photographies, documents d’archives, correspondances, textes traduits de l’italien…

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