Déclassement et révolution chez Bakounine
Mon précédent billet sur le livre de Claire Auzias m’a fait prendre conscience que je n’avais pas encore mis en ligne ma contribution au volume coordonné par le collectif d’animation du CIRA (Centre International de Recherches sur l’Anarchisme) de Lausanne intitulé Refuser de parvenir. Idées et pratique (Paris, Nada, 2016). Je répare cet oubli, en incitant les lecteurs et lectrices de ce blog à acquérir cet ouvrage, qui comprend nombre d’excellentes contributions de toutes natures. Et surtout, jamais ne parvenez!
(Certains passages de cette contribution sont très proches de la version française de ma conférence à Priamoukhino en 2014, qui n’a été publiée qu’en russe, donc si vous trouvez des ressemblances, c’est tout à fait normal!).
Déclassement et révolution chez Bakounine
Peut-être la trajectoire personnelle de Michel Bakounine (1814-1876) a-t-elle contribué à le sensibiliser à un thème qu’il développa dans plusieurs textes de la maturité et qui entretient une nette proximité avec celui du refus de parvenir : le rôle révolutionnaire que peut jouer le phénomène social du déclassement. Issu de la petite noblesse terrienne russe, destiné par son père à la carrière militaire puis à la gestion du domaine familial de Priamoukhino, le jeune Michel Bakounine a en effet très tôt renoncé à son destin social pour se consacrer d’abord à la philosophie, puis mener la vie errante d’un exilé de la révolution. Davantage que Marx, qui ne dut renoncer à la carrière universitaire que parce que celle-ci, sous le régime répressif de la Prusse de Frédéric-Guillaume IV, se refusa à lui, et qui, malgré des difficultés matérielles qui ne furent pas moindres que celles du révolutionnaire russe, continua toute sa vie d’affecter les manières d’un bourgeois allemand et d’aspirer à la reconnaissance de sa puissance théorique, Bakounine illustre par sa vie et ses écrits un renoncement à toute perspective de trouver une place dans la société, autre que celle de fossoyeur d’un ordre qu’il abhorrait. S’il serait évidemment abusif de ramener les conceptions sociales d’un auteur à ce qui relève, pour une part, des contingences de sa vie matérielle, on ne peut néanmoins qu’être frappé par le fait que Marx soit demeuré toujours attaché à conférer un rôle déterminé aux différentes classes en lutte dans la société et au contraire à dénigrer, notamment sous l’appellation infamante de Lumpenproletariat, les groupes sociaux à l’appartenance de classe incertaine, mélangeant d’ailleurs à cette occasion ce que l’on qualifierait aujourd’hui de sous-prolétariat avec la bohème littéraire, les milieux criminels, voire la paysannerie1. On trouve au contraire, chez Bakounine, une attention extrême au rôle que jouent parfois de tels groupes sociaux au sein des processus révolutionnaires, du fait précisément qu’ils constituent un élément réfractaire à la structuration en classes de la société2.
L’intérêt que Bakounine porte au rôle révolutionnaire des déclassés (ou comme il le dit également, des « déplacés ») s’inscrit dans un intérêt plus large pour des éléments qui ne sont pas révolutionnaires en raison de leur seule appartenance de classe. On peut d’ailleurs remarquer qu’à l’occasion, Bakounine s’opposa aux penchants ouvriéristes d’une partie de l’Internationale, qui prétendait dénoncer l’adhésion des « ouvriers de la pensée »3. Bien que le rejet de ces éléments étrangers à la classe ouvrière ait été défendu pour partie par des délégués qu’il ne portait guère dans son cœur (notamment le proudhonien de droite Tollain), Bakounine souligne que cette défiance ouvrière découle de l’instinct socialiste des prolétaires, car il est vrai « qu’il est très difficile à un enfant de la bourgeoisie de vouloir sincèrement toutes les conditions et toutes les conséquences de la justice et de l’égalité. »4 Mais Bakounine ne s’oppose pas moins à l’injustice de ce qu’il considère comme un préjugé5, ce qui lui permet de mettre en avant le caractère révolutionnaire d’éléments qui n’appartiennent pas stricto sensu à la classe ouvrière : paysans, sous-prolétaires, jeunes et déclassés. De ce point de vue, il s’oppose très clairement à la position qui était défendue avec constance par Marx et Engels, au moins depuis le Manifeste communiste (1847).
Contre le marxisme : la révolution hors-classe
Pour ces derniers en effet, l’histoire de toute société est déterminée par une lutte pour la domination entre les classes sociales qui la composent. Cela signifie que les sociétés qui ne connaissent pas de structure de classe sont en dehors de l’histoire et qu’il ne saurait y avoir de révolution sans que les classes dominées renversent la domination qu’elles subissent. Le clivage qui tend de plus en plus à prédominer dans l’histoire des sociétés, en tant que celle-ci tend à faire triompher le mode de production capitaliste, est celui qui sépare les propriétaires des moyens de production et ceux qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail et sont donc contraints de la vendre. Cette perspective s’appuie sur le pronostic que les classes sociales intermédiaires seront de plus en plus résorbées dans ces deux classes, que Marx et Engels désignent comme la bourgeoisie et le prolétariat : par exemple, les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, paysans) sont condamnés dans leur écrasante majorité à rejoindre les rangs du prolétariat, lequel constitue la classe dominée, qui peut seule valoir dès lors pour sujet révolutionnaire6. Outre les présupposés très lourds de cette conception en termes de philosophie de l’histoire, outre aussi ses effets potentiellement démoralisants qu’a pu illustrer l’histoire du marxisme (l’attente des fameuses « conditions objectives », dont la réunion rend seule possible la révolution), elle s’avère incapable de rendre compte des révolutions effectives, que ce soit celles intervenues dans le passé, du vivant de Marx et Engels7, ou même de celles qui se sont réclamées d’eux au XXe siècle, et encore moins de mouvements révolutionnaires plus récents.
L’intérêt que porta Bakounine au rôle révolutionnaire des populations qui n’entraient pas dans la structuration (présumée) binaire des sociétés du capitalisme avancé repose aussi sur l’acuité de son regard sur les processus révolutionnaires – ce qui n’a rien d’étonnant de la part de quelqu’un qui était avant tout un révolutionnaire et n’avait rien d’un sociologue ou d’un économiste. Cela le conduisit à contester plus avant les vues marxiennes touchant au caractère nécessairement révolutionnaire du prolétariat industriel, en soulignant qu’y étaient à l’œuvre des tendances à l’embourgeoisement, et conséquemment à la défense paradoxale de l’ordre social dans lequel les ouvriers de l’industrie pouvaient faire valoir leurs revendications spécifiques.
Mieux encore, on trouve chez Bakounine une critique explicite de la notion même de classe, notamment en tant qu’on l’applique à la position du prolétariat industriel au lendemain de la révolution sociale. Ainsi, dans un projet de lettre à La Liberté de Bruxelles en octobre 1872, Bakounine signale qu’il y a dans le programme des socialistes allemands une « expression qui nous est profondément antipathique, à nous anarchistes révolutionnaires qui voulons franchement la complète émancipation populaire : c’est le prolétariat, le monde des travailleurs présenté comme classe, non comme masse. Savez-vous ce que cela signifie ? Ni plus ni moins qu’une aristocratie nouvelle, celle des ouvriers des fabriques et des villes, à l’exclusion des millions qui constituent le prolétariat des campagnes et qui, dans les prévisions de Messieurs les démocrates socialistes de l’Allemagne, deviendront proprement les sujets de leur grand État soi-disant populaire. Classe, pouvoir, État sont trois termes inséparables, dont chacun suppose nécessairement les deux autres, et qui tous ensemble se résument définitivement par ces mots : ‘l’assujettissement politique et l’exploitation économique des masses.’ »8 Il serait erroné de tirer de cette citation l’idée que Bakounine récusait toute pertinence à la théorie selon laquelle les sociétés, et notamment celles qui vivent sous le mode de production capitaliste, sont structurées en classes, elles-mêmes déterminées par le rapport au capital et au travail. En revanche, ce que redoute Bakounine, c’est que tout ou partie du prolétariat des villes ne demeure une classe après la révolution sociale. Or dans ce qu’il connaissait du marxisme (à savoir essentiellement le Manifeste), c’est bien ainsi que les choses se passent : de classe dominée, le prolétariat doit devenir classe dominante, avant de faire disparaître tous les instruments de la domination de classe (l’État) et réaliser la société sans classes. Le risque est alors que, sous prétexte de retourner l’ancienne domination de la bourgeoisie contre cette classe, le prolétariat urbain ne devienne une nouvelle classe exploitant le prolétariat des campagnes – et éventuellement, pourrait-on ajouter, aussi celui des villes dans la mesure où il n’a pas l’heur d’appartenir à cette aristocratie ouvrière. En allant partiellement au-delà de ce que dit Bakounine lui-même, peut-être faudrait-il dès lors considérer le processus révolutionnaire lui-même non comme un moment d’affirmation de classe, mais comme le moment de dissolution des classes sociales, le moment par excellence du déclassement et du déplacement9.
Si la révolution sociale est un moment de remise en cause complète de l’ordre social, si à ce titre elle est le moment où les divisions de cette société éclatent de toutes parts, il est finalement assez naturel que les éléments qui ne se retrouvaient pas dans cette société puissent jouer un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire. Et c’est tout particulièrement le cas de ces couches sociales qui, à des titres divers, se refusent à entrer dans cette division en classes. Toutefois, toutes les formes de résistance à l’intégration10 dans la modernité capitaliste n’obéissent pas aux mêmes causes ni aux mêmes motifs et il y a sans doute lieu de distinguer entre les éléments qui ont fait le choix du déclassement (ce qui pourrait se rapprocher du thème, propre au syndicalisme révolutionnaire français du début du XXe siècle, du refus de parvenir), et ceux qui sont déclassés par position sociale. Bien entendu une telle distinction a quelque chose de schématique et consiste bien plus à identifier des types qu’à décrire des groupes sociaux bien identifiés : bien souvent, on se trouve mis en position de choisir le déclassement social, ou l’on fait des choix politiques qui se traduisent de facto par le déclassement, sans que celui-ci ait été visé. Compte-tenu de la thématique de ce volume, mais aussi de la postérité ultérieure de ce thème et sans doute de son actualité, on peut toutefois s’en tenir à tout ce qui, dans les écrits du révolutionnaire russe, porte sur ces fractions de la jeunesse qui se refusèrent à leur destin social, se dérobèrent au rôle qui leur était socialement assigné, celui de perpétuer la domination, et allèrent au peuple, tant dans leur vie que dans leur activité de propagande.
Mais comme on le voit, il ne saurait être question d’identifier ce thème du déclassement volontaire à celui du refus de parvenir. Refusent en effet de parvenir des personnes qui, venant d’en bas, sont confrontées, à un moment ou à un autre de leur trajectoire sociale, à la question d’accepter ou pas telle position avantageuse économiquement ou tel poste de pouvoir. Or d’une certaine manière, la thématique du déclassement volontaire, telle qu’on la trouve traitée dans quelques textes de Bakounine, correspond à une question qui est l’exacte symétrique de la précédente. Si l’individu qui refuse de parvenir est issu du peuple et se trouve confronté à une opportunité d’ascension sociale, celui qui se déclasse volontairement est issu des classes privilégiées et renonce à ses privilèges pour « aller au peuple ». Il reste toutefois un point commun à ces deux phénomènes ou mots d’ordre, c’est qu’ils concernent avant tout la jeunesse, en tant qu’elle est amenée à se poser la question de sa trajectoire sociale – et peut-être aussi, comme le suggère Bakounine, en tant qu’elle est un élément idéaliste.
Pour l’essentiel, Bakounine a cru pouvoir souligner le rôle révolutionnaire du déclassement social dans deux pays : la Russie et l’Italie. Cela tient aux liens qui furent les siens avec les mouvements révolutionnaires de ces deux pays, par le contact avec la jeunesse émigrée dans le cas de la Russie, et par le rôle que joua Bakounine lors du premier essor du socialisme dans le cas de l’Italie11. Mais cela n’a rien d’étonnant non plus si l’on songe que ces deux pays ont connu des exemples, voire des mouvements de déclassement volontaire au sein de la jeunesse révolutionnaire, exemples et mouvements qui ne sont pas sans rappeler, à nouveau, le refus de parvenir.
« Aller au peuple » : Bakounine et les populistes russes
La Russie constitue ici le cas à la fois le plus massif et le mieux documenté. C’est aussi celui qu’il faut aborder en premier dans la mesure où c’est sur le modèle de ce qu’il connaissait de la Russie que Bakounine a analysé le rôle révolutionnaire de la jeunesse italienne, dans des termes qui sont parfois rigoureusement les mêmes. Les analyses de la situation de la Russie que Bakounine produit à la fin des années 1860, et les appels qu’il lance en direction de la jeunesse de ce pays, s’inscrivent en effet dans le développement du mouvement des narodniki, dont on désigne la doctrine comme narodnichestvo, c’est-à-dire populisme, parce qu’elle fait un devoir aux révolutionnaires d’aller au peuple, et de concevoir une forme de socialisme qui soit adaptée à la vie de ce peuple, et notamment à son caractère agricole12. Ce mouvement se développa en Russie après l’émancipation des serfs par le tsar Alexandre II en 1861, et il contribue à expliquer pourquoi Bakounine reprend la propagande en direction de son pays d’origine à partir de 1868, propagande qui ne cessera jamais13. Les jeunes populistes considéraient que cette prétendue émancipation conduirait dans les faits la paysannerie russe à passer brutalement du féodalisme au salariat agricole. Sympathisant de ce mouvement (qui se référait initialement aux idées d’Alexandre Herzen et de Nicolas Tchernychevski), Bakounine n’en était pas moins conscient de ses possibles dérives avant-gardistes, les jeunes intellectuels qui s’en réclamaient pouvant se considérer comme chargés de répandre dans le peuple ignorant la bonne parole révolutionnaire, de s’en faire ainsi les éducateurs et donc de se construire des carrières de dirigeants révolutionnaires.
C’est notamment ce qui apparaît dans un texte de mai 1869, Quelques paroles à mes jeunes frères de Russie14, dans lequel Bakounine s’adresse à « la jeunesse déclassée et lettrée de la Russie » pour lui lancer l’appel suivant : « Rappelez-vous bien, frères, que la jeunesse lettrée ne doit être ni le maître, ni le protecteur, ni le bienfaiteur, ni le dictateur du peuple, mais seulement l’accoucheur de son émancipation spontanée, l’unisseur et l’organisateur des efforts et de toutes les forces populaires. » Comme il le dit encore dans le même texte, si les jeunes bourgeois et nobles instruits ont des choses à apprendre au peuple, ils ont aussi bien des enseignements à recevoir « au milieu de ces masses aux mains durcies par le travail », à commencer par savoir comment « servir la cause du peuple ». Bien que Bakounine soit rarement considéré comme l’une des sources d’inspiration du mouvement populiste, et s’il est vrai que celui-ci naquit indépendamment de lui, il n’en reste pas moins que ses propres appels à « aller au peuple » et à servir « la cause du peuple » précèdent de plusieurs années les tentatives effectives des narodniki de révolutionner les campagnes15, et qu’on peut les considérer comme une prise de position interne à ce mouvement, cherchant à l’orienter dans un sens plus libertaire. C’est aussi pour cette raison qu’il insiste sur le fait qu’aux héros populaires du passé, tels Stenka Razine (rebelle du XVIIe siècle), doit se substituer « cette légion de jeunes hommes déclassés et sans nom », qui ne veulent être « ni voleurs, ni rêveurs ». Par ailleurs, le parallèle entre le mouvement « aller au peuple » et le « refus de parvenir » des syndicalistes révolutionnaires français du début du XXe siècle est d’autant plus tentant qu’il correspond aussi à une réalité sociologique, un certain nombre de militants populistes russes étant devenus, comme leurs homologues français, des instituteurs. Cela signifie aussi que le mouvement « aller au peuple » ne signifiait pas, pour les jeunes populistes russes, devenir soi-même un paysan – à l’instar de ceux des maoïstes français qui allèrent dans les usines et dans les champs pour « s’établir » après 196816 – mais trouver sa place au sein du peuple.
Mais si la question du mouvement vers le peuple se pose à l’époque en ces termes à une partie de la jeunesse urbaine de Russie, c’est que celle-ci est essentiellement une jeunesse éduquée, qui prétend mettre au service du peuple les capacités qu’elle a acquises du fait de sa naissance au sein des classes privilégiées. On comprend dès lors pourquoi les appels de Bakounine en direction de la jeunesse russe contiennent la recommandation suivante : « Quittez ces universités, ces académies et ces écoles dont on vous chasse maintenant, et dans lesquelles on n’a jamais cherché qu’à vous séparer du peuple. Allez dans le peuple, là doit être votre carrière, votre vie, votre science. » Dans une contribution qui cherche à établir le degré de proximité entre l’éloge bakouninien du déclassement et le refus de parvenir, on ne peut manquer de souligner la mention de la carrière dans cette déclaration – même s’il n’est pas certain qu’on entendît à l’époque derrière ce terme l’expression « faire carrière ». Dans la Russie de la seconde moitié du XIXe siècle, le fait de fréquenter les universités mène tout droit à une carrière de fonctionnaire. Se détourner de ce parcours, c’est aussi renoncer à faire partie du personnel de l’État et refuser la séparation d’avec le peuple – c’est renoncer à faire carrière, à trouver sa place au sein des classes privilégiées.
Mais ce qui est en jeu derrière ces appels à la jeunesse instruite, c’est aussi le statut de la science. On retrouve sur ce point la position nuancée qui est celle de Bakounine, entre les deux positions extrêmes qui entrèrent en conflit lors de congrès de Genève de l’Internationale à propos de l’adhésion à l’organisation des ouvriers de la pensée – pour faire vite, entre la délégation allemande qui faisait un éloge univoque de la science, et la délégation française qui voyait dans la possibilité d’une adhésion des intellectuels un risque d’attirer des ambitieux. Or Bakounine, s’il partage la crainte des Français, et s’il se souligne par ailleurs la difficulté qu’il y a pour un ancien membre de la bourgeoisie ou de la noblesse à embrasser sincèrement la cause du prolétariat, n’en est pas moins conscient de ce que les tenants d’une science libre pourraient apporter au prolétariat. C’est encore ce qui transparaît dans l’appel de 1869 à la jeunesse russe, dans la continuité de l’exhortation à déserter l’Université : « ne vous souciez pas en ce moment de la science au nom de laquelle on voudrait vous lier, vous châtier. Cette science officielle doit périr avec le monde qu’elle exprime et qu’elle sert ; et à sa place, une science nouvelle, rationnelle et vivante, surgira, après la victoire du peuple, des profondeurs mêmes de la vie populaire déchaînée. » L’opposition que propose Bakounine entre une science officielle, qui exprime et sert l’ordre social, et une science nouvelle qui émergerait d’un nouvel ordre social peut paraître sommaire. De mauvais esprits pourraient même être tentés d’y voir une préfiguration de l’opposition entre science bourgeoise et science prolétarienne qui sévira quelques décennies plus tard dans la Russie stalinienne, et dans laquelle s’inscrivirent par exemples les théories pseudo-scientifiques d’un Lyssenko. Toutefois, à l’heure où la plus grande partie de la recherche en sciences exactes est intégrée, à des titres divers, à l’industrie, et où une tendance comparable est à l’œuvre dans les sciences humaines et sociales (dont on cherche à faire des sortes de conseillers du prince), il est peut-être moins difficile de comprendre ce que dénonce Bakounine dans cette servilité de la science officielle.
Il faut en outre lier cette dénonciation à l’éloge que ne cesse de faire Bakounine, dans d’autres textes de la même époque à destination de la Russie, d’une science libre dont les meilleurs exemples lui semblent fournis notamment par le matérialisme scientifique, qui cherche à la fois à vulgariser les progrès récents de la connaissance et à tirer des développements de la science contemporaine des conclusions philosophiques (sur la liberté, l’existence de Dieu, etc.). On en trouve un bon exemple dans l’article « La science et le peuple » que Bakounine fait paraître dans l’unique numéro du journal de l’émigration russe Narodnoe Delo (soit : La Cause du Peuple) auquel il collabora au cours de l’été 1868. Cet article fait en effet des « matérialistes scientifiques » Carl Vogt, Jakob Moleschott et Ludwig Büchner des « apôtres de la science révolutionnaire » parce qu’ils ne sont pas seulement des hommes de science mais des « combattants contre tous les fantômes engendrés par l’idéalisme religieux et métaphysique qui barraient à l’homme le chemin de la liberté »17. Ce que dénonce Bakounine dans la « science officielle », ce n’est pas tant sa fausseté que son enfermement et sa pusillanimité, elle est une science qui ne tire pas les conséquences philosophiques, religieuses, sociales et politiques de ses découvertes, qui demeure de surcroît à l’usage exclusif des classes privilégiées. Dans le même article, Bakounine signale d’ailleurs que tout un mouvement de fondation d’écoles populaires et d’école du dimanche s’est répandu en Russie au début du règne d’Alexandre II à l’initiative de jeunes instruits qui prétendaient faire profiter le peuple des campagnes de l’instruction qu’ils avaient reçue.
Ce dernier aspect du mouvement en direction du peuple d’une partie de l’intelligentsia russe permet de souligner un autre aspect du déclassement volontaire tel qu’il transparaît dans ces textes de Bakounine : il s’agit essentiellement d’un processus de détournement. Détournement de soi d’abord, au sens où l’on l’on se détourne d’un chemin que l’on serait tout naturellement amené à suivre. Détournement des ressources dont on dispose ensuite – et pour parler le langage d’une sociologie plus récente, aussi bien des ressources symboliques que des ressources matérielles. Les jeunes instruits détournent le savoir qu’ils ont reçu, et qui était destiné à l’usage exclusif de leur classe, pour « vendre la mèche » auprès du peuple – de même, si l’on veut, qu’un héritier dilapiderait son héritage pour la cause au lieu de le gérer et de le faire fructifier. Ce dernier parallèle peut être suggéré par le fait que, dans l’entourage même de Bakounine, figuraient un certain nombre de révolutionnaires issus des rangs de la noblesse et de la bourgeoisie qui sacrifièrent leur fortune à la cause de la révolution sociale – le cas le plus illustre étant celui de l’Italien Carlo Cafiero18.
Bakounine et la jeunesse italienne
Le contexte de l’Italie, bien qu’il soit fort différent de celui de la Russie sous le rapport politique et social, n’en va pas moins constituer une occasion pour Bakounine d’appliquer à ce pays les recommandations qu’il avait adressées quelques années auparavant à la jeunesse russe. Mais c’est aussi qu’il considère qu’il existe des parallèles possibles entre les deux pays, notamment sur le plan social. Dans un texte qui constitue une nouvelle contestation de la vision marxienne de la révolution, Bakounine souligne ainsi le retard du pays dans le « développement de la production monopolisée par le capital »19. Mais ce retard n’empêche pas selon lui qu’une révolution sociale puisse intervenir dans ce pays, avec le soutien de la paysannerie, dont Bakounine souligne les orientations antiétatiques. D’un point de vue politique, le contexte italien est en outre marqué par le recul de l’influence des idées du patriote italien Giuseppe Mazzini (qui prônait l’adoption d’une forme républicaine d’État pour l’Italie, tout en condamnant la Commune de Paris comme l’incarnation du diable) sur les associations ouvrières, et dès lors aussi par un désintérêt croissant pour les questions étroitement politiques au profit des idées socialistes. Militant depuis 1868 de l’Association Internationale des Travailleurs, Bakounine estime que pour que l’organisation puisse s’établir fermement dans la péninsule, « il ne manque que des initiateurs, des semeurs, et c’est précisément ces derniers qu’il faut former. » Or pour cette tâche, Bakounine compte sur les éléments de la jeunesse instruite qui se sont détournés de leur milieu d’origine :« Il existe maintenant en Italie une grande masse de gens nés dans la classe bourgeoise, mais qui ayant dédaigné d’un côté le service de l’État, et n’ayant point trouvé de place ni dans l’industrie ni dans le commerce, se trouvent complètement déplacés et désorientés. Ils ont été touchés par l’esprit du siècle, et fatigués de contempler la beauté mystique de Dante et la grandeur de la Rome antique, ils se sont faits en masse des libres penseurs, au grand désespoir de Mazzini. De la libre pensée au socialisme, il n’y a qu’un pas qu’il faut les aider à franchir. »20
On ne peut manquer de souligner le parallèle avec le texte de 1869 écrit à destination de la Russie. Dans les deux cas, la jeunesse dédaigne de se joindre au camp des voleurs et des exploiteurs, et sur un plan politique elle se détourne de la propagande patriotique. C’est par rapport à cette double perspective de développement de l’Internationale en Italie et de « déplacement social » d’une partie de la jeunesse que s’inscrivent les nombreux appels que Bakounine lance à la jeunesse d’Italie. Dans une lettre à Francesco Mora du 5 avril 1872, Bakounine suggère même qu’une part de plus en plus importante de la jeunesse italienne, ne trouvant pas sa place dans la société, pourrait se montrer disposée à remettre en cause l’ordre social tout entier : « il y a en Italie ce qui manque aux autre pays : une jeunesse ardente, énergique, tout à fait déplacée, sans carrière, sans issue, et qui malgré son origine bourgeoise n’est point moralement et intellectuellement épuisée comme la jeunesse bourgeoise des autres pays. » Ce diagnostic fait se rejoindre deux thèmes chers à Bakounine : outre celui de la jeunesse bourgeoise qui se refuse à l’accomplissement de son destin social, il y a aussi celui de la force régénératrice que portent ces éléments de la société qui refusent d’acquiescer à son ordre (ce qui rejoint chez lui le thème d’une barbarie susceptible de venir régénérer la civilisation de l’intérieur).
Un fragment de La théologie politique de Mazzini définit le rôle de le jeunesse par rapport au prolétariat : « Jeunes gens qui voulez vous sauver de la gangrène qui a gagné et qui dévore aujourd’hui le corps de la bourgeoisie tout entière, prenez le plus souvent possible des bains de vie populaire. Plongez-vous dans le peuple, vivez avec lui et pour lui. Ayez du cœur pour ses misères et pour ses douleurs ; considérez-le non plus comme un instrument nécessaire à la réalisation de vos idées politiques, mais comme le but suprême de tous vos efforts. Apprenez à l’aimer et à le respecter, et comprenez que si vous avez beaucoup de choses à lui enseigner, vous en avez encore plus à apprendre de lui. En retour des pensées que vous lui apporterez, il vous apportera toute la richesse de ses instincts. Vous lui donnerez les formules de la vie, il vous donnera la vie. De l’union de votre pensée avec son instinct naîtra la vie populaire. »21
Le parallèle avec ce que Bakounine écrivait quelques années auparavant à propos de la Russie est là encore frappant. À nouveau, il s’agit que se produise une rencontre entre la vie et la théorie, entre les instincts populaires, qui seuls portent la vitalité sociale, et leur formulation. Pour Bakounine, cette rencontre ne bénéficie à aucun des deux termes plus qu’à l’autre, puisqu’elle permet à la fois au peuple de rendre ses aspirations audibles et à la jeunesse de participer au « mouvement si vivant, si puissant aujourd’hui, de la réelle émancipation populaire. » D’une manière plus nette encore que dans les textes à destination de la Russie, il apparaît que ce que cherche à concevoir Bakounine dans ses appels à la jeunesse italienne, c’est une forme d’alliance inédite entre les deux pôles dont il ne cesse d’observer une tension depuis le début des années 1840 : la jeunesse instruite est en effet la représentante de la théorie, alors que le peuple est l’incarnation de la pratique, du développement spontané de la vie sociale indépendamment de toute théorie. La seule alliance qui soit alors possible entre théorie et pratique consiste en ce que la jeunesse instruite exprime les aspirations du prolétariat, contribue à l’élaboration de cette science sociale vivante qui serait le fidèle reflet de l’évolution économique et sociale spontanée. Cette manière de se mettre au service du peuple ou du prolétariat ne place pas la jeunesse instruite à la remorque de ce dernier, s’il est vrai que les aspirations qu’elle formule ne sont pas les désirs mortifères qui peuvent parfois s’emparer du peuple.
L’insistance de Bakounine sur les tendances révolutionnaires de la jeunesse instruite (mais aussi du sous-prolétariat et de la paysannerie, voire de certains éléments criminels22) n’est pas seulement intéressante en tant qu’elle constitue une remise en cause importante du schéma marxiste qui affirme une structuration de la société en classes et qui fait de la lutte entre ces dernières le moteur du devenir historique. Elle est particulièrement intéressante pour nous aujourd’hui. Il est indéniable que le fait qu’une partie importante de la population possède à la fois un niveau élevé d’instruction et ne parvienne pas à trouver sa place dans la société, ou ne le veuille pas, constitue un facteur très puissant de contestation de l’ordre social. De fait, en Égypte et en Tunisie, ce sont notamment des jeunes instruits issus de classes moyennes en crise qui ont provoqué l’écroulement de régimes arbitraires et corrompus. Cela fait confluer les analyses de Bakounine avec celles qui avaient été proposées dans les années 1960 par Marcuse ou par les situationnistes, autour de la question de savoir si une révolution était encore possible dès lors que le capitalisme tardif semblait constituer une machine à intégrer et que le prolétariat industriel, notamment au travers de ses organisations politiques et syndicales, semblait avoir renoncé à renverser la domination capitaliste. Il y a bien chez Bakounine la dénonciation d’une tendance à l’embourgeoisement de certaines composantes du monde ouvrier, tendance qu’il faut moins comprendre en termes sociaux qu’en termes politiques : l’embourgeoisement signifie ici l’acceptation des règles du jeu de la démocratie bourgeoise. Comparativement, l’existence de groupes sociaux, de plus en plus larges, qui ne sont pas intégrés au jeu de la négociation, des élections, de la recherche de travail, constitue donc un facteur de révolutions.
La réception souvent hostile de la thématique du déclassement volontaire dans la sociologie des mouvements révolutionnaires nous semble plaider, paradoxalement, en faveur de sa pertinence. En 1911 paraissait la Sociologie du parti du sociologue allemand Robert Michels, qui est le premier ouvrage de sociologie à s’intéresser aux organisations politiques. Ce livre est devenu célèbre parce que son auteur, qui avait été militant de la social-démocratie allemande, insistait sur la nécessaire dérive oligarchique des organisations démocratiques. Or dans la cinquième partie de l’ouvrage, il évoquait une série de mesures préventives qui avaient été mises en place, dans l’histoire des organisations révolutionnaires, pour empêcher l’apparition de telles oligarchies. Parmi ces prophylaxies, à côté de la pratique du référendum, du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme, il mentionnait ce qu’il appelait le « postulat de la renonciation »23, c’est-à-dire l’ensemble des mesures « pour favoriser la prolétarisation des éléments bourgeois parmi les dirigeants ». À cette occasion, avec un certain nombre d’approximations, il rendait compte des textes de Bakounine portant sur le rôle révolutionnaire des jeunes Russes et Italiens issus de la bourgeoisie et de la noblesse, et soulignait plus particulièrement que, contrairement à Marx, « Bakounine ne conçoit pas le déclassement comme un fait historique en soi, mais comme une nécessité psychologique pour l’action socialiste de tous ceux qui ne sont pas prolétaires de naissance » (car, ajoutait-il paraphrasant Bakounine, « la conduite de vie domine le monde des idées et détermine l’orientation de la volonté »24). Mais tout en reconnaissant la pertinence de l’analyse psychologique qui sous-tendait les appels de Bakounine en direction de la jeunesse, il en rejetait le principe d’un revers de main : ces tentatives ne pouvaient aboutir, au mieux, qu’à un fanatisme partisan, et pas à une réelle absorption de l’élite intellectuelle dans la masse. Mais précisément, le cas de Robert Michels constitue un contre-exemple intéressant aux textes de Bakounine sur le déclassement. En effet, le sociologue allemand, après avoir dû renoncer à une carrière universitaire en Allemagne en raison de l’engagement social-démocrate qu’il avait pris pour terrain d’investigation sociologique, et après avoir adopté la nationalité italienne, renonça aux convictions et à l’idéalisme de sa jeunesse et, par carriérisme, alla jusqu’à adhérer au parti fasciste pour obtenir, en 1928 à Bologne, un poste de professeur.
1Sur l’extrême instabilité des définitions fournies par Marx et Engels du Lumpenproletariat, voir Jean-Claude Bourdin, « Marx et le lumpenprolétariat », Actuel Marx, n° 54, 2013/2, p. 39-55.
2Cela vaut aussi pour la période d’engagement slave de Bakounine : contre les démocrates allemands (dont Marx et Engels) qui conseillent aux Slaves de se laisser germaniser pour pouvoir participer à l’histoire universelle, Bakounine souligne ce que peut avoir de révolutionnaire l’extériorité relative de ces populations vis-à-vis de ce que l’Europe occidentale considère comme la civilisation. Voir à ce propos J.-C. Angaut, La liberté des peuples. Bakounine et les révolutions de 1848, Lyon, ACL, 2009. Sans que les deux auteurs ne se soient connus, il est possible de mettre ces conceptions en rapport avec celles que développa Ernest Cœurderoy dans Hurrah !!! ou la révolution par les cosaques (1854), Paris, Éditions Plasma, collection Table Rase, 1977.
3Cela à l’occasion du congrès de Genève de l’Internationale (1866), deux ans avant l’adhésion de Bakounine à l’organisation. Cette position fut aussi défendue par certains des futurs amis de Bakounine, notamment Eugène Varlin.
4Bakounine, Œuvres complètes, Paris, Champ Libre, 1974-1982, vol. I, p. 212.
5Il en va de même pour la richesse : « Ne calomnions donc pas la richesse, elle est une condition de notre humanité, et sans elle nous ne saurions accomplir le moindre progrès. Ce qui démoralise, c’est l’accaparement des richesses entre des mains privilégiées et nécessairement oisives ; ce sont les jouissances matérielles et même intellectuelles et morales, non accompagnées de travail ou surpassant la quantité, l’intensité ou la peine du travail. » (Bakounine, Œuvres complètes, Paris, Champ Libre, 1974-1982, vol. I, p. 263) L’adresse de février 1872 Aux compagnons de la fédération jurassienne revient dans les mêmes termes sur la participation d’éléments issus de la bourgeoisie à l’Internationale (Œuvres complètes, édition citée, vol. III, p. 74-75).
6Cette lecture de l’histoire a aussi son versant international : les pays où le capitalisme industriel se développe, et où par conséquent le clivage entre bourgeoisie et prolétariat devient structurant pour la société, ont plus de chance de voir apparaître des mouvements en faveur de la révolution sociale.
7D’ailleurs, lorsqu’il eut à analyser des révolutions réelles, Marx fut contraint (comme dans Les luttes de classes en France et Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte à propos de celle de 1848) de compliquer singulièrement le schéma présenté dans le Manifeste.
8Bakounine, Œuvres complètes, édition citée, vol. III, p. 160-161.
9Cela correspond, du reste, à certaines descriptions que Bakounine nous a léguées à propos du Paris révolutionnaire de 1848 dans sa Confession (1851). Voir Bakounine, Confession, Neuvy-en-Champagne, Le Passager Clandestin, 2013, p. 64-67.
10Cette thématique de l’intégration, que l’on trouvera plus tard chez Herbert Marcuse, ne se trouve pas chez Bakounine. Elle constitue néanmoins un outil commode pour présenter les critiques qu’il adresse à une partie du mouvement ouvrier.
11Bakounine séjourna en Italie de 1864 à 1867 et il y conserva jusqu’à la fin de sa vie de nombreux contacts. Voir David Ravindranathan, Bakunin and the Italians, Montréal, McGill University Press, 1989.
12Sur le mouvement populiste russe, l’ouvrage de référence est celui de Franco Venturi, Les intellectuels, le peuple et la révolution, Paris, Gallimard, 1972.
13Deux volumes des Œuvres complètes, outre Étatisme et anarchie (rédigé en langue russe), sont consacrés aux relations slaves de Bakounine : le vol. V pour ses relations avec le seul Netchaïev, le vol. VI pour le reste.
14Sauf mention contraire, toutes les citations qui suivent sont tirées de ce texte, publié dans Michel Bakounine, Le socialisme libertaire, textes choisis et présentés par Fernand Rude, Paris, Denoël, 1973, p. 204-211. Le texte fut publié une première fois en français (dans une traduction de l’auteur) dans le journal La Liberté de Bruxelles le 5 septembre 1869.
15Le mouvement effectif des narodniki vers le peuple eut lieu en 1874 et il fut un échec, notamment du fait de l’indifférence de la majorité de la paysannerie et de la répression menée par l’État russe. Cela conduisit une partie du mouvement populiste à constituer des sociétés secrètes pratiquant l’assassinat politique (dont le plus retentissant fut celui du tsar Alexandre II en 1881).
16Pour un témoignage d’établi, qui est aussi un document sur la condition ouvrière dans les années 68, voir Robert Linhart, L’établi, Paris, Minuit, 1981.
17Bakounine, « Comment poser les questions révolutionnaires. Article premier : la science et le peuple », Narodnoe Delo, 1er septembre 1868 (traduction disponible sur le CD-Rom Bakounine, Œuvres complètes, Amsterdam, IISG, 2000 – je corrige cependant la transcription des noms des trois auteurs dans cette dernière traduction).
18Carlo Cafiero (1846-1892) était issu d’une famille de riches propriétaires terriens de la région des Pouilles. Proche de Bakounine à partir de 1871, il consacra une partie de son héritage à financer différents mouvements insurrectionnels, mais aussi à l’achat de La Baronata, une propriété sur les hauteurs du Lac Majeur, dans laquelle Bakounine vécut quelques mois mais qui s’avéra un gouffre financier – ce qui altéra définitivement les relations entre les deux hommes.
19Bakounine, Œuvres complètes, édition citée, vol. I, p. 81. Le texte en question est un projet de lettre à La Liberté de Bruxelles, daté du 29 août 1871.
20Bakounine, Œuvres complètes, édition citée, vol. I, p. 82.
21Ibid., p. 220 et p. 258.
22Voir dans la lettre du 2 juin 1870 à Netchaïev la mention du « monde des vagabonds, des brigands et des voleurs », qui serait accessible à une « propagande vivante » (Bakounine, Œuvres complètes, édition citée, vol. V, p. 234).
23Sur le Postulat der Entsagung, voir Robert Michels, Sociologie du parti dans la démocratie moderne, trad. J.-C. Angaut, Paris, Gallimard, Folio Essais, 2015, p. 456-463.
24La citation exacte de Bakounine est : « la vie domine la pensée et détermine la volonté » (L’empire knouto-germanique et la révolution sociale, in Œuvres complètes, édition citée, vol. VIII, p. 41).