Il s’en passe de drôles, à Priamoukhino
J’avais rendu compte dans de précédents billets de la conférence organisée tous les ans dans le village natal de Bakounine à Priamoukhino – et en particulier de celle qui s’était tenue à l’occasion du bicentenaire de la naissance du révolutionnaire russe. Cette année, les conférenciers ont eu la désagréable surprise de subir une descente de police, avec arrestation et expulsion à la clé. Avec beaucoup de retard, je traduis ci-dessous un communiqué émanant du comité d’organisation de la conférence annuelle. S’il y a des erreurs, ce sont les miennes. Le texte anglais (traduit du russe) se trouve ici.
Commentaire personnel : il y a évidemment une couleur locale bien particulière à ces manœuvres d’intimidation. N’oublions pas toutefois que nous vivons dans un pays où l’on peut condamner quelqu’un pour refus de prélèvement d’ADN, où les libertés publiques sont régulièrement suspendues sous divers prétextes (attentats, sommets internationaux), et où la législation antiterroriste, en constante évolution, permet bien des choses que nous ignorons tant qu’elles ne s’appliquent pas à nous.
Il s’en passe de drôles, à Priamoukhino
Les Lectures de Priamoukhino, une conférence publique annuelle, s’est tenue les 7 et 8 juillet 2018. Cette année, la conférence a attiré l’attention des forces russes du maintien de l’ordre. Dans la mesure où cela fait 18 ans que la conférence se tient dans l’école du village, le conseil municipal de Priamoukhino et le conseil de district de Kuvshinovo étaient au courant de cette conférence et n’ont rien fait pour l’interdire.
Toutefois, comme le comité d’organisation de la conférence l’a appris par la suite, des agents de police se sont rendus dans le village le 6 juillet 2018, à la veille de l’ouverture de la conférence.
Plusieurs hommes en civil, que tout désignait comme des agents du maintien de l’ordre, ont assisté au premier jour de la conférence, le 7 juillet. Ils ont discuté avec des participants sur des sujets philosophiques et historiques abstraits, mais se sont aussi interrogés à haute voix sur l’existence de « terroristes » dans la Russie contemporaine.
Le deuxième jour, deux voitures de police, et une voiture dépourvue de plaques d’immatriculation, sont arrivées au point de rassemblement, au moment précis où la visite annuelle du domaine et du parc de Priamoukhino devait commencer. Huit policiers, parmi lesquels des membres du commissariat intermunicipal de Torzhok, des membres du bureau de l’immigration de ce commissariat, ainsi que des agents en civil sans document d’identification (il s’agissait probablement d’agents du centre « E » ou du FSB) ont contrôlé et photographié les passeports des visiteurs. Selon les agents de police, leur visite se fondait sur une plainte pour trouble à la tranquillité publique émanant d’un voisin anonyme.
Conséquence de ce contrôle de papiers, un participant à la conférence, Artyom Markin, citoyen biélorusse, a été arrêté et détenu. Il a été informé de ce qu’il était « interdit d’entrée » en Russie, chose qui n’avait pas été portée à son attention, ni quand il avait franchi la frontière russe, ni lorsque la police contrôla ses papiers.
Markin a été emmené au commissariat intermunicipal de Torzhok. Il a refusé de communiquer avec les agents des services secrets, dans la mesure où aucune charge écrite ne pesait contre lui. Il a été emmené à un examen médical, parce que la police le suspectait, disait-elle, d’avoir utilisé des substances psychoactives. Après que Markin eut refusé l’examen médical (c’est-à-dire que son prétendu usage de drogue n’a été certifié par aucun médecin), et en dépit du fait que rien n’indiquait qu’il ait pris des drogues (les participants à la conférence ont témoigné de ce qu’il n’avait pas pris de substances psychoactives et qu’il ne semblait pas différent de d’habitude), un magistrat l’a déclaré coupable de s’être soustrait à un diagnostic médical (Code russe des délits administratifs, article 6.9, 1ère partie) et l’a condamné à trois jours de prison.
Dans le même temps, l’après-midi du 8 juillet, deux des agents en civil sont revenus à Priamoukhino en expliquant leur retour par le fait qu’ils cherchaient, disaient-ils, la petite amie de Markin. Leur présence et la nécessité de protéger les participants à la conférence des actions illégales commises par les autorités ont été la source de difficultés considérables lorsqu’il s’est agi de reprendre la conférence. Les agents en civil ne sont repartis pour Torzhok qu’après quatre heures de l’après-midi.
Après avoir passé trois jours en prison, Artyom Markin a été contraint de quitter la Russie. Le bureau de l’immigration du commissariat intermunicipal de Torzhok lui a notifié une interdiction d’entrée en Russie courant jusqu’à 2022.
Nous pensons que les récents événements en Biélorussie (l’arrestation brutale d’anarchistes locaux le 30 juin 2018 à l’occasion d’un rassemblement dans les bois), possiblement un appel des services de sécurité et de maintien de l’ordre de Biélorussie à leurs collègues russes, ainsi que la sécurité renforcée à l’occasion le coupe du monde de football 2018 en Russie sont les causes de ces actions violentes de la part de la police. L’interdiction d’entrée en Russie, telle qu’elle a été délivrée à Artyom Markin a été décidée avec pour motif officiel d’assurer « la défense, la sécurité nationale et l’ordre public », comme il est stipulé par l’article 27 de la loi fédérale russe n° 114 (portant sur « la procédure d’entrée et de sortie de Russie »), ce qui donne un aperçu des amendements à la loi introduits à l’occasion d’événements sportifs internationaux.
Parce que les Lectures de Priamoukhino sont une conférence académique ouverte à tous, les organisateurs font l’effort de connaître tous les participants pour garantir l’ordre et leur propre sécurité. Toutefois, nous n’avons pas les moyens d’empêcher l’usage de la force par la police, ni la curiosité des autorités.
Les Lectures de Priamoukhino sont un événement annuel mis en place par des volontaires. Nous ne coopérons pas avec les autorités plus qu’il n’est nécessaire pour que la conférence puisse se tenir. Nous n’avons jamais fourni aux autorités d’informations personnelles sur les participants, ni d’autres informations à leur sujet.
En cas de conflits, comme celui qui est décrit ci-dessus, notre tâche est de prendre soin de nos invités étrangers. Toutefois, nous n’avons pas les moyens de fournir une assistance juridique qualifiée sur place.
Nous incitons tout le monde à prendre connaissance des lois russes actuelles, afin de mieux défendre leurs droits en cas de confrontation avec des agents du maintien de l’ordre qui souvent interprètent à tort ou avec trop de liberté les lois qui encadrent leur action.
Le comité d’organisation des Lectures de Priamoukhino condamne la répression des mouvements sociaux et des événements publics indépendants, ainsi que les coups montés contre des activistes sociaux et l’usage arbitraire de sanctions, administratives ou autres, en l’absence de preuve et d’un danger avéré pour le public.