Bakounine et sa mauvaise réputation
Il est assez rare de croiser Bakounine dans le champ académique, et quand on le croise, c’est souvent en mauvaise compagnie (récemment encore, Ben Laden, on y reviendra). On n’écrit pas sur Bakounine, et si l’on doit écrire sur lui, on prend bien soin de ne pas le lire. Cette rubrique du blog souhaiterait d’abord recenser – parfois sur le mode du bêtisier, ou du dictionnaire des idées reçues – le monceau d’erreurs et de falsifications, plus ou moins délibérées, qui recouvrent les écrits de Bakounine et en obstruent l’accès. Bien entendu, on se chargera aussi de défaire patiemment, documents à l’appui, cet écheveau maladroit, drôle ou révoltant de petites calomnies et de grandes inexactitudes.
Parmi les thématiques qui retiendront notre attention :
Bakounine comme théoricien du terrorisme : très en vogue ces dernières années chez les essayistes idéologiquement embarqués dans la prétendue « guerre contre le terrorisme », l’analyse du phénomène terroriste a souvent été l’occasion de remettre Bakounine sur le devant de la scène. Bien qu’une connaissance, même sommaire, de ce qu’a écrit (et n’a pas écrit) Bakounine à ce propos permette en général de savoir par avance ce que contiennent ces livres à ce sujet, on ne s’en lasse pas. Si vous en trouvez que j’aurais oublié, n’hésitez pas à me les transmettre dans vos commentaires, j’en raffole !
Bakounine comme apôtre de l’usage de la violence : c’est un peu la version soft de la rubrique précédente. Bakounine n’aurait pas seulement théorisé l’usage politique de la violence, mais l’aurait aussi aveuglément prôné. Pour mesurer la valeur de ces propos, il suffit parfois de citer Bakounine. Nous ne nous en priverons pas. C’est aussi dans ce cadre que je parlerai plus largement du rapport que l’on a coutume d’établir entre la tradition anarchiste et la violence.
Bakounine comme faible théoricien : peu d’ouvrages abordent la pensée de Bakounine, en particulier ce que les écrits de sa période anarchiste contiennent de théorique (pour les textes de sa période hégélienne, c’est un peu plus consistant). Et lorsque c’est le cas, la démarche se résout plus souvent en invectives qu’en analyses sérieuses : aucune idée originale, apologie unilatérale de la négativité, simple reprise grossière des Lumières, etc. On recensera également ici quelques erreurs savoureuses : Bakounine en disciple de Stirner, etc.
Racontars : la vie aventureuse de Bakounine a été une source de légendes, mais aussi de calomnies et de racontars, distillés parfois de son vivant par ses adversaires. Curieusement (ou pas), ces affabulations sont encore reprises, plus d’un siècle après leur mise en circulation : Bakounine espion, Bakounine proclamant l’abolition de l’État, etc. Je me contenterai le plus souvent de rappeler les faits, conscient toutefois de ce que la chose est souvent insuffisante pour couper court aux rumeurs.
Cela signifie-t-il qu’il n’y aurait aucun motif à tailler un costard à ce bon Michka? Certes non! On ne manquera pas de relever ce qu’il peut y avoir de gênant chez Bakounine, voire de franchement antipathique : quelques textes antisémites, d’autres violemment germanophobes On ne passera pas non plus sur certains petits défauts: Bakounine écrivait mal (et il s’en vantait en plus !) et il n’achevait rien, de sorte qu’on se retrouve avec peine dans la masse des écrits qu’il nous a laissés. Et parfois, il ne tranche pas des questions qui, rétrospectivement, nous semblent pourtant primordiales.
La réputation de Bakounine vient de son compagnonnage éphémère avec Netchaiev, le théoricien du terrorisme.
Bakounine n’était pas forcément quelqu’un de très fréquentable. Mais de toutes façons, sacraliser une figure de l’anarchisme, quelle qu’ait été son influence, serait contraire aux principes de l’anarchisme (en tout cas tels que beaucoup les comprennent). Ni dieu, ni maître à penser.